Adnane Zorfi, l'homme de la 2e chance pour gouverner un Irak en plein marasme
Adnane Zorfi, deuxième candidat à tenter de
former un gouvernement en Irak cette année, est une «nouvelle tête» qui
pourrait susciter l'enthousiasme des partisans du changement, mais aussi le
refus catégorique de la vieille garde, particulièrement chez les pro-Iran.
Grâce à son action pour améliorer les
services publics et le maintien de la sécurité, dans un pays qui manque des
deux, M. Zorfi a l'estime de nombre de ses pairs comme de ses administrés.
Mais ce natif de la ville sainte chiite de
Najaf --dont il a été gouverneur à trois reprises, la première fois sur
nomination du pouvoir américain d'occupation-- a aussi de vieux ennemis.
L'Irakien, qui possède également la
nationalité américaine et dont la femme et les sept enfants vivent aux
Etats-Unis, a ainsi longtemps été la bête noire de l'armée du Mehdi, la
toute-puissante milice du leader chiite Moqtada Sadr, avec lequel il s'est
depuis réconcilié.
Et il est aujourd'hui dans le collimateur du
deuxième bloc au Parlement, celui des paramilitaires pro-Iran du Hachd
al-Chaabi, qui a déjà rejeté sa désignation.
- «Nouvelle tête» -
Contrairement à son prédécesseur Mohammed
Allawi, ce député de 54 ans n'a jamais été ministre.
«C'est une nouvelle tête et c'est sûrement
plus un avantage qu'un inconvénient» face à une révolte qui réclame depuis près
de six mois un renouvellement des politiciens et d'une classe politique
vieillissante, assure à l'AFP Sajad Jiyad, spécialiste de l'Irak.
Si l'homme à la mâchoire carrée et aux
cheveux noirs parsemés de mèches blanches n'apparaît que maintenant sur le
devant de la scène, il a pourtant derrière lui une longue carrière politique.
M. Zorfi, docteur en jurisprudence islamique,
a rejoint dès sa majorité le parti Daawa, l'opposition chiite historique à
Saddam Hussein.
Forcé à l'exil après la révolte de 1991
contre le dictateur, il est parti en Arabie Saoudite voisine puis aux
Etats-Unis pour ne rentrer qu'à la chute de Saddam Hussein en 2003.
Gouverneur de Najaf jusqu'à 2015, il a été
depuis élu deux fois député. En 2018, c'était au sein de la liste emmenée par
l'ancien Premier ministre Haider al-Abadi passé à l'opposition.
Le député d'opposition kurde Sarkawt
Chemseddine, qui a travaillé avec lui, le décrit comme souvent preneur
d'«initiatives sur les questions sociales et économiques».
«C'est une voix chiite modérée qui plaide
pour entretenir des liens avec l'Occident» et qui «entretient de bonnes
relations avec les Kurdes et les sunnites», assure à l'AFP M. Chemseddine.
De bonnes relations qu'il devra faire jouer
s'il veut réussir à obtenir sous 30 jours la confiance du Parlement. Avec
cependant un atout en main: le soutien de son bloc à l'Assemblée, ce que
n'avaient pas les deux Premiers ministres indépendants avant lui.
- «Force»
et «volonté» -
Avec l'échec de M. Allawi, qui a jeté
l'éponge faute d'avoir pu obtenir la confiance de l'Assemblée pour son cabinet,
M. Zorfi a «appris des leçons: il faut obtenir des accords entre blocs et les
associer à la formation du gouvernement», explique M. Jiyad.
Mais aussi contenter une rue en colère contre
les petits arrangements entre politiciens dans le seizième pays le plus
corrompu au monde.
Et tout cela en tentant de relancer un pays
en plein marasme politique, social, économique et diplomatique.
Au moment même où sa désignation se déroulait
mardi au palais présidentiel, de nouvelles roquettes ont visé les troupes
étrangères en Irak.
Alors que le monde a cru que l'Iran et les
Etats-Unis allaient s'affronter sur le sol irakien en début d'année, M. Zorfi
devra tenter de restaurer un fragile équilibre.
Photo transmise par la présidence irakienne montrant le
président irakien Barham Saleh (à gauche) et le Premier ministre irakien
désigné, Adnane Zorfi, à Bagdad, le 17 mars 2020 / Iraqi Presidency Media
Office/AFP
«Il faut quelqu'un avec de l'expérience, une
volonté et de la force pour brider les parties turbulentes» qui sont derrière
les tirs de roquettes, affirme M. Jiyad. «Et quelqu'un qui comprenne
l'importance d'avoir les Etats-Unis en soutien.»
Or M. Zorfi doit composer avec un contexte
politique rendant plus ardue encore sa tâche.
Le Parlement n'a toujours pas repris ses
sessions après ses vacances, laissant en suspens le budget alors que les cours
du pétrole ne cessent de plonger. Et l'épidémie du nouveau coronavirus continue
de tuer en Irak, en pénurie chronique de médicaments, de médecins et
d'hôpitaux.