Le salafisme et les racines de l’extrémisme… sacralisation des textes et négligence de la raison
Mohammad
ad-Dabuli
La naissance de
la pensée salafiste remonte au 7e siècle de l’Hégire et à l’imam
Ahmad ibn Taymiyya – né à Harran en 661 de l’Hégire. Celui-ci considérait qu’il
était indispensable de purifier l’islam des hérésies qui le souillaient du fait
des confréries soufies qui s’appuyaient sur l’interprétation des textes
religieux.
Or, à l’époque
moderne, nombre de jurisconsultes ont réhabilité les conceptions d’Ibn Taymiyya
en prétendant que la raison de la décadence de la nation musulmane était
l’éloignement des musulmans de la charia.
Cependant, le
renouveau de la conception salafiste aujourd’hui se caractérise par son lien
avec les évolutions historiques et politiques des pays musulmans et la création
d’Etats-nations fondés sur des idéologies non islamiques comme le libéralisme et
le socialisme.
Face à cette
situation, des mouvements djihadistes sont apparus dans les pays arabes et
islamiques prétendant vouloir un retour à la charia, certains par la force,
d’autres de façon pacifique.
1)
Signification de la conception salafiste
A l’époque moderne, la voie salafiste se réfère aux écrits du cheikh
Mohammad ibn Abdel Wahhab, qui vécut
durant une période de crise pour la nation musulmane, avec la colonisation
européenne, et la propagation des groupes soufis et de la pensée libérale occidentale
dans le monde islamique. C’est en réaction à cela qu’il prôna le retour à une
compréhension de l’islam basée uniquement sur les enseignements du Prophète,
des compagnons et de leurs successeurs, et refusant toute doctrine ne
s’appuyant pas essentiellement sur la voie des « pieux
prédécesseurs », comme le soufisme, le kharijisme, ou le chiisme. Ainsi,
la voie salafiste s’appuie sur le principe de la priorité donnée à la loi
islamique sur la raison et le refus de l’interprétation rationnelle des versets
coraniques et des hadiths.
2)
Facteurs de l’extrémisme dans la conception salafiste
En analysant le discours salafiste, on constate qu’il contient de fait de
nombreux facteurs d’extrémisme et de fanatisme :
-
Le
côté populiste de ce discours : qui vise à toucher les sentiments
religieux des gens simples en simplifiant les problèmes.
-
La
monopolisation de la religion : en prétendant être les seuls à détenir la
vérité religieuse
-
La vision
de l’autre : la pensée salafiste voit l’autre soit comme égaré, soit comme
incroyant. C’est ainsi que pour les
salafistes, les soufis sont la source des hérésies conduisant au polythéisme et
à l’incroyance, en particulier du fait de leurs visites des tombes et des
mausolées, et des vœux et des sacrifices qu’ils y font.
-
Le djihad
sur la voie de Dieu : la pensée salafiste a réhabilité cette idée pour
défendre les choses sacrées de l’islam et affronter les gouvernants idolâtres.
3)
La diversité des écoles salafistes est-elle une imperfection dans la
méthode ou une richesse idéologique ?
Bien que l’objectif commun des salafistes soit le retour à une
compréhension de la religion conforme à celle des Compagnons et des pieux
prédécesseurs, la réalité des faits indique que le courant soufi souffre de
divisions internes et comprend divers groupes qui divergent dans les modalités
d’application de leurs idées :
- Le groupe Ansar as-Sunna al-Mohammadiyya : fondé en 1926 par le cheikh Mohammad Hamed
al-Fiqi au Caire : ce groupe considère qu’il est nécessaire de combattre
les hérésies polythéistes dans la société musulmane, suite à la domination de
la société par le soufisme. Au niveau politique, il considère le régime
démocratique comme mécréant car il donne à l’homme le droit de légiférer, qui
est pour eux le droit exclusif de Dieu.
- La Gamiyya Chariyya : fondée en 1912 par le cheikh Mahmoud as-Sabki, dans le but de
combattre les hérésies et répandre les enseignements corrects de l’islam.
- La Daawa Salafiyya
(à Alexandrie) : créée par Mohammad Ismaïl al-Muqaddim en tant que
mouvement étudiant s’étant séparé des Frères dans les années soixante-dix.
C’est l’une des organisations salafistes les plus répandues en Egypte. Elle
refusait l’action politique en considérant la démocratie comme de l’incroyance,
mais après la Révolution du 25 janvier, elle a changé d’opinion en fondant un
parti politique pour participer aux élections parlementaires.
- Le salafisme madkhaliyya : né en Arabie saoudite après l’invasion du Koweït par l’Irak en
1991. Il considère qu’il n’est pas permis de se révolter contre le gouvernant
ou de lui donner des conseils de façon publique. L’un de ses plus éminents
représentants en Egypte est le cheikh Mohammad Saïd Raslan.
- Le salafisme militant : né au Caire, il considère qu’il faut déclarer le gouvernant
incroyant. Il est l’un des groupes salafistes qui ont soutenu les Frères et ont
participé au sit-in de Rabia al-Adawiya.
- Le salafisme Sururiyya : fondé en Arabie saoudite durant les dernières décennies, par le
Syrien Mohammad ibn Surur Zayn al-Abidine. Il combine la pensée du groupe des
Frères avec les idées salafistes.
- Le salafisme djihadiste : il s’agit de groupes salafistes qui ont autorisé la révolte contre le
dirigeant incroyant pour fonder l’Etat
islamique. Les groupes les plus connus qui incarnent cette tendance sont
al-Qaïda et Daech.
Finalement, en passant en revue ces divers groupes salafistes, il apparaît
que cette diversité est plus un manque qu’une richesse, étant donné :
-
L’échec
des écoles salafistes à traiter avec la question du gouvernant inique, la
Madkhaliyya interdisant le simple fait de lui donner un conseil, le salafisme
djihadiste autorisant quant à lui la révolte contre lui.
-
Les
contradictions sur les questions essentielles : ainsi, la Daawa Salafiyya,
par exemple, a interdit la participation aux élections, et malgré cela, elle a
fondé des partis politiques ayant participé aux élections parlementaires.
-
Leur
pénétration par les autres groupes islamistes : ainsi, les Frères
musulmans ont réussi à pénétrer le courant du salafisme militant et à
l’utiliser contre la Daawa Salafiyya.
Par ailleurs, de
nombreuses questions politiques et sociales n’ont pas été clairement traitées
par les salafistes, comme celui de la citoyenneté ou de la participation de la
femme à la vie politique.