Regain de tensions en Irak entre Washington et Téhéran, le coronavirus va-t-il calmer le jeu?
En Irak, milices chiites et
armée américaine se harcèlent quotidiennement à coups de roquettes et de
bombardements aériens. Trois soldats de la coalition en sont morts. Pour
Sputnik, Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak, analyse ce regain de tensions
entre Américains et Iraniens sur fond de pandémie de coronavirus.
La crise du coronavirus est-elle en passe
de causer une accalmie dans les zones de conflit? En marge de la pandémie, les
États-Unis et l’Iran sont pourtant tous les jours un peu plus proche de
la guerre.
Depuis plusieurs semaines, à intervalles
réguliers, des salves de roquettes sont lancées par des milices irakiennes et
chiites sur des bases militaires où sont présents des soldats américains. Le
Pentagone accuse notamment le Kataeb Hezbollah, la branche irakienne du
Hezbollah, mouvement armé soutenu par l’Iran. En réponse, les Américains
bombardent les positions de ces milices qui harcèlent les forces étrangères
présentes en Irak.
Dans ce contexte, et alors que de nouveaux tirs de roquettes ont eu lieu dans la matinée de ce 17 mars, la
tension est à son comble: Les Américains accusent ces milices d’opérer sur
ordre du gouvernement iranien, et de leur côté, les Irakiens attendent le
départ demandé par le gouvernement de Bagdad des forces américaines.
«Les forces américaines se comportent comme
des forces d’occupation. Elles utilisent notre territoire pour combattre l’Iran
et attaquent nos bases. Avec la fin de la guerre contre l’EI*, leur mission est
terminée. Elles doivent partir. Nous pourrons renégocier ensuite les termes de
nos relations dans le respect des deux pays», a déclaré à la presse le
président de la commission parlementaire de Défense irakienne, Mohamed Reda.
Une crise militaire non-gérée
Une situation ultra-tendue à laquelle
s’additionne la menace, pour tous les belligérants, du coronavirus. Contactée
par Sputnik France, Myriam Benraad, chercheuse associée à l’Institut de
recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et spécialiste
du Moyen-Orient, livre quelques clés de lecture. Pour elle,
«On est déjà dans une dynamique d’escalade
des tensions entre l’Iran et États-Unis. Il n’y a pas eu de détente entre les
deux camps depuis l’attaque contre le général Soleimani le
3 janvier 2020.»
En effet, jeudi 12 mars, une attaque menée
par les milices chiites d’Irak a tué deux Américains et une Britannique. Ce à quoi les forces américaines ont répondu en ciblant
cinq dépôts d’armes de ces brigades, causant la mort de trois militaires, deux
policiers, et faisant 12 blessés, selon un bilan provisoire de l’armée
irakienne. Aucune des victimes ne faisait partie des milices censées être à
l’origine de l’attaque.
Ces tensions sont-elles de nature à
s’intensifier avec les attaques qui ont eu lieu ces dernières semaines et qui
ont coûté la vie à des civils et des militaires?
«D’abord, il faut préciser que ces attaques
ne sont pas seulement l’objet de ces milices chiites, il y a un regain
d’activité djihadiste en Irak. Au-delà même de ces considérations, je ne pense
pas qu’il y aura une escalade dangereuse des tensions en raison de la crise
liée au coronavirus. L’Iran est complètement embourbé dans crise sanitaire, et
il en va de même pour l’Amérique de Donald Trump. Les deux ont des soucis de
politique intérieure trop importants pour gérer une crise militaire», souligne
Myriam Benraad.
Cependant, il est, selon elle, peu probable
qu’une accalmie passagère règle à terme les différends qui opposent l’Iran
ainsi que les milices qui lui sont affiliées en Irak d’une part, et les
États-Unis de l’autre. En effet, «cela ne
veut pas dire que les milices chiites ne continueront pas leur logique d’usure
avec des attaques légères, mais, il n’y aura pas d’escalade militaire au-delà
de ce niveau de violence. L’armée
américaine a récemment consolidé sa présence en Irak en installant des systèmes de défense
anti-missiles, notamment Patriot, pour protéger ses bases. Une décision qui
semble contradictoire avec la justification de sa présence en Irak jusqu’alors
avancée, à savoir l’anti-terrorisme. Surtout, elle semble s’opposer à la doctrine
de désengagement de Donald Trump. Elle risque enfin de renforcer «le
sentiment anti-américain grandissant» au sein de la population irakienne,
nous confie Myriam Benraad.
«Nous devons expulser toutes les troupes
américaines du Moyen-Orient», réclame le porte-parole de la milice des Brigades du
Hezbollah, Mohamed Mohie Eddin. «Les Américains ne sont pas là pour aider
l’Irak.»
Washington justifie donc la présence
américaine et internationale en Irak par la lutte contre Daech*.
Une force armée pourtant retournée à la
clandestinté, qui n’a aucun accès à des armes lourdes justifiant la présence de
systèmes de défense tels que les Patriot. Ce qui pose la question de l’entrée
de tels systèmes de défense en Irak. Selon Myriam Benraad, il ne faut pas
regarder plus loin que la simple protection des intérêts américains dans ce
pays:
«Ces systèmes de défense anti-missile sont
là pour protéger le personnel et les bases américaines. Elles sont là dans une
logique défensive, et ne marquent pas nécessairement une volonté d’implantation
des Américains en Irak. Leur présence aujourd’hui en Irak n’est en rien
comparable avec ce qu’elle a été par le passé, et je pense que Donald Trump est
réellement dans la logique de ramener ses troupes en poste au Moyen-Orient.»