Le coronavirus menace de s’exporter d’Iran en Syrie
La Syrie constitue un véritable « trou noir » de la diffusion du coronavirus au Moyen-Orient, du fait du délabrement de son système de santé et des millions de déplacés que compte son territoire. La zone d’Idlib, dernier réduit à échapper au régime Assad dans le nord-ouest du pays, préoccupe particulièrement l’OMS, qui va lancer une campagne de dépistage dans les camps où s’entassent près d’un million de personnes. Mais le territoire sous contrôle gouvernemental n’apparaît pas mieux protégé face à la pandémie, avant tout du fait de la totale liberté des Iraniens, civils et militaires, pour y entrer et y circuler.
LE RISQUE DES ENCLAVES IRANIENNES
La République islamique a constitué en Syrie de véritables enclaves autour de sites de pèlerinage chiite. La principale s’est développée, au sud de la capitale, autour du mausolée de Sayyida Zeinab, la soeur de l’imam Hussein, dont le martyre en 680 est fondateur de la piété chiite. Le sanctuaire de Sayyida Zeinab s’est progressivement militarisé en bastion des Gardiens de la Révolution et des milices qui leur sont affiliées, venues du Liban, d’Irak ou d’Afghanistan. Ils y disposent de leur propre hôpital, nommé Khomeini en l’honneur du fondateur de la République islamique, ainsi que de leur centre de gestion opérationnelle pour le sud de la Syrie. Le mausolée d’une fille de Hussein, Roqayya, est au centre d’une autre enclave, située dans la vieille ville de Damas, non loin de la mosquée des Omeyyades.
Ce n’est que le 16 mars que ces deux mausolées ont été fermés aux pèlerins chiites, le jour où les sites les plus visités en Iran étaient eux-mêmes fermés, non sans susciter les protestations d’une minorité d’extrémistes. Les plus fanatiques du régime iranien ont longtemps prétendu qu’une immunité divine était accordée à de tels sanctuaires, tout en accusant les Etats-Unis, voire Israël, d’être à l’origine de la pandémie. Des accusations aussi délirantes ont été relayées par l’ayatollah Khameneï lui-même, autorité suprême du pays depuis 1989, dans son allocution du 22 mars, à l’occasion du Nouvel An iranien. Le « Guide de la Révolution » n’a pas manqué de refuser l’assistance américaine face au coronavirus, avant qu’une mission de Médecins Sans Frontière (MSF), dépêchée à Ispahan pour y installer un hôpital de campagne, ne soit sabotée par la tendance « dure » au pouvoir.
UN DOUBLE MENSONGE D’ETAT
Le régime Assad, tout en se prétendant alors le seul à être épargné par la pandémie dans la région, a annoncé, le 14 mars, la fermeture des écoles, la suspension des prières du vendredi et l’arrêt des vols internationaux. Mais cette interdiction ne concerne toujours pas la compagnie iranienne, Mahan Air, ni bien sûr les rotations aériennes des miliciens en provenance d’Iran. Le poste d’Abou Kamal, à la frontière avec l’Irak, laisse aussi passer librement les combattants iraniens et leurs supplétifs, avec de nombreux cas déjà rapportés officieusement dans la vallée de l’Euphrate. Le mensonge d’Etat de la République islamique, qui a fort probablement minoré son bilan actuel de plus de 2000 morts, se double dès lors du mensonge institué en mode de gouvernement par la dictature Assad. Un telle opacité n’a pu qu’encourager les plus folles rumeurs, de plus en plus focalisées sur la présence de combattants iraniens, par exemple à Alep.
Le ministre syrien de la Santé a finalement admis, le 22 mars, l’existence d’un premier cas de coronavirus, une personne testée positive à l’arrivée d’un pays qu’il s’est refusé à identifier. Des mesures sévères ont été édictées dans la foulée de cette annonce, avec suspension des transports intérieurs ou fermeture des commerces, y compris les boulangeries. Elles n’ont pu qu’alimenter la conviction que la situation est d’ores et déjà bien plus grave que le régime ne veut le reconnaître. Le bureau de Damas de l’OMS est astreint à la plus stricte discrétion sous peine de se voir fermé. Cette prudence forcée vaut évidemment pour toutes les sources hospitalières qui oseraient aller à l’encontre de la propagande d’Etat.
UN PAYS DEJA EPUISE
La Russie, qui intervient directement en Syrie depuis septembre 2015, a jugé bon de préciser, le 23 mars, qu’aucun de ses militaires déployés en Syrie n’était atteint par le coronavirus. Même le ministre russe de la Défense, de retour d’un récent séjour en Syrie, a pris la précaution d’un test de dépistage, qui s’est avéré négatif. Moscou vient néanmoins d’envoyer des ambulances militaires par mer vers la Syrie. Quant à la population, elle est déjà épuisée par neuf années de conflit, avec sans doute un demi-million de morts et la moitié des Syriens soit déplacés à l’intérieur de leur pays, soit réfugiés à l’extérieur. Une diffusion de la pandémie prendrait vite des proportions catastrophiques, notamment dans les prisons du régime où croupissent des dizaines de milliers de détenus politiques.
On ne peut qu’espérer que le pire ne soit pas sûr et que la République islamique, après avoir exporté « sa » guerre en Syrie, n’y ait pas aussi exporté « son » épidémie. On ne peut qu’espérer. Sans trop y croire, malheureusement.