Publié par CEMO Centre - Paris
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Le coup politique qui ébranle la coalition Merkel

mercredi 05/février/2020 - 09:07
La Reference
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Ce n'était qu'une élection régionale, mais le séisme qu'elle a déclenché ébranle la coalition d'Angela Merkel au pouvoir à Berlin. Pour la première fois, un tabou politique a été brisé en Allemagne : celui qui interdisait à la droite, depuis la Seconde Guerre mondiale, de s'allier avec l'extrême droite.

Le vote fatidique a eu lieu mercredi au parlement régional de Thuringe, un Land peu peuplé (2,1 millions d'habitants) issu de l'ex-RDA. À la surprise générale, le candidat du parti libéral FDP (tout juste 5 % des suffrages aux dernières élections régionales, le 27 octobre), Thomas Kemmerich, a été élu ministre-président, c'est-à-dire chef du gouvernement régional, par la diète du Land. Outre les voix de son parti, il a obtenu celles des élus de la CDU, le parti d'Angela Merkel, mais aussi celles de l'AfD, le parti national-populiste.

Le ministre-président sortant Bodo Ramelow, du parti de gauche Die Linke, n'a obtenu que 44 voix, contre 45 à son concurrent libéral. Die Linke, arrivé en tête aux élections du 27 octobre (31 % des suffrages exprimés), tablait, pour l'emporter, sur une majorité relative avec l'appoint des voix des Verts et du Parti social-démocrate (SPD). Mais c'était sans compter l'apport inattendu des voix de l'AfD à son concurrent libéral qui s'est présenté en dernière minute.

Celui-ci a affirmé après son élection qu'il ne comptait aucunement gouverner avec l'AfD, mais plutôt avec une coalition que formeraient le FDP, la CDU, le SPD et les Verts, même s'il est exclu que les partis de gauche acceptent de s'engager dans une telle aventure après les événements de mercredi.

Naïveté

Les députés de la CDU et du FDP s'attendaient-ils à ce que leurs collègues de l'AfD mêlent leurs voix aux leurs ? Il est possible que non. Mais, même s'il n'y a pas eu préméditation, ce serait le signe d'une bien grande naïveté de leur part d'avoir donné aux populistes l'occasion de réaliser un tel coup politique, qui plonge le gouvernement Merkel dans l'embarras. « Nous ne sommes pas responsables du comportement électoral des autres partis », s'est défendu le chef local de la CDU, Mike Mohring.

Quoi qu'il en soit, le vote commun du centre droit avec les populistes est d'autant plus choquant pour nombre de responsables politiques allemands que l'AfD de Thuringe est aux mains de la fraction la plus extrémiste du parti. Le chef local de l'AfD, Björn Höcke, ne cesse d'assimiler le « régime de Merkel » à l'ancien pouvoir communiste est-allemand. Il y a trois ans, il avait critiqué le mémorial de Berlin en hommage aux victimes de la Shoah, le qualifiant de « monument de la honte » pour le peuple allemand. Plus récemment, il a estimé qu'Hitler ne pouvait pas être le symbole du « mal absolu ».

Toutes proportions gardées, ce que vit l'Allemagne ressemble à ce qui s'était passé en France lorsque Charles Millon (UDF), ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac, avait été élu président de la région Rhône-Alpes, en 1998, avec les voix du Front national.

Les réactions à Berlin ne se sont pas fait attendre. La députée écologiste Franziska Brantner a rappelé que c'était précisément dans ce Land de Thuringe qu'en 1930, sous la République de Weimar, la droite et le NSDAP, le parti nazi, avaient pour la première fois formé un gouvernement régional, prélude aux compromissions qui permirent à Adolf Hitler de parvenir au pouvoir à Berlin en 1933. Elle a réclamé l'organisation de nouvelles élections en Thuringe.

En milieu d'après-midi, la CDU en a fait de même. « Le mieux pour la Thuringe serait de nouvelles élections », a reconnu le secrétaire général du parti, Paul Ziemiak.

Hommes de paille

Mais la crise est ouverte. Le numéro deux d'Angela Merkel au gouvernement fédéral, le ministre des Finances Olaf Scholz (SPD), a averti que le vote de la diète d'Erfurt aurait des conséquences « bien au-delà de la Thuringe ». « Pour nous, cela pose de très sérieuses questions à la direction fédérale de la CDU et nous attendons des réponses rapides », a-t-il dit.

Le chef du SDP, Norbert Walter-Borjans, qui affronte là sa première grande crise depuis son élection à la tête du parti en décembre dernier, a exprimé sa fureur sur Twitter. « Que les libéraux jouent les hommes de paille pour le compte des extrémistes est un scandale de premier ordre, a-t-il écrit. Dans les directions berlinoises des partis, personne ne pourra se dérober à ses responsabilités. » Reste à savoir si le SPD y trouvera un prétexte pour rompre la coalition qu'il a formée depuis 2013 avec Angela Merkel à Berlin. S'il acquiert la conviction que la CDU a su ce qui se tramait en Thuringe et qu'elle y a sciemment participé – ce qui reste à prouver –, la crise politique prendra alors une ampleur inédite.

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