Coronavirus : l'Iran coincé entre mensonges et sanctions
Les dissimulations des autorités iraniennes sur les chiffres couplées au manque d'équipements médicaux aggravent la crise liée au Covid-19 qui frappe le pays.
Troisième pays au monde le plus touché le coronavirus avec 853 morts et 14 991 cas, la République islamique d'Iran a frappé les esprits par sa gestion chaotique de l'épidémie. Les chiffres officiels fournis par les autorités suggèrent en effet un taux de mortalité de 3,5 %, bien supérieur à celui de la Chine ou l'Italie, ce qui a provoqué une forte suspicion au sein de la population, qui redoute un vrai bilan bien plus élevé. Officiellement, les deux premiers cas de Covid-19 ont été recensés dans la ville sainte de Qom, au sud-ouest de Téhéran, le 19 février dernier. Pourtant, ces affirmations du ministère iranien de la Santé ont été contredites à peine cinq jours plus tard par Ahmad Amirabadi Farahani, un député de la ville sainte, pour qui le virus, qui avait fait « 50 morts » au soir du 24 février, était en réalité apparu en Iran au début du mois.
Déjà
passablement entamée après la répression sanglante des manifestations de novembre 2019 ainsi
que par la révélation du mensonge de l'Iran sur l'origine du crash du Boeing
d'Ukraine Airlines, abattu par erreur le 8 janvier dernier par les
Gardiens de la révolution, la défiance des Iraniens envers
leurs autorités n'a fait que se renforcer au fur et à mesure des
informations mettant en évidence leur refus de prendre des mesures drastiques
aux premiers jours de l'épidémie.
Cimetière
agrandi
Durant tout le
mois de février, les vols commerciaux entre l'Iran et la Chine se sont poursuivis,
le maintien des échanges économiques avec Pékin étant vital pour Téhéran,
frappé de plein fouet par les sanctions américaines. De la même
manière, le gouvernement iranien a toujours refusé de placer en quarantaine la
ville de Qom, ou de fermer son séminaire religieux par lequel
transitent chaque jour des milliers de fidèles. Pendant ce temps,
des tranchées étaient creusées dans le cimetière Behesteh-Massoumeh, le
plus grand de la ville sainte, afin d'accueillir les tombes des nombreuses
victimes de coronavirus, selon des images satellites révélées par le New York
Times et le Washington Post.
Si le virus est
tout d'abord apparu à Qom en provenance de Chine, il s'est répandu comme une
traînée de poudre à travers le pays, favorisé en ce sens par la poursuite des
liaisons routières, ferroviaires et aériennes à travers le territoire iranien.
« Deux semaines avant l'annonce officielle des premiers cas de
coronavirus, nous avons assisté à une augmentation des cas de malades souffrant
de détresse respiratoire avec un à quatre décès chaque soir », confie
Reza*, un médecin de la ville de Bandar Abbas, à l'extrême sud du pays.
« Tout le monde savait que ces cas étaient liés au coronavirus, mais les
responsables du secteur de la santé insistaient pour que l'on ne les qualifie
que de pneumopathie grippale. »
Pas de
masques
Après
l'officialisation des premiers cas de Covid-19 à Qom, le personnel médical
à Bandar Abbas demande logiquement de pouvoir être protégé en
conséquence. « À l'issue d'une réunion, le responsable a refusé de nous
fournir des masques en arguant que cela allait entraîner la panique chez les
gens », assure Reza. Et ce n'est qu'après avoir fait grève que des
médecins obtiennent gain de cause. « Ils n'ont reçu que des masques
simples, qui n'avaient rien à voir avec ceux, plus perfectionnés, dont on
dispose à Téhéran. Ainsi, un de nos médecins a contacté le coronavirus et
demeure depuis en quarantaine », affirme le praticien. « Les
responsables ont prétendu que le Covid-19 n'était pas un virus grave, si bien
que les règles sanitaires n'ont pas été respectées vis-à-vis du personnel médical. »
Près d'un mois
après l'apparition du virus en Iran, le pays a connu ce lundi son bilan
journalier le plus lourd, avec 1 053 nouveaux cas et 129 décès.
Cependant, les autorités semblent enfin avoir pris des mesures à la hauteur de
la crise. Le ministère de la Santé a exhorté la population à rester chez elle et à annuler ses voyages,
alors que les hôtels ferment peu à peu leurs portes en province. Les
prières du vendredi ont été annulées à travers le pays, et le sanctuaire de
Fatima Masoumeh à Qom, celui du Shah-Abdol-Azim à Téhéran, ainsi que le mausolée de l'imam Reza, à Machhad (nord-est), ne sont
désormais plus accessibles au public. « Il aurait fallu que cela
arrive dès le premier jour », insiste Reza. « Il aurait fallu que toutes
les personnes souffrant de problèmes respiratoires soient hospitalisées et
séparées des autres malades une à deux semaines avant l'annonce
officielle. Clairement, nous avons souffert d'une mauvaise gestion. »
Pas de
quarantaine
À une semaine
des festivités de Norouz, le Nouvel An iranien qui a lieu le 20 mars
prochain, Téhéran est méconnaissable. « La ville est relativement vide et
la majorité des habitants restent chez eux », confie un journaliste sur
place. « Mais certains sortent malgré tout et les magasins restent
ouverts, car ils ont besoin de travailler en dépit des
risques. » Pour l'heure, les autorités refusent toujours de placer
des villes en quarantaine. « Cela n'arrivera ni aujourd'hui ni pour
aujourd'hui, ni avant ni après », a déclaré dimanche le président
Hassan Rohani. « Il n'y a pas de quarantaine, toutes les entreprises sont
libres et les services gouvernementaux sont maintenus. »
Le chef de
l'exécutif souhaite en effet ménager l'économie du pays, déjà frappée de plein
fouet par les sanctions américaines depuis le retrait unilatéral des États-Unis
de l'accord sur le nucléaire iranien en mai 2018. Soucieux d'éviter un
effondrement de l'activité, Hassan Rohani a annoncé par ailleurs un allongement
des délais prévus pour que les entreprises paient leurs impôts, leurs prêts ou
leurs factures.
Effet
des sanctions
Pour Téhéran,
les difficultés rencontrées par l'Iran dans la gestion de la crise du
coronavirus incombent avant tout aux États-Unis. Dans une lettre adressée jeudi
au secrétaire général de l'ONU, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad
Javad Zarif, a appelé à la fin des sanctions américaines qui
« sapent » selon lui les efforts de l'Iran pour
« lutter contre l'épidémie ». Le 11 mars, à l'issue d'une
mission en Iran, l'Organisation mondiale de la santé avait confirmé que l'Iran
manquait cruellement d'équipements médicaux. Si le secteur médical
n'est pas directement visé par les mesures punitives de Washington,
il se retrouve en réalité impacté en raison du refus des banques
internationales d'assurer des transactions, même licites, avec l'Iran, ce qui
provoque des pénuries de médicaments.
« Les sanctions nous créent beaucoup de
difficultés », avoue Reza, le médecin de Bandar Abbas. « Le manque de
matériel médical additionné à l'absence de capacité économique et au défaut de
gestion des autorités nous promet de prochains jours fort
difficiles. » D'après Mohammad Javad Zarif, l'Iran aurait besoin de
toute urgence de 3,2 millions de kits de test du Covid-19, de
160 millions de masques et d'un millier de ventilateurs. Il a
donc annoncé jeudi avoir sollicité, pour la première fois en
60 ans, l'aide du Fonds monétaire international (FMI) afin de bénéficier de son
« instrument de financement rapide » promis aux pays
en proie à l'épidémie. D'après le gouverneur de la banque centrale iranienne,
Téhéran aurait réclamé une aide d'environ 5 milliards de dollars.
Or, le conseil d'administration du FMI, basé à Washington, agit rarement contre la volonté des États-Unis. Et engagé dans un bras de fer politique avec l'Iran, Washington, après avoir tout d'abord proposé son aide humanitaire à Téhéran, a ensuite accusé la République islamique d'avoir « menti à sa propre population sur le coronavirus ».