Covid-19 en Iran : « Comme lors du crash de l’avion, ils ont caché la vérité »
Nargues
ne tient plus le compte des collègues, médecins ou infirmiers, qu’elle a vus
mourir du Covid-19. « Le dernier date de lundi. Il s’appelait
Vahid Monsef », glisse la médecin, jointe par Le Monde à
Rasht, une ville du nord du pays qui est un des foyers du virus. Ses collègues
continuent à travailler sans les équipements nécessaires, dans la mesure
où « il n’y a pas de gants, ni de masques ou de combinaisons
censés nous protéger contre le virus ».
Un
premier décès très probablement lié au Covid-19 dans la ville a eu lieu le
19 février. « C’était un médecin généraliste qui a été en contact
régulier avec les malades, explique Nargues. A l’époque,
personne n’avait de kit de test du coronavirus, mais les symptômes étaient
là. » Comme ce médecin n’avait pas voyagé en Chine, et compte
tenu des deux semaines d’incubation, Nargues pense que la maladie est arrivée
en Iran « début février, voire fin janvier ».
Depuis,
l’inquiétude a dépassé les cercles médicaux pour se propager à l’ensemble de la
société, plus défiante que jamais vis-à-vis du gouvernement. L’incertitude et
l’isolement dominent, à la veille du Nouvel An iranien qui tombe, cette année,
le 20 mars. Le régime est aujourd’hui accusé d’avoir masqué l’apparition
des premiers cas dans le pays pour ne pas mettre en péril la participation aux
élections législatives du 21 février.
Car
c’est seulement le lendemain de la mort du collègue de Nargues que les
autorités ont fini, la veille du scrutin, par prononcer le terme de
« coronavirus ». Et ce, grâce à l’acharnement d’un autre médecin. Son
frère avait succombé du Covid-19 dans la ville religieuse de Qom, présentée par
la suite comme l’épicentre du virus. Il lui a fallu se battre pour obtenir un
diagnostic officiel.
Les chiffres officiels tournés en dérision
« Cette
année, je n’ai même pas encore fait pousser le sabzeh », les
germes de blé ou de lentilles que les Iraniens mettent sur une table, avec
d’autres objets, pour accueillir le printemps. « Je n’ai pas la tête à
ça, comme tout le monde », explique Nargues. D’habitude, en mars,
les rues du centre-ville de Rasht offrent aux yeux un spectacle joyeux de
couleurs et d’odeurs. Le bazar de la ville est rempli de marchands ambulants,
proposant fruits et légumes et d’autres produits pour les célébrations de la
nouvelle année. Or, ces jours-ci, les rues de Rasht sont désertes. Depuis le
22 février, dans la capitale du Gilan, comme ailleurs dans le pays, les
écoles sont fermées. Depuis, les enfants de Nargues ne sont sortis de chez eux
que deux fois.