Soudan : comment les révolutionnaires ont repris le contrôle des quartiers
Six mois après l'accord de transition avec l'armée, les forces du
changement ont fait des quartiers des laboratoires de démocratie locale.
Un muret de parpaings, fraîchement cimentés,
et une cinquantaine de frêles arbrisseaux délimitent un carré de terre, au
milieu d'un ensemble de petits commerces. C'est le futur jardin public du
quartier résidentiel d'Amarat, rue 41. Le premier projet urbain de ses nouveaux
représentants locaux, proposé et financé uniquement par les dons d'habitants et
de chefs d'entreprise du coin. « Des sponsors privés nous ont approchés,
mais nous avons décliné pour rester libres », se félicite Mohamed Bader,
vendeur de café pur et aux épices. Une victoire symbolique sur l'ancien régime
d'Omar el-Béchir, qui avait prévu de vendre ce rare espace vide, ainsi
que la cour de récréation de l'école d'en face, à des investisseurs privés
rêvant d'enfilades de centres commerciaux.
« L'ancien comité de quartier organisait
la corruption en vendant des bouts de terrain à des proches et hommes
d'affaires, sans que l'argent ne revienne jamais ni à l'État ni aux citoyens.
Une partie de la cour de l'école publique a déjà été amputée, mais nous avons
annulé les derniers projets de l'ancien régime en alertant le nouveau
gouverneur de la capitale », explique Shaheen el-Shérif, 24 ans, élu
par une centaine de citoyens engagés d'Amarat pour diriger l'un des quinze
comités locaux de la capitale soudanaise, « en charge des services et du
changement ». Avec deux autres amis rencontrés pendant la révolution, ce
professeur d'anglais et d'informatique remplace la dizaine de membres conspués
de l'ex-« comité populaire ». Dissous le 21 avril
2019, 10 jours après la chute d'Omar el-Béchir, ces organes
clientélistes étaient censés représenter l'État à l'échelle du quartier, tout
en étant désignés et pilotés par l'ex-parti au pouvoir du Congrès national
(NCP).