Libye : "l'Algérie veut jouer un rôle de médiateur "
L'Algérie est inquiète du chaos qui règne chez son voisin libyen divisé
désormais entre le Gouvernement d'union nationale libyen (GNA) de Fayez
el-Sarraj basé à Tripoli et les forces du général Khalifa Haftar. Alger entend
peser diplomatiquement dans la résolution du conflit. Analyse avec le chercheur
Jalel Harchaoui.
La conférence internationale de Berlin
est un échec. Les douze pays présents n’ont pas réussi à convaincre le
général Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, et Fayez el-Sarraj,
Premier ministre du Gouvernement d’union nationale, de se rencontrer. Les
participants au sommet se sont engagés à stopper toute ingérence dans le conflit
et à respecter l’embargo sur les armes imposé par l’ONU. Cette promesse est
insuffisante pour Alger. Le nouveau président algérien Abdelamadjid Tebboune a
proposé d'accueillir un "dialogue" entre toutes les parties
libyennes.
Jalel Harchaoui est chercheur à l’Institut des
relations internationales de Clingendael (Pays-Bas), spécialiste de la Libye.
Il évoque cette volonté d'Alger de revenir sur la scène diplomatique.
TV5MONDE
: Comment est perçu le conflit libyen en Algérie ?
Jalel
Harchaoui : L'Algérie
partage 1000 kilomètres de frontière avec la Libye. Le conflit libyen est pour
Alger, comme pour la Tunisie, une réalité avec ces civils morts et ces
réfugiés. Plus de 160 000 personnes ont été ainsi déplacées depuis le mois
d'avril 2019. Certains acteurs internationaux ne comprennent pas le scepticisme
d’Alger pour le maréchal Haftar et son inclination pour le Gouvernement d'union
national (basé à Tripoli et reconnu par l'ONU), soupçonné d’être pro-islamiste.
Les décisionnaires algériens, haut fonctionnaires
et militaires algériens, détestent effectivement tout ce qui se rattache à
l’islam politique. Ils ont été traumatisés par le conflit en Algérie des années
1990 contre les terroristes islamistes.
Culturellement, Khalifa Haftar ressemble aux
dirigeants algériens. Comme eux c'est un laïc et un militaire. Pourquoi cette
défiance algérienne à son égard ? Le maréchal Haftar est perçu comme étant
l’agresseur, celui qui a déclenché l’offensive militaire d’avril sur Tripoli.
Pour les Algériens, ce que le maréchal Khalifa Haftar a fait, en bombardant les
civils, relève de la Cour pénale internationale de la Haye.
Relire : qui sont les acteurs du conflit ?
TV5MONDE
: Quels étaient les rapports de l’Algérie avec la Libye de Kadhafi ?
Les élites politiques algériennes détestaient profondément le régime de
Kadhafi. Mouammar Kadhafi était soupçonné en effet de soutenir des mouvements
sécessionnistes en Algérie. Mais les autorités algériennes avaient en face
d’eux un interlocuteur et surtout la Libye avait un État. L’intervention des
Français, des Occidentaux en 2011 a conduit à la disparition de cet État.
Par principe, pour Alger, on ne détruit pas la structure étatique d'un pays.
Les pays du Maghreb ont peur de vivre ce scénario. L'Algérie et le Maroc, qui
ont des désaccords sur à peu près sur tout, se rejoignent sur cette
condamnation de l’intervention occidentale en Libye et sur les dangers
sécuritaires que posent de la fin de l’État libyen. Les pays du Maghreb sont
unis politiquement sur cette question. Ils réclament la fin des ingérences
étrangères dans le conflit.
Alger
semble être réapparue sur la scène diplomatique. Est-ce que l'Algérie peut
peser sur l’issue de ce conflit ?
Pour la première fois, depuis 7 ans, l'Algérie a un président qui parle et qui
marche. La diplomatie algérienne est à nouveau et enfin incarnée. Les autorités
algériennes ont très bien analysé le nouveau paysage diplomatique. Il existe
aujourd’hui deux espaces diplomatiques. Le premier s’organise autour de la
Turquie et de la Russie. Cette espace diplomatique a réussi à mettre en place
un cessez-le-feu et une trêve assez fragile qui pour l’instant dure, même si au
sommet de Moscou, le maréchal Haftar n’a pas entériné et n’a pas signé
formellement le cessez – le-feu.
Un autre espace
diplomatique existe. C’est celui des Occidentaux, fortements divisés. En arrivant
à Berlin, Tebboune espérait que la communauté internationale « recueille les
fruits des efforts entrepris par Alger sur la question libyenne » (le président
algérien avait déjà acceuilli Fayez El-Sarraj, chef du Gouvernement d'union
national de Tripoli et le ministre des Affaires étrangères turc avant le
sommet, ndlr).
Alger espérait jouer un rôle à Berlin mais n’a finalement pas pesé. Berlin et
Paris n’étaient pas capables de s’entendre. Berlin plaidait pour un accord de
cessez-le-feu signé rapidement par les deux parties. Paris soutient le maréchal
Haftar et veut que ses forces puissent définitivement pousser leur avantage,
envahir Tripoli et unifier le pays. Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat
américain, n’a rien fait. C’est un échec complet et Alger, invité à cette
conférence, n’a pas réellement pu agir.
La Conférence international de Berlin est donc un échec, à la grande
satisfaction d'Ankara et Moscou, le camp des non-Occidentaux. Alger
espère désormais jouer un rôle en se rapprochant des efforts de médiation
d'Ankara et de Moscou. L’Algérie est proche de la Russie, notamment en ce qui
concerne les ventes d’armes. L’armée algérienne s'équipe en matériel russe.
Alger parle sans problème également avec la Turquie et compte sur des
investissement turcs. L'Algérie veut jouer un rôle de médiateur dans cet espace
diplomatique non-occidental qui entend résoudre le conflit en Libye.
Abdelmadjid Tebboune propose d'organiser une rencontre entre "frères
libyens". Cette rencontre est sans-doute possible avec le soutien d'Ankara
et de Moscou. Mais Alger n'est pas non plus une puissance majeure.
Est-ce
que cette nouvelle activité diplomatique a un effet sur la scène intérieure
algérienne, sur l'opinion publique ?
Je ne crois pas que l'activité diplomatique du nouveau président ait un impact
réel sur l'opinion publique algérienne. Les Algériens ont des préoccupations
bien plus sociales et économiques.