Covid-19 : peut-on connaître le nombre réel de cas en France ?
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a évoqué il y a
quelques jours une fourchette du nombre de gens infectés par le nouveau
coronavirus. Mais l'équation comporte de multiples inconnues.
Votre question a été
raccourcie, la voici en intégralité : «Si "seulement" 1% à 2% des personnes
contaminées décèdent du Covid-19, peut-on considérer qu’il y a de
25 000 à 50 000 personnes infectées en France ?»
Comme nous l’expliquions dans un article récent, le
nombre de cas positifs diagnostiqués en France (29 155 jeudi, selon
la direction générale de la santé) ne correspond évidemment pas à la totalité
des gens touchés par le virus, mais uniquement à ceux qui ont été testés. Il
s’agit du «nombre
minimum de malades en France», comme l’a dit le
directeur général de la santé, Jérôme Salomon.
D’ailleurs, jeudi, Santé publique France évoquait également un autre chiffre,
celui des malades du coronavirus qui auraient consulté un médecin généraliste
entre le 16 et le 22 mars. Ce chiffre, qui n’est pas une estimation des
cas testés mais repose sur les symptômes observés en médecine de ville,
s’élèverait à environ 42 000 pour cette seule semaine.
Hier, Jérôme Salomon a précisé lors de son point presse que les autorités de
santé allaient de plus en plus se fier à cette surveillance syndromique -plutôt
qu'aux résultats des dépistages- pour évaluer le nombre de cas réel d'après les
données des professionnels de santé. «Cette évaluation, a expliqué le directeur général de la Santé, est faite à partir d'un échantillon de médecin sur le
territoire national, elle est faite au plus près du terrain et permet ensuite
d'extrapoler à l'ensemble du territoire français. Cette méthodologie est
considérée comme de référence en stade épidémique».
Au
cours de sa conférence de presse samedi dernier, Olivier Véran, le ministre de
la Santé, avait également été interrogé sur le nombre de cas réels. Et avait
livré une autre méthode de calcul, en se basant sur les données chiffrées (qui
ont beaucoup évolué depuis) : «Vous avez le nombre de patients qui peuvent être rapportés
au taux attendu de mortalité qui est de 1% et qui fait qu’on pourrait estimer
qu’il y aurait 30 000 à 40 000 malades en réalité en
France [450 décès
hospitaliers liés au Covid-19 avaient été dénombrés la veille, ndlr].
Son raisonnement était donc le suivant :
considérant que 1% des contaminés finissent par mourir (taux de létalité), si
la France compte 300 à 400 morts, celà signifie qu’il y a 30 000 à
40 000 infectés. Une simple règle de trois. En l’appliquant avec les
données actuelles, 1 700 morts (jeudi soir), on arriverait donc à
170 000 personnes infectées.
Mais
Olivier Véran expliquait immédiatement qu’il y a d’autres manières de calculer
ou d’estimer le nombre de malades : «Vous savez qu’il y a une personne sur deux qui est malade et
qui ne s’en rendra jamais compte. C’est ce qu’on appelle les porteurs sains. Et
donc ça pourrait monter à 80 000, 90 000 malades. Donc la
fourchette du nombre probable de malades en France varie de 30 000 à
90 000 personnes.» L’idée
de Véran est que la létalité de 1% est calculée sur la base des porteurs
symptomatiques, et qu’elle ne tient pas compte des porteurs sains, dont le
nombre pourrait être équivalent à celui des malades. Ce pour quoi il double son
chiffre. Là encore, en appliquant ce raisonnement aux derniers chiffres de
mortalité, on arriverait donc à plus de 350 000 cas en France.
L’équation
comporte trop d’inconnues
Mais
ce calcul est extrêmement fragile. La première raison, la plus évidente, est
qu’il repose sur le nombre de morts… lequel est notoirement incomplet pour la
France. Comme CheckNews l’écrivait, les autorités sanitaires
ne comptent pour l’heure que les décès survenus à l’hôpital. Les morts en Ehpad
ou à domicile ne sont pas pris en compte dans le bilan communiqué
quotidiennement. Jérôme Salomon, lors d’une réponse à un journaliste le
24 mars, estimait même que les morts à l’hôpital constituaient une «faible part» de la
mortalité liée au Covid-19. Ce point devrait être éclairci dans les prochains
jours, avec la remontée et la centralisation, à venir, des décès en Ehpad liés
au virus. Mais dans l’hypothèse (à titre d’exemple), où il y aurait en fait
deux fois plus de morts, il faudrait donc encore doubler l’estimation du nombre
de cas…