Vers une nouvelle « bande de Gaza » à Idlib
La
zone d’Idlib, encerclée par le régime Assad et régulièrement bombardée,
pourrait devenir pour la question syrienne un abcès de fixation aussi durable
que la bande de Gaza pour la question palestinienne.
Il y a
déjà neuf ans que, le 15 mars 2011, le peuple syrien a brisé le « mur
de la peur » en manifestant pacifiquement en faveur d’une
transition démocratique. Le régime Assad a alors réprimé férocement la
contestation, avec l’appui inconditionnel de l’Iran et de la Russie, de plus en
plus engagés à ses côtés d’année en année. Les soutiens affichés de
l’opposition, qu’ils soient occidentaux ou arabes, ne lui ont en revanche pas
fourni les moyens de résister efficacement à l’assaut généralisé de la
dictature, et a fortiori de la renverser,
aggravant la fragmentation des groupes armés. Le refus d’Obama d’intervenir,
après les massacres à l’arme chimique d’août 2013, a ouvert la voie à Daech, le
bien mal-nommé « Etat islamique »,
contre lequel les Etats-Unis et leurs alliés ont fini par concentrer leurs
frappes, laissant l’aviation russe pilonner les zones tenues par l’opposition.
Tel est le cas depuis des mois dans l’enclave d’Idlib, au nord-ouest du pays,
qui est en train de cristalliser pour la question syrienne l’impasse qu’incarne
la bande de Gaza pour la question palestinienne.
LA FABRIQUE D’UNE CATASTROPHE HUMANITAIRE
L’ONU qualifie la tragédie d’Idlib de « plus grande histoire d’horreur
humanitaire du XXIème siècle ». L’enclave compte en effet
trois millions d’habitants, dont un million de déplacés depuis le lancement par
Assad et le Kremlin, en décembre dernier, d’une implacable offensive. Mais des
centaines de milliers de civils avaient été déjà contraints de fuir les
offensives précédentes, menées en dépit du processus de « désescalade » noué
entre Moscou et Ankara en 2017. Et des vagues successives d’opposants civils ou
armés, accompagnés de leurs familles, avaient choisi de se réfugier à Idlib à la suite des différents
accords de reddition
imposés par le régime Assad, sous l’égide de la Russie, depuis 2016. Idlib est
dès lors devenu, non seulement le dernier territoire à continuer de défier la
dictature de Damas, mais aussi le sanctuaire d’une opposition d’autant plus irréductible qu’elle se sait désespérée. La
stratégie validée par Moscou de destruction systématique des infrastructures, entre autres sanitaires, en vue de faire plier la rébellion,
ne peut dès lors qu’aggraver une situation humanitaire déjà calamiteuse.
La bande de Gaza est, elle aussi, née d’un
conflit, celui qui a opposé Israël à l’Egypte, entre autres, en 1948-49, à la
suite duquel le quart de la population arabe s’est retrouvé sur ce 1% du
territoire de la Palestine historique. Les deux tiers des habitants d’une telle « bande » s’y étaient
réfugiés depuis le reste de la Palestine. Cette proportion perdure au sein des
deux millions de résidents actuels de l’enclave, soumise depuis 2007 à un
blocus de fait d’Israël et de l’Egypte. C’est la barrière naturelle du désert
du Sinaï qui avait empêché les Palestiniens de fuir en 1948 vers l’Egypte,
ainsi épargnée par les vagues de réfugiés qu’ont connues la Jordanie, la Syrie
et le Liban. Mais la Turquie, où vivent déjà 3,5 millions de réfugiés syriens,
est bien déterminée à interdire aujourd’hui l’accès de son sol aux naufragés d’Idlib, considérés par
l’ONU comme des « déplacés » tant qu’ils
n’ont pas quitté la Syrie, eux qui feront tout pour ne jamais revivre sous le joug
d’Assad.