SOUDAN. TOUS LES SERVICES DE SÉCURITÉ AYANT ATTAQUÉ DES MANIFESTANTS DOIVENT RENDRE DES COMPTES
Une enquête menée par Amnesty International a conclu que tous les services des forces de sécurité du pays étaient impliqués dans la répression au Soudan lors des manifestations contre le gouvernement du président déchu Omar el Béchir en 2018 et 2019 et a dévoilé de nouveaux éléments de preuve sur les circonstances entourant la mort des manifestants.
Dans son nouveau rapport intitulé "They descended on us like rain", Amnesty International dénonce le fait que la police, le Service national de la sûreté et du renseignement (NISS) et les Forces d’appui rapide (RSF), une force paramilitaire, ont mené à des moments différents des attaques meurtrières contre les manifestants.
« Au cours de nos recherches, de nombreuses victimes et leurs familles ont clairement identifié les branches spécifiques des forces de sécurité qui ont attaqué violemment les manifestants. Nous avons recueilli des éléments de preuve sur des homicides précis et sur les forces de sécurité impliquées, a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Nous demandons aux autorités de transition du Soudan de mener des investigations approfondies, efficaces et indépendantes sur tous les homicides de manifestants et autres violations des droits humains. Ces enquêtes doivent couvrir toutes les phases des manifestations, particulièrement de la mi-décembre 2018 au 2 juin 2019. Chaque victime doit obtenir justice. »
Les forces de sécurité ont utilisé une force excessive afin de causer le maximum de dégâts aux manifestants, se livrant à des violations choquantes des droits humains, notamment la détention arbitraire massive de milliers de personnes, la torture et les mauvais traitements. Elles ont également envahi les hôpitaux, arrêté et frappé des professionnels de santé et des patients.
Par ailleurs, ce rapport présente des événements et des témoignages glaçants de manifestantes victimes de viols et d’agressions sexuelles.
La répression exercée par le NISS
Le NISS, rebaptisé Services des renseignements généraux (GIS) en juillet 2019, et ses obscures unités d’intervention armée sont responsables des premières répressions meurtrières contre les manifestants en décembre 2018 et ont mené des attaques contre les manifestants jusqu’en avril 2019, lorsqu’Omar el Béchir a été renversé.
À Atbara, l’unité d’intervention armée, Hyaṯ Alamlyat, a tiré sur les manifestants le 20 décembre 2018, causant les premiers morts – trois victimes à Atbara, la ville où les manifestations ont éclaté en raison de la flambée du prix du pain.
« Cette répression meurtrière à Atbara, qui malgré son riche passé de syndicalisme et de résistance n’avait jamais connu d’homicides de manifestants, a plongé la ville dans un état de choc et de deuil », a déclaré Deprose Muchena.
Tariq Ahmed, la première victime, étudiant en ingénierie à l’Université de la vallée du Nil âgé d’une vingtaine d’années, a été blessé par balle à la poitrine et est décédé une heure plus tard à l’hôpital. La deuxième victime, Isam Ali Hussein, ouvrier de 27 ans, a été touchée à la tête et est décédée une heure plus tard à l’hôpital. La troisième, Mariam Ahmed Abdalla, a été abattue chez elle.
« Tariq et toutes les personnes tuées par des agents du NISS ne faisaient qu’exercer leur droit à la liberté de réunion et leurs familles ont droit à la justice », a déclaré Deprose Muchena.
Amnesty International a comptabilisé 77 morts parmi les manifestants entre mi-décembre 2018 et le 11 avril 2019, alors que le gouvernement fait état de 31 morts.
Intervention des Forces d’appui rapide (RSF)
Après le renversement par l’armée d’Omar el Béchir, les Forces d’appui rapide (RSF), forces paramilitaires, ont été déployées pour contribuer à disperser les manifestations.
Le 3 juin, des membres des RSF ont mené une attaque meurtrière contre des manifestants pacifiques qui avaient organisé un sit-in devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Au moins 100 manifestants ont été tués. Ceux qui ont survécu ont identifié des membres des RSF, mais aussi des agents du NISS et des policiers, comme étant impliqués dans le massacre.
Le 13 juin, le lieutenant-général Shams al Deen al Kabashi, porte-parole du Conseil militaire de transition, qui gouvernait alors le pays, a admis publiquement que le Conseil avait ordonné la dispersion des manifestants le 3 juin.
« Cette attaque sans la moindre provocation contre des manifestants emplis d’espoir et aspirant pacifiquement à une résolution rapide de la crise politique a bafoué de manière infâme les droits du peuple soudanais. Toutes les personnes présumées responsables, y compris celles qui assument des fonctions de commandement, doivent être traduites en justice dans le cadre de procès équitables, sans recourir à la peine de mort », a déclaré Deprose Muchena.
Des données contradictoires sur le nombre de morts
En se fondant sur des données émanant de plusieurs sources crédibles, dont le Comité des familles des martyrs de la révolution de décembre 2018, Amnesty International estime que pas moins de 100 personnes ont été tuées et plus de 700 blessées lors de l’attaque du 3 juin.
Des centaines de manifestants ont également été arrêtés ; la plupart ont été relâchés par la suite. Au moins 20 n’ont pas réapparu, selon Fadia Khalaf, fondatrice de l’Initiative pour les personnes disparues.
« Nous étions sidérés de découvrir qu’aucun organe gouvernemental ne pouvait dire avec précision et autorité combien de personnes étaient mortes dans le cadre de la répression des manifestations. Tous les services avaient des chiffres très divergents concernant le bilan du 3 juin 2019 », a déclaré Deprose Muchena.
La Commission nationale des droits de l’homme du Soudan a signalé 36 morts : 15 dans le secteur du sit-in et 21 en dehors de cette zone. Le ministère de la Santé en recensait 46, tandis que le ministre de la Justice signalait 87 manifestants tués le 3 juin.
Quant aux sources non gouvernementales, le Syndicat légitime des médecins soudanais (LSDS) a signalé 50 morts et le Comité central des médecins soudanais (CCSD) en a recensé 127.
« Les autorités soudanaises doivent redoubler d’efforts pour recenser dûment et vérifier l’ampleur des atrocités commises, notamment en impliquant les familles touchées », a déclaré Deprose Muchena.