Publié par CEMO Centre - Paris
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États-Unis / Chine : le choc des puissances économiques

mardi 31/mars/2020 - 07:26
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Il est probable que la persistance de l’hégémonie économique américaine restera l’horizon de notre époque, tant il est plus facile pour Washington d’user et d’abuser des atouts de la puissance économique américaine que pour les autres pays de se donner les moyens d’ignorer les marchés des États-Unis, de se passer des technologies américaines ou de contourner le dollar.

Pour beaucoup dans le monde, la prééminence des États-Unis dans l’économie mondiale, naguère encore avérée, est toutefois menacée, voire déjà abolie, au profit de la Chine.

Pour se convaincre de l’inquiétude américaine, il n’est que de considérer l’usage de plus en plus fréquent, par les administrations américaines successives, de mesures de politique commerciale agressives ou de sanctions économiques à l’encontre de leurs adversaires, voire de leurs partenaires ou alliés, en tablant, de leur propre aveu, sur la puissance et l’incontournabilité de l’économie américaine pour le reste du monde.

Beaucoup de commentateurs perçoivent cependant dans cette posture un signal de faiblesse plus que de force des États-Unis face à la montée de la Chine. Celle-ci est désormais qualifiée de rivale stratégique dans les documents officiels de l’administration américaine.

Faut-il en effet y voir l’expression de l’arrogance d’un hégémon contesté comme le craignent certains observateurs ? Ou au contraire l’appréciation lucide des atouts dont jouit aujourd’hui encore, et pour les années à venir, la puissance économique américaine ? L’examen des données disponibles suggère que la vraisemblance se situe plutôt du côté de la seconde branche de l’alternative.

 

Les Etats-Unis, première puissance économique mondiale depuis le début du XXe siècle

En 1820, la Chine comptait pour un tiers de la population mondiale et du produit intérieur brut (PIB) mondial. Mais son économie ne se situait déjà plus sur la frontière technologique mondiale et le revenu par tête des Chinois n’atteignait pas le tiers de celui de l’économie alors la plus avancée, celle du Royaume-Uni.

La prépondérance économique des États-Unis culmine à près de 30 % du PIB mondial en 1950 avant de reculer à moins de 25 % dès le début des années 1960.

Les États-Unis ne sont devenus la première puissance économique mondiale qu’au cours du troisième tiers du XIXe siècle. En 1890, la part de l’économie américaine dans l’économie mondiale l’emporte sur celle de la Chine. La performance américaine n’est pas tant fondée sur l’importance de sa population (en augmentation rapide sous l’effet d’une immigration massive) que sur la progression de son niveau de vie par tête : encore légèrement inférieur à celui du Royaume Uni, il atteint un niveau que la Chine n’égalera qu’en 2000.

La prépondérance économique des États-Unis ne cesse de s’affirmer au cours de la première moitié du XXe siècle, culminant à près de 30 % du PIB mondial en 1950 avant de reculer à moins de 25 % dès le début des années 1960. Mesurée aux taux de change courants, la prépondérance de l’économie américaine était encore plus écrasante : en 1960, le PIB américain représentait à lui seul 40 % du PIB mondial (calculé de l’auteur à partir des données de la base World Development Indicators, Banque mondiale).

Entre-temps, l’économie américaine s’était clairement établie comme la frontière technologique mondiale, avec un revenu par tête supérieur de 25 à 50 % plus élevé dans les années 1960 à celui des principales économies européennes et du Japon. L’économie américaine était la source des principales innovations technologiques qui ont porté la croissance économique des Trente Glorieuses en se diffusant dans le reste du monde occidental, notamment au travers d’investissements internationaux et de l’établissement de firmes multinationales dans de très nombreux pays.

Les États-Unis s’étaient également placés au centre de la gouvernance économique et financière mondiale, dont ils avaient promu la création pour prévenir le retour des désordres de l’entre-deux-guerres, perçus par leurs dirigeants comme prélude au second conflit mondial. D’une part, au plan commercial, pour offrir un cadre favorable et stable aux échanges internationaux, et au premier chef aux exportations américaines. D’autre part, au plan monétaire, au travers du dollar, reconnu internationalement comme équivalent de l’or, et du Fonds monétaire international (FMI) dont ils sont l’actionnaire principal, garant de la stabilité des changes.

Aujourd’hui, les États-Unis ne dominent plus l’économie mondiale de manière aussi massive. Le poids de l’économie américaine a continué de reculer des années 1960 jusqu’au début des années 1980, au profit du Japon et des pays de l’Union européenne avant d’aborder une phase de consolidation jusqu’à la moitié des années 1990. Il renoue ensuite avec un déclin rapide, sous l’effet de la montée de la Chine.

Mesuré en parité de pouvoir d’achat (PPA), le poids relatif du PIB américain a fondu de plus de 8 points de pourcentage au cours des cinquante dernières années, celui de l’Union européenne de 8 points, alors que celui de la Chine a bondi de près de 14 points.

Selon les données du Maddison Project (un centre de recherche hébergé par l’université de Groningue aux Pays-Bas), en 2016, les pays de l’Union européenne, les États-Unis et la Chine représentaient chacun une part voisine du PIB mondial : près de 17 % pour la première, plus de 15 % pour les seconds et 15 % pour la dernière.

Ainsi, mesuré en parité de pouvoir d’achat (PPA), le poids relatif du PIB américain a fondu de plus de 8 points de pourcentage au cours des cinquante dernières années, celui de l’Union européenne de 8 points, alors que celui de la Chine a bondi de près de 14 points (source : FMI).

La Chine s’est également imposée comme la principale puissance commerciale mondiale, avec des exportations et des importations passant de moins de 1 % des flux mondiaux en 1980 à respectivement 11 % et 9 % en 2017. Elle est devenue la principale importatrice de matières premières, notamment le pétrole, le minerai de fer, le cuivre, etc. Elle offre également le deuxième marché mondial pour les biens d’investissement en capital fixe, après l’Union européenne mais devant les États-Unis. Elle est devenue le principal marché pour les véhicules particuliers.

Cependant, ce sont les États-Unis qui offrent le plus vaste marché de biens et services consommés par les ménages, soit plus du quart du marché mondial, suivi par l’Union européenne, la Chine venant loin derrière à moins de 10 %.

Une prédominance contestée par la Chine, en dépit d’une avance technologique incontestable

Le World Economic Forum classe l’économie américaine comme la plus compétitive, devant Singapour, l’Allemagne, la Suisse et le Japon, loin devant la Chine, qui se situe au 28e rang. Le revenu par tête moyen aux États-Unis est le plus élevé des pays à économie diversifiée. À près de 60 000 dollars (en PPA aux prix courants), il n’est dépassé que dans de petits pays exportateurs d’hydrocarbures (le Qatar, la Norvège, Brunei, le Koweït) ou abritant une plateforme financière internationale (Luxembourg, Irlande, Macao, Singapour, Hong Kong) ou les deux (Émirats arabes unis).

Depuis les années 1990, le PIB par tête aux États-Unis a accru à nouveau son avance par rapport aux grands pays d’Europe et au Japon, dont le mouvement de rattrapage puis de convergence vers le revenu par tête américain, en cours depuis l’après-guerre, s’est interrompu ou même inversé. L’essor des technologies de l'information et de la communication et celui du gaz et du pétrole de schiste attestent la vigueur des capacités d’innovation et de renouvellement de l’économie aux États-Unis.

L’économie américaine est considérablement plus productive que l’économie chinoise, sa principale concurrente, la seule qui ait vocation à l’égaler puis à la dépasser dans l’avenir. L’écart de revenu par tête en fournit un premier indicateur. Il a certes fondu au cours des quarante dernières années, passant de 1 contre 20 en 1980 à 1 contre 5 en 2018, mais il reste considérable : 53 000 dollars aux États-Unis à comparer à 13 000 dollars (en PPA) en Chine, soit le niveau de vie américain moyen des années 1970.

L’Académie chinoise des sciences sociales anticipe une diminution de 200 millions de la population en âge de travailler à l’horizon de 2050.

Le rapide essor du PIB chinois (plus 900 % entre 1980 et 2016) a résulté moins de l’accroissement de la population (plus 40 %) que des progrès de la productivité (plus 620 %). Ceux-ci ont été soutenus par le transfert de millions de travailleurs agricoles (66 % de l’emploi en 1991, 27 % en 2018) vers des emplois urbains, principalement industriels. Ils ont été accompagnés par un intense effort d’investissement et d’importants gains d’efficacité globale, procurés par la mise à niveau technologique des entreprises, leur réorganisation et une meilleure gestion, l’amélioration modérée du capital humain (formation) n’ayant représenté qu’une faible contribution. La contribution du capital en technologies de l'information et de la communication est beaucoup plus faible que celle du capital des autres secteurs, à la différence des États-Unis, où elles sont voisines.

La Chine ne peut compter que sur des gains de productivité robustes pour continuer à croître rapidement dans l’avenir, car sa population active est entrée dans une phase de recul depuis le début de la décennie (- 2,8 % entre 2011 et 2018), recul qui se poursuivra dans les années à venir. L’Académie chinoise des sciences sociales anticipe une diminution de 200 millions de la population en âge de travailler à l’horizon de 2050. Or, les gains de productivité réalisés par l’économie chinoise s’amenuisent : 7 % par an au cours des années 2010 contre 9 à 10 % au cours des années 1990 et 2000.

Il est vraisemblable que la croissance du revenu par tête continuera de se tasser dans l’avenir, comme dans le cas d’autres pays asiatiques ayant connu une croissance rapide dans le passé. Le Japon et la Corée ont ainsi enregistré un net ralentissement de la croissance du revenu par tête lorsque ce dernier est parvenu à un niveau voisin de celui atteint par la Chine.

Une prédominance sans rival concernant la monnaie et la finance

Le règne du dollar

Le dollar américain reste la monnaie la plus utilisée au plan international pour mesurer les prix, conserver la valeur de l’épargne, régler les échanges commerciaux, emprunter.

Un nombre non négligeable de pays (39 en 2017) utilisent le dollar comme monnaie en l’absence de devise propre (Équateur, San Salvador…) ou arriment officiellement leur devise au dollar, parfois très rigidement dans le cadre d’un bureau d’émission (Djibouti, Hong Kong, plusieurs petits pays de la Caraïbe), le plus souvent dans le cadre d’un arrimage (peg) plus ou moins souple (cas des pays du Golfe, de l’Irak et de la Jordanie).


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