Libye : l'envoyé spécial Ghassan Salamé raccroche
Nommé en juin 2017, le sixième envoyé spécial des Nations
unies en Libye, usé par un conflit parrainé par les puissances étrangères, a
demandé à être «libéré de ses fonctions».
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Ghassan Salamé jette l’éponge. Après plus
de deux ans d’efforts, l’envoyé spécial des Nations unies en Libye a demandé au
secrétaire général de l’ONU, António Guterres, de le «libérer de ses fonctions». «Je dois
reconnaître que ma santé ne me permet plus de subir autant de stress», a tweeté lundi après-midi l’intellectuel libanais de 69 ans.
En janvier, Ghassan Salamé avait tenté un
dernier coup diplomatique en réunissant
à Berlin les pays impliqués dans le conflit libyen pour qu’ils s’engagent à respecter l’embargo sur
les armes, violé au su et au vu de tous, et à cesser d’intervenir
dans la guerre civile qui
ronge le pays depuis 2014. Rien n’y a fait. En dépit des belles promesses, les
affrontements ont continué à Tripoli et dans sa banlieue, assiégé depuis
bientôt un an par les troupes du maréchal Haftar. Jeudi, des roquettes se sont
à nouveau abattues sur plusieurs secteurs de la capitale, dont l’aéroport de
Tripoli. Le lendemain, Ghassan Salamé a une nouvelles fois critiqué
les «cyniques» qui tentent de saper les discussions entre les
belligérants libyens, et réclamé un plus grand soutien international.
Fatigué,
le diplomate tenait à demeurer physiquement en Libye
L’envoyé spécial de l’ONU avait vu son
ambitieuse feuille de route voler en éclat, le 4 avril 2019, lorsque le
maréchal Khalifa Haftar, qui ne reconnaît pas l’autorité du gouvernement
d’union nationale issu de l’accord de paix de Skhirat (2015), avait déclenché
son offensive surprise sur Tripoli. Une semaine plus tard, une vaste conférence
nationale pour la paix, réunissant des acteurs venus de toute la Libye, devait
se tenir à Ghadamès, dans le grand Sud, pour clôturer un cycle de consultations
menées au plus près des municipalités depuis des mois. Elle n’aura finalement
jamais lieu. «Les
invitations étaient déjà envoyées», confiait
amèrement Ghassan Salamé, lors
d’une rencontre à l’automne, dans
son petit bungalow du village vacances d’Oea, devenu une base onusienne
fortifiée près de Tripoli. Le diplomate, fatigué, tenait à demeurer
physiquement en Libye. «Je suis résilient de nature. Après avoir absorbé le
choc, nous avons continué à travailler, expliquait-il à Libération. La plupart des ambassades occidentales ont quitté
la Libye dès la première semaine. J’ai pris la décision de rester.
New York me laissait le choix, mais plus la tension montait, plus notre
présence était importante.»
«Il
souffrait de problèmes de santé depuis longtemps mais était déterminé à
poursuivre son mandat jusqu’à ce qu’il atteigne un minimum de convergence
internationale sur la Libye, estime
Claudia Gazzini, de l’International Crisis Group, qui fut sa conseillère
politique pendant six mois. La conférence de Berlin et la résolution du Conseil
de sécurité représentent ce dénominateur commun qu’il recherchait.» La
résolution 2510, demandant l’arrêt des combats, a enfin été votée le 13 février. En parallèle,
Ghassan Salamé a lancé un processus de négociations entre les parties libyennes
à Genève, divisé en trois groupes de travail – politique, militaire et
économique. Les discussions, chaotiques, sont toujours en cours.
«Comme
essayer d’opérer avec les mains liées dans le dos»
«Le
timing de sa démission reflète le fait que l’initiative de Berlin a largement
échoué : aucun accord cessez-le-feu n’a été trouvé, les négociations
interlibyennes ne marchent pas, et le blocage du pétrole [Haftar empêche les
exportations] est toujours en place, rappelle
Rihannon Smith, coordinatrice à l’institut Libya Analysis. Bien qu’il ait fait de son mieux pour
impliquer toutes les parties, la confiance entre les Libyens et les Nations
unies en général, et Ghassan Salamé en particulier, a décliné à mesure que la
situation sur le terrain se détériorait.»