Syrie: la guerre gagnée, Assad pourra-t-il remporter la paix?
Dix ans après le début de la crise en
Syrie, ce conflit, qualifié par les organisations internationales de
« pire catastrophe humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale »,
continue de faire des milliers de victimes et des centaines de milliers de
déplacés. Aucune solution politique ne pointe à l’horizon.
Lorsque des manifestants réclamant davantage de démocratie
et de liberté envahissent, en mars 2011, les grandes villes de Syrie, dans le
sillage du printemps arabe, la plupart des experts et des gouvernements
occidentaux prévoient la chute rapide du président Bachar el-Assad.
Il faut reconnaitre que les arguments
plaidaient en leur faveur. Au bout de quelques mois, le mouvement de
contestation a commencé à se militariser avec la création de l’Armée syrienne
libre (ASL), essentiellement composée d’officiers et de soldats dissidents.
L’afflux de combattants venus du monde entier est venu grossir les rangs des
diverses brigades de l’opposition armée, soutenues par des puissances
régionales, comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie ou la Turquie, aux
intérêts souvent divergents.
Dès 2012, une forte composante
islamiste apparaît, très vite contrôlée par un mouvement jihadiste, le Front
al-Nosra (rebaptisé Fatah al-Cham puis Hayaat Tahrir al-Cham). Ce groupe a été
fondé par un Syrien, Abou Mohammad al-Joulani, dépêché en Syrie par le chef de
la branche irakienne d’al-Qaïda, Abou Bakr al-Baghdadi.
Saignée par de lourdes pertes et
défections et handicapée par un manque d’effectifs, l’armée syrienne, fortement
idéologisée et restée en grande partie fidèle au président Assad, commence à
perdre du terrain. La mort dans un attentat, le 18 juillet 2012, de plusieurs
généraux syriens, dont le ministre de la Défense et le chef de la cellule de
crise, précipite le repli du pouvoir syrien vers les grandes villes et
l’abandon de vastes zones rurales du pays. En 2013, l’armée syrienne se battait
sur des fronts situés à 1 kilomètre seulement du centre historique de Damas. La
capitale était entourée de bastions rebelles, le plus célèbre étant la Ghouta
orientale, les principales voies de communication étaient coupées, le
territoire, contrôlé par le régime était morcelé et ne représentait plus que
12% du pays.
Le pouvoir
central perd le contrôle des frontières
Les frontières passent progressivement
sous contrôle rebelle. Au nord, des groupes proches de la Turquie ; au
sud, des brigades entraînées en Jordanie par les pays occidentaux, entretenant
des liens discrets avec Israël. À l’est, un nouvel acteur apparait dès 2013. Le
groupe État islamique autoproclame, après s’être affranchi de la tutelle
d’al-Qaïda, un califat qui s’étendra sur la moitié de la Syrie, avec Raqqa
comme chef-lieu, et le tiers de l’Irak, avec Mossoul comme capitale, à partir
de juin 2014.
Croyant la fin du régime proche, les
puissances régionales commencent à se disputer les zones d’influence. La
Turquie et le Qatar soutiennent les mouvements qui tournent dans l’orbite des
Frères musulmans syriens. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis appuient
des groupes d’obédience wahhabite ou des brigades rebelles issues de l’ASL, qui
n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ces divisions provoquent souvent des
combats meurtriers entre factions rivales et les coalitions politiques et autres
rassemblements, créés avec la bénédiction de Paris, Washington, Riyad
et Ankara, par des personnalités aux horizons divers, et censés représenter
« l’opposition », n’ont qu’une modeste influence sur les brigades
armées qui tiennent le terrain.
La lente reconquête du territoire par
le pouvoir syrien commence au printemps 2013, près de la frontière
syro-libanaise. Avec le soutien actif du Hezbollah libanais et de Gardiens de
la révolution iranienne, l’armée syrienne remporte sa première grande victoire
à Qoussair, en juin.
Malgré cette contre-attaque, qui permet
de sécuriser au bout de quelques mois une grande partie de la frontière
syro-libanaise et de couper les lignes de ravitaillement des rebelles vers
Homs, la troisième ville du pays, l’armée syrienne est en difficulté dans
d’autres régions. Contrainte de se battre sur des dizaines de fronts, manquant
d’effectifs, elle continue de se replier vers certaines zones, abandonnant de
vastes territoires à ses ennemis. Au printemps 2015, la situation semble
critique.
C’est à ce moment-là que la Russie
décide de s’impliquer directement dans le conflit.
L’intervention décisive de la Russie
Exploitant une conjoncture
internationale qui lui semble favorable, Vladimir Poutine envoie son aviation
et ses instructeurs militaires en Syrie. Conjuguant ses efforts avec les
Russes, qui assurent une couverture aérienne et un conseil stratégique, les
Iraniens, qui réorganisent les troupes et milices paramilitaires
pro-gouvernementales en créant l’Armée de défense nationale (ADN, 80 000
hommes) et le Hezbollah, qui offre son savoir-faire militaire, l’armée syrienne
commence alors une reconquête méthodique du pays. L’est d’Alep est repris, les rebelles sont progressivement
chassés des banlieues de la capitale, Daraa, le berceau de la révolte, revient
dans le giron de l’État.
L’armée syrienne ouvre aussi un front
contre le groupe État islamique, en reprenant les villes de Palmyre (centre) et
Deir Ezzor (est).
Plus de cinq ans après l’intervention
de la Russie, le pouvoir syrien contrôle 70% du territoire que les frontières
du pays avec la Jordanie, le Liban et une partie de celles avec l’Irak.
Au fil du temps, les acteurs locaux et régionaux sont évincés, les uns après les
autres. Même les États-Unis, qui s’étaient directement engagés dans l’est aux
côtés des milices kurdes contre le groupe État islamique, ont annoncé leur
intention de quitter le pays. Ils ne maintiennent plus que 800 soldats,
essentiellement déployés autour des puits de pétrole, dans le nord et l’est,
pour empêcher l’armée syrienne de les reprendre afin de priver Damas de
précieuses ressources énergétiques et financières.
Bachar al-Assad revient de loin. Seuls
Idleb, dont il a récupéré la moitié à la faveur de l’offensive de décembre
2019-février 2020, et une partie de l’est lui échappent encore. Il n’a plus en
face de lui qu’un seul acteur régional, la Turquie, dont la capacité
d’influence est limitée par les manœuvres diplomatiques et militaires de la
Russie.
Dix ans après le début du conflit, qui a fait selon
l’Observatoire syrien des droits de l’homme 384 000 morts et 11 millions de déplacés, le
président syrien est toujours dans sa capitale. Mais il règne sur un pays
meurtri, avec une infrastructure détruite et une économie dévastée. S’il a
pratiquement gagné la guerre, comme l’admettent même ceux qui prévoyaient sa
chute, il lui reste, maintenant, à reconstruire le pays. Un objectif qui
pourrait s’avérer plus difficile que la bataille militaire.