Publié par CEMO Centre - Paris
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Le rôle social des ordres soufis dans la région arabe

jeudi 06/septembre/2018 - 10:46
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Le Soudan est le pays arabe qui soutient le plus la stabilité communautaire et le règlement des conflits, ceci par le biais des « comités de réconciliation » formés d’arbitres d’une très grande sagesse. Ces comités ont pour mission de régler les conflits dans des domaines comme l'irrigation, l'agriculture, le pâturage, l'héritage et le statut personnel.

 

Aboul Fadl Al-Isnawi, expert des études maghrébines

 

 

Les ordres soufis dans de nombreux pays arabes et africains comme l'Egypte, le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, la Libye, le Niger, le Tchad, le Mali, le Sénégal, le Burkina Faso, et le Nigeria, jouent un rôle social qui prend différentes formes et dimensions même au sein d’un seul Etat.

Compte tenu du rôle social croissant de certains de ces groupes, surtout ceux qui ont un caractère extraterritorial, certains gouvernements locaux et étrangers ont cherché à les soutenir, pour combler le vide social laissé par certains courants de l'Islam politique. Ces derniers utilisent le travail social pour exploiter politiquement les gens simples.

Avant de répondre à la question centrale, à savoir sous quelles formes peut se manifester ce rôle social, quelles sont ses limites, et surtout comment le relancer, il convient de noter que les facteurs politiques et sociaux et les transformations subies par certaines sociétés arabes depuis la chute des Frères musulmans en Egypte en Juin 2013, ont eu une incidence positive considérable sur le rôle des ordres soufis dans certains pays, notamment au Maghreb arabe, dans certains pays d'Afrique, en Occident et au Soudan. Les ordres soufis jouent un rôle clé dans le règlement des conflits, la solidarité sociale et la lutte contre la pauvreté dans les régions rurales et marginalisées.

L’objet de notre étude est d'identifier ce rôle social des ordres soufis, de mesurer ses effets sur les courants de l'Islam politique, et de déterminer l’impact du soutien interne et externe sur le développement social des ordres soufis au cours des cinq dernières années. La principale problématique consiste à répondre à la question suivante : comment le rôle social des ordres soufis a-t-il évolué depuis Juin 2013 ?

L’étude est divisée en trois axes, le premier porte sur la carte soufie de la région arabe, et le second aborde le rôle social des confréries soufies. Quant au troisième axe, il traite des obstacles et des moyens de relancer le rôle soufi.

1  La carte des ordres soufis dans la région arabe

Avant de révéler le rôle social des ordres soufis, ses limites, et comment le développer, il convient d’abord de tracer la carte soufie dans le monde arabe et en Afrique, surtout que les confréries soufies sont en état d’expansion et de morcellement permanent, ce qui fait que leur nombre a augmenté et avoisine aujourd’hui les 300 confréries. Certaines de ces confréries possèdent un grand nombre de partisans, et ont beaucoup d’influence sur la vie publique, comme les Tidjani au Soudan, la Rifaiya en Egypte, la Rahmaniya en Algérie, la Bourhanya en Tunisie, la Alaoya au Maroc, la Chadélya en Syrie, la Issawiya en Libye, et la Alaoya Al-Ghazaliya au Yémen. Il existe aussi des confréries soufies dans certaines régions rurales qui jouent un rôle social dans des limites géographiques très restreintes (1).

Géographiquement, les ordres soufis de la région arabe se trouvent en Afrique du Nord, surtout l'Egypte et le Soudan, dans les pays du Maghreb arabe (Algérie, Tunisie, Maroc, Libye), en Afrique de l'Est (Somalie) et en Afrique de l'Ouest (Mauritanie). On trouve aussi des ordres soufis, dans des limites plus restreintes, dans la région du Golfe (Koweït, Emirats arabes unis et Bahreïn), en particulier la Qadiriya et la Naqshbandya (2).

Il est primordial de classer ces groupes en fonction de leur champ géographique (interterritorial ou extraterritorial) c’est-à-dire dans les frontières de l’Etat ou hors des frontières de l’Etat, et ce comme suit :

(*) Le modèle interterritorial (dans les limites de l'Etat):

Ici, on peut voir les ordres soufis dans une optique très étroite en les répartissant à l’intérieur de chaque Etat. Les ordres soufis d’Egypte peuvent porter les mêmes noms que ceux du Maroc, de Tunisie, d’Algérie et du Soudan ou encore d'autres pays arabes et africains. Cependant, le rôle social de ces confréries diffère d'un pays à l'autre, non seulement à cause de l’attitude de l'État vis-à-vis d’elles, mais aussi pour des raisons financières et économiques, et la capacité de ces groupes à rivaliser avec les courants de l'Islam politique sur le terrain social. Nous allons déterminer les caractéristiques des plus importants groupes soufis arabes et africains, qui jouent un rôle social, en prenant les cas de l'Egypte, du Soudan et du Maroc :

1- Les ordres soufis en Egypte

Il existe 78 confréries soufies en Egypte, réparties dans la vallée du Nil et dans les gouvernorats du delta, en particulier Gharbiya, Charquiya et Daqahliya. Parmi les confréries les plus répandues dans les quartiers du Grand Caire on trouble La Azmiya, la Saa’diya, la Rifa’iya, la Naqshbandiya, la Chéhawiya et la Chabrawiya.

Il est difficile de faire la séparation entre ces groupes soufis et la structure tribale dans les zones géographiques où ils opèrent, ce qui limite le rôle social du soufisme égyptien. Celui-ci s’est limité au cours des dix dernières années au règlement de certains problèmes sociaux, ainsi que l’instauration de la paix dans les villages et les hameaux qui possèdent une structure tribale solide.

3- Les ordres soufis au Maghreb arabe

En Algérie, il y a environ 30 confréries soufies réparties sur 9 mille Zawyas (petite mosquée). Elles réunissent 4 millions d’adeptes. Les plus célèbres sont la Rahmaniya, la Senussiya, la Darkawiya, la Tayibiya, la Tijaniya, et la Alawiya. Ces ordres se trouvent dans la capitale, et dans les zones proches des frontières marocaines, en particulier les méthodes Maridiya et Tijaniya. Quant aux ordres soufis au Maroc, ils sont aussi nombreux qu’en Algérie. En effet, il y a un chevauchement entre les groupes soufis des deux pays. Les confréries soufies marocaines se trouvent principalement dans les zones rurales à l’Est. Parmi les plus influentes on trouve la Hansaliya, la Alawiya, la Qadrawiya, la Karkariya, la Darqawiya, la Chadhéliya et les Chabiounes (6).

L’interrelation entre les groupes soufis aux pays du Maghreb arabe, et la concurrence entre le Maroc et l'Algérie en Afrique de l'Ouest ont donné au soufisme marocain une caractéristique très importante à savoir un déploiement à plusieurs niveaux. Si ces groupes jouent déjà un rôle social à l’intérieur des Etats, les gouvernements les encouragent à faire de même hors des frontières, en Afrique de l'Ouest et dans les pays du Sahel et du Sahara, ce qui a donné lieu à la « diplomatie spirituelle », qui est une caractéristique importante de la politique étrangère marocaine et algérienne en Afrique.

4- Les ordres soufis au Soudan

Il y a au Soudan une quarantaine de confréries soufies, réparties sur une vaste zone géographique. Chacune de ces confréries est un centre de gravité dans son périmètre géographique. Ainsi, la Sama’iya est très répandue au centre du Soudan et à l'ouest d’Omdurman. La Tidjaniya est répandue au Darfour, à Shendi, et à Al-Damer Al-Abyad ainsi qu’à Khartoum et à Omdurman. La Khatmiya est en vogue dans l'Est du Soudan et au nord de Khartoum. Quant à la Qadiriya, elle est très présente au centre du Soudan, et dans la province du Nil. Enfin, les méthodes les plus modernes comme la Bourhaniya, la Dandarawih et la Idrissiya, se trouvent dans des zones éparpillées près de la frontière égyptienne.

L’imbrication de ces groupes soufis soudanais dans les structures familiales et tribales a stabilisé et diversifié leur rôle social, les plaçant ainsi parmi les meilleurs groupes mystiques arabes. Rassemblés autour des sanctuaires des saints, les soudanais ont dépassé le problème du tribalisme. La loyauté à la famille et à la tribu est devenue une loyauté au village et à l’emplacement géographique. Soulignons aussi le fait que le soufisme soudanais joue un rôle dans le rapprochement entre les tribus et leur intégration les unes dans les autres, ce qui contribue à répandre la paix parmi les habitants des villages. Le rôle social des soufis soudanais a même réduit le fossé entre les classes sociales, qu’il s’agisse de citoyens pauvres, riches, éduqués, analphabètes, commerçants, agriculteurs et artisans.

 

(*) Le modèle extraterritorial et transfrontalier

Il s’agit des groupes soufis dont l’influence va au-delà des frontières de l'Etat, c’est-à-dire qui sont répandus dans plus d’un pays tout en restant sous la direction d’un seul cheikh. Ces groupes sont bâtis autour d’un système administratif et hiérarchique uni. La raison pour laquelle nous avons choisi d’inclure ce modèle à notre étude, est que celui-ci joue un rôle social interne et externe aussi bien au sein des communautés arabes que dans les pays occidentaux, les zones de crise et les régions pauvres qui ont besoin d'assistance. Ces groupes soufis travaillent en coordination avec certaines organisations de la société civile. Soulignons aussi le fait qu’ils possèdent une grande notoriété sur le plan économique et commercial.

Certaines confréries soufies sont parvenues à transporter leurs croyances et leur influence hors de leurs régions d’origine, que ce soit à l’intérieur d’un pays ou dans plusieurs pays à l’environnement politique et social différents. Elles ont étendu leur influence dans les zones à forte densité arabe et émigrée dans certains pays. Elles constituent aujourd’hui de véritables groupes transfrontaliers influents sur le plan économique et social.

Parmi ces ordres transfrontiers de la région arabe, il y a la Bourhaniiya et la Dessouqiya. Leurs adeptes en Egypte, en Libye, en Algérie, au Maroc, au Yémen, en Tunisie, en Syrie, en Jordanie et au Soudan se sont rendus en Europe. Les deux confréries possèdent désormais des adeptes en Suède, en Norvège, au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Suisse, en Italie, en Russie, au Canada et aux Etats-Unis. Les cheikhs de la méthode Muhammadiya Fawzawiya Karkariya, fondée par le cheikh Mohamed Fawzi au Maroc ont réussi à se déplacer au sein des communautés arabes en France, en Indonésie et en Espagne. Même chose pour les élèves du cheikh Mohamed Bahaa El Din Naqshbandi qui ont pu étendre leurs activités en Egypte et en Syrie à la plupart des pays asiatiques, surtout l'Asie centrale.

II – Les rôles sociaux du soufisme

Le fait que les rôles sociaux du soufisme soient très diversifiés ne signifie pas que ces rôles peuvent être généralisés à l’ensemble des groupes soufis. En effet, tous les groupes soufis n’ont pas la même fonction. Il arrive qu’un groupe assume plusieurs fonctions sociales, alors que d'autres se limitent à une fonction spécifique.

Les différences entre les fonctions sociales des groupes soufis sont dues à plusieurs facteurs dont le plus important est le potentiel économique du groupe. La plupart des fonctions sociales que nous allons aborder dépendent principalement de la capacité de chaque groupe à s’intégrer au sein de l'environnement social et tribal, en plus de sa présence sur le terrain. L’intégration des groupes soufis dans l’environnement tribal leur permet de jouer le rôle de médiateur dans les litiges, et donc de consolider la paix communautaire. Le charisme dont jouissent certains cheikhs soufis a fait que leurs conseils et leurs opinions sont mieux acceptés par la population. Soulignons aussi les nombreux sièges et zawiyas soufis, un fait qui contribue à accélérer leur infiltration dans la société.

Etant donné ce qui précède, les fonctions sociales des ordres soufis peuvent être identifiées selon les modèles suivants :

(*) Le modèle de solidarité : la plupart des ordres soufis dans la région arabe ont des liens avec différents groupes de travailleurs comme les ouvriers, les paysans et aussi avec les personnes marginalisées, que ce soit dans les villes ou les villages. En plus, ces groupes recrutent des personnes qui souhaitent se repentir. Tous ces facteurs ont fait qu’ils jouent un rôle de solidarité. Certains groupes ont fondé des centres pour la mémorisation du Coran, ainsi que des orphelinats et ont créé des fonds pour la collecte de la Zakat (aumone légale), afin de rapprocher les adeptes du soufisme des autres citoyens, qu’il s’agisse de dévots, d’amis ou de personnes recherchant simplement du travail. Certaines Zawiyas soufies reçoivent des personnes en voyage, et d’autres ouvrent leurs portes pour héberger temporairement des patients.

On remarque des différences en ce qui a trait à la forme de cette solidarité sociale dans nos trois exemples (Egypte, Maroc, Soudan). On note également un recul dans la performance des groupes soufis égyptiens par rapport aux groupes soudanais et marocains, ainsi qu’une diversification des méthodes de solidarité sociale chez les soufis soudanais et marocains. L’une de leurs plus importantes méthodes consiste à soutenir les mariages collectifs au sein des communautés pauvres et rurales. Exemple : ce qu'a fait Abdul Rahim bin Al-cheikh Mohammed Al-Borai, l’un des plus éminents cheikhs soufis au Soudan et dans le monde islamique. Le cheikh a fait plusieurs œuvres de charité. Il a marié plus de cinq mille jeunes hommes et femmes. Certains groupes soufis présentent des services sociaux comme les soins accordés aux mineurs, l’entretien des orphelins, et des veuves et l'adoption des enfants trouvés.

(*) Le modèle de développement: (éducation et culture) : le rôle des soufis dans le secteur de l'éducation est très ancien. Aujourd’hui, les soufis utilisent des moyens plus modernes. Ils ont abandonné les madrassas pour créer les écoles soufies, comme celles créées par le mouvement turc de Fethullah Gülen. Le mouvement a dernièrement élargi le champ de ses activités dans les pays arabes (Egypte, Algérie, Maroc et Tunisie), afin de fournir un nouveau modèle éducatif basé sur la modération et rejetant la violence. Les dons fournis par les entreprises et les hommes d'affaires soufis et par certaines Zawiyas ont permis d’accorder des bourses scolaires aux nécessiteux en Egypte et au Soudan.

Les soufis marocains ont fait la même chose dans la région du Sahel et d'Afrique de l’Ouest. Au Soudan, les adeptes de la confrérie Sémaniya ont créé plus de 15 instituts pour l'enseignement du Coran dans les zones rurales. Au Maroc et en Algérie, les ordres soufis, en particulier dans l'ouest algérien, en Kabylie et dans la campagne marocaine, jouent un rôle important dans l’enseignement du Coran et des autres sciences religieuses et aussi dans l’éducation des imams.

En dépit du recul du rôle éducatif du soufisme en Egypte à l'heure actuelle, il y a une possibilité que ce rôle soit à nouveau relancé, surtout après la création par le Dr Ali Gomaa, l'ancien Mufti d'Egypte, de la méthode Chadeliya Aléya. Les soufis égyptiens tiennent à organiser les mouleds, qui sont un phénomène social. En même temps, ils organisent des conférences pour enseigner la culture musulmane en Egypte et dans le monde. Ils constituent ainsi un outil pour attirer de nouveaux adeptes, et attirer certains jeunes sur le point de basculer dans la violence des groupes takfiris.

(*) Le modèle de règlement des conflits: Ce modèle est le plus répandus en Egypte et au Soudan comparé aux pays du Maghreb. En Egypte, on a vu ces dernières années les cheikhs soufis des méthodes Naqshbandiya, Idrissiya et Danadrawiya, agir dans les zones de vendetta et de conflits tribaux et familiaux. Ces cheikhs sont parvenus à mettre fin à la vendetta en formant les « conseils de réconciliation », qui assistent à la remise du linceul par le coupable à celui qui détient le droit du sang, bien que ces efforts interviennent à la fin du processus de réconciliation, en coordination avec la police. La solidarité des dirigeants non soufis (officiers de police, juges ou d’hommes de médias) avec les dirigeants soufis ont aidé ces derniers à jouer ce rôle. Et cela a donné du poids à ces réconciliations conclues par les cheikhs soufis.

Le Soudan est le pays arabe qui favorise le plus ce dernier modèle soufi sur le terrain social. Les adeptes des ordres soufis jouent un rôle majeur pour préserver la stabilité communautaire et régler les conflits, et ce par le biais des comités de réconciliation, qui sont aujourd’hui rattachés à presque chaque ordre soufi. Des arbitres d’une grande sagesse siègent dans ces comités. Les plus importants litiges réglés par ces comités ont trait à l’irrigation, à l'agriculture, au pâturage, à l'héritage et au statut personnel. Il y a aussi les conflits tribaux qui donnent souvent lieu au phénomène de la vendetta. Les succès des soufis dans le règlement des conflits s’expliquent par leur ancrage profond dans la société africaine et leur présence dans les zones rurales.

(*) Le modèle de lutte contre les maladies non traditionnelles (drogues et toxicomanie) : Puisque le soufisme est une forme d’éducation de l’âme qui vise à apporter le bien et à conjurer le mal, et étant donné qu’il représente un modèle social pur loin de tout sentiment d’hostilité, et de culpabilité individuelle ou collective, il représente pour beaucoup un refuge et un moyen d'éliminer les comportements nocifs comme la toxicomanie ou le vol. Les ordres soufis ont pu au cours des années 70 et 80 convertir des tueurs, des bandits, et des voleurs en adeptes dévoués qui bénéficient de la tolérance extrême de soufis et leurs Dhikrs incitant au repentir.

Les soufis soudanais ont joué un rôle plus grand dans ce domaine, en luttant contre la drogue et l'alcool, et en appelant leurs adeptes à observer la retraite spirituelle dans les mosquées. Selon les observateurs, un grand nombre de soudanais ont abandonné la toxicomanie et l’alcool sous l’impulsion soufie. Abdel Rahim El-Borai, cheikh de la méthode Sémaniya est l'un des plus importants cheikhs soufis qui ont exercé ce genre de travail social au village d’El Zériba dans la provice du nord de Kordofan Nord, à une distance d’environ 300 kilomètres de la capitale, Khartoum. Le cheikh a donné des conférences et a organisé des séminaires pour sensibiliser la population aux dangers de la dépendance et de la drogue. Grâce à lui, un grand nombre de Soudanais ont renoncé à ces pratiques illicites.

(*) Le modèle de la fraternité nationale et de la coexistence sociale (paix sociale):

L’ancrage du soufisme dans la société, le fait qu’il soit indissociable des structures tribales, et sa proximité avec le pouvoir ont fait qu’il joue aujourd’hui un rôle actif pour promouvoir la stabilité et la coexistence entre les religions. En Egypte, par exemple, la méthode Azméya Masréya, dirigée par le cheikh Alaaeddine Aboul Azaeem a fondé une association dont les membres sont des musulmans et des coptes. Soulignons aussi que la plupart des méthodes soufies tiennent chaque année à l’occasion du nouvel an, à visiter la cathédrale Saint-Marc à Abbassiya, pour répandre la paix sociale entre les musulmans et les coptes.

De même, les méthodes soufies au Maghreb, au Soudan, et en Afrique de l’Ouest jouent un rôle important pour promouvoir le dialogue et la coexistence pacifique entre les religions.

III Les obstacles au soufisme et comment les surmonter 

La capacité des groupes soufis à exercer différents rôles sur le terrain social comme mentionné précédemment, reste très moyenne si l’on tient compte du nombre important de ces groupes dans la région arabe. Certains rôles sont remplis dans certaines régions mais pas dans d'autres. Il y a des rôles qui sont exercés au niveau du pays dans son ensemble (sur un grand périmètre géographique), et il y a des rôles limités et qui restent confinés aux adeptes de la confrérie soufie. En dépit des tentatives visant à accroître le rôle social des ordres soufis, certains obstacles peuvent limiter ce rôle. Voici les principaux :

1. La faiblesse du soutien matériel fourni par les régimes politiques dans les pays arabes à l’exception du Maroc. Ceci est dû au fait que la plupart des ordres soufis dans les régions arabes ne sont pas intégrés dans des institutions étatiques, et ne sont régis par aucune loi qui réglemente leur travail, ce qui les expose aux troubles financiers. Soulignons également la lenteur du soutien moral fourni par certains gouvernements arabes. En dépit d’une volonté de donner au soufisme un rôle social plus grand pour combler le vide laissé par les courants de l’Islam politique, certains gouvernements craignent que les soufis ne se transforment en un acteur social fort difficile à contrôler.

2. Le recul du soutien occidental au soufisme dans la région arabe. Ce soutien financier légal renforce le rôle social de ces groupes mystiques, surtout ceux qui opèrent sur le terrain de la solidarité sociale. On remarque ainsi une baisse du soutien des Etats-Unis et de certains pays de l'Union européenne aux soufis dans de nombreux pays arabes, surtout après les révoltes de 2011, et l’arrivée au pouvoir des partisans de l’Islam politique dans certains pays.

3. Certains soufis comprennent mal l’essence du soufisme, et le considèrent comme un principe religieux qui n'a rien à voir avec le travail social. Cette perception a limité le soufisme à des pratiques spirituelles comme le Dhikr et autres. Cette perception doit changer par la diffusion du soufisme scientifique qui ressuscite et développe la culture sociale.

4. L’absence de coordination entre les cheikhs soufis, que ce soit à l’intérieur de l'Etat ou hors de ses frontières. Ainsi, les ordres soufis sont en concurrence entre eux et n’ont pas de position commune vis-à-vis des problèmes de la société dans la plupart des pays arabes. Ils se cantonnent derrière le pouvoir, et ne disposent pas de l’espace nécessaire pour régler les problèmes communautaires, un fait qui les aiderait à attirer des fonds.

5. Un grand nombre de confréries soufies sont confinées dans leur espace géographique étroit. Le rôle de certains de ces groupes ne dépasse pas les limites du village ou du hameau, d'autres n’agissent pas au-delà de la province où ils siègent. Il y a pourtant des exceptions. Dans certains villages d’Egypte et du Soudan, les groupes soufis jouent un rôle important dans la réconciliation et la consolidation de la paix.

6. L’action latente de la plupart des ordres soufis arabes, qui se manifestent uniquement dans les mouleds et lors de certaines crises politiques. Cela est évident dans le cas égyptien et algérien, bien que le Maroc, le Soudan et les pays d'Afrique de l'Ouest soient exclus de cette situation.

7. L’absence de coordination entre les groupes soufis transfrontaliers. Bien que certains groupes aient cherché à fonder des organisations internationales de soufisme, et même une union mondiale des ordres soufis à Paris, la communication entre les différents groupes fait toujours défaut. Pourtant, s’ils venaient à communiquer, ces groupes trouveraient assurément un soutien financier de la part des communautés arabes d’Europe, qui souhaitent enseigner à leurs enfants la pensée et les pratiques soufies pour faire face aux courants extrémistes.

Face à tous ces défis qui limitent l'extension et la diversification du rôle social des ordres soufis arabes, il faut agir à plusieurs niveaux, comme suit :

§ Les groupes soufis doivent aller à la rencontre des masses et sortir de leur isolement. Ils doivent devenir de véritables réformateurs et se déployer dans les zones marginalisées au sein des communautés musulmanes afin de mener un processus de réforme sociale et répandre les principes de solidarité sociale approuvés par l'islam.

§ La nécessité d'une communication entre les groupes soufis à travers l'échange et le transfert des expériences dans la région arabe, et la capacité de ces groupes à se solidariser et à s’unir au cours de la période à venir. La création d’un courant soufi fort et solide et dont l’influence s’étend dans la région arabe, aidera sans doute les ordres soufis à défendre les causes communautaires, en coordination avec les gouvernements.

§ Généraliser le modèle marocain en ce qui a trait à la relation entre le soufisme et le pouvoir. Le régime marocain a intégré le soufisme à son système de gouvernance, appelant à un retour à l'Islam mystique qui a marqué l'histoire officielle et populaire du Maroc. L’application du modèle marocain peut donner à l’Etat un nouvel allié stratégique, représenté par les groupes soufis. Ces groupes peuvent s’infiltrer au sein de la société et se procurer un rôle social dans les régions qui ont été vidées du rôle social joué par les Frères.

§ Elargir la création des centres et des Zawiyas Soufies, en particulier dans les zones de conflit permanent en Afrique. Ainsi, ces centres deviendront des refuges en cas de catastrophes naturelles ou d’épidémies. Le modèle optimal à cet égard est le modèle Tidjani au Kordofan du Sud.

§ Relancer le rôle des groupes soufis extraterritoriaux et en tirer profit financièrement. Ces groupes ont des branches dans les zones à forte densité arabo-musulmane en Europe, ce qui représente une source sérieuse de collecte de fonds. Ces fonds peuvent être utilisés pour lancer des activités charitables comme les soins accordés aux orphelins, la lutte contre les épidémies ou encore le règlement des crises et le soutien à la paix dans les zones de lutte en Afrique.

§ Etudier et appliquer le modèle économique des groupes extraterritoriaux aux groupes locaux et régionaux, afin de les aider à financer leurs activités sociales dans leurs régions respectives. Ce modèle économique adopté par certains groupes soufis consiste à créer des sociétés actionnaires capables de s’autofinancer sans recourir aux donations. Ces groupes traditionnels qui n’ont aucun rôle se transformeront ainsi en mouvements ouverts sur le monde extérieur, et capables de jouer un rôle social et de rivaliser avec les institutions de la société civile.

En guise de conclusion, on peut dire qu’il est nécessaire d'élargir le rôle social des ordres soufis arabes et de faire face aux défis de la période à venir, afin que le soufisme devienne un élément essentiel de la stratégie de remodelage du champ religieux dans la région arabe, et se pose en alternative sûre aux groupes de l'Islam radical. La relance du rôle social du soufisme, conduira à la réimplantation des groupes soufis dans les régions pauvres et les zones rurales. C’est là une stratégie efficace pour atténuer le phénomène de l’Islam militant et violent.

 

1  Aboul Fadl Al-Isnawi : « La problématique du rôle politique du courant soufi après le printemps arabe ». Centre arabes des études et des recherches, Le Caire-Egypte, sur le lien : http :/cutt.us/nqdkl

2  Source précédente

5- Voix maghrébines : « Les méthodes soufies en Algérie…les connaissez-vous» sur le lien : http://cutt.us/IGJ1B 

6- Barawi Abdel Wahab : « La carte des méthodes soufies au Maghreb et les Zawiyas répandues dans les zones rurales » sur le lien http://cutt.us/YyV4L.

7- Aboul Fadl Al-Isnawi : « L’avenir du soufisme dans le monde arabe après les révolutions ». Magazine Al-Siyassa Al-Dawliya, fondation Al-AHRAM- Le Caire sur le lien http://cutt.us/Y3NOn.

8- Abou Aqela Al-Torabi : « Le rôle des soufis dans la société » sur le lien http://cutt.us/JZRYS

 

9- Dr Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix sociale ». Magazine Al Qassam Al-Arabi, Université du Penjab Lahore –Pakistan. Numéro 24 – 2017

 

10- Salah Ghorab : « Les méthodes extraterritoriales soufies, conférence sur les moyens de relancer le rôle des soufis dans la protection de la sécurité nationale arabe  ». Magazine Al-Siyassa Al-Dawliya.

11- Source précédente

12-Dr Mohamed Al-Taqui : « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix sociale »

17- Site de l’imam Al-Chirazi : « Les méthodes soufies au Soudan et leur influence sur la rue » sur le lienhttp://cutt.us/87Z1f.

18- Voix maghrébines « Les méthodes soufies en Algérie…les connaissez-vous». Source précédente.

19- Aboul Fadl Al-Isnawi : Les méthodes soufies en Egypte et l’attitude de la rue égyptienne ». Source précédente.

20-Rencontre avec le chercheur Kamal Taqadom, l’un des dirigeants de la méthode Naqchabandiya en Haute Egypte – Mars 2018.

21- Dr Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix ». Source précédente.

22- Dr Amar Ali Hassan : « Le soufisme et la politique ». Source précédente.

23- Abou Aqala Altrass « Le rôle du soufisme dans la société ». Source précédente.

24-Rencontre avec le cheikh Alaaeddine Maadi Aboul Azaaem :  « La relations entre les soufis et les coptes » - Novembre 2014.

25-DR Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix sociale ». Source précédente.

26- Atef Abdel Hamid « Les méthodes soufies (5-6) sur le lien http://cutt.us/YpBOg

27- Khaled Saïd : « Pourquoi l’Occident soutient-il les méthodes soufies » sur le lien http ://cutt.us/h1P19

28-Aboul Fadl Al-Isnawi : « Les méthodes soufies et l’attitude de la rue égyptienne ». Source précédente.

29- Aboul Fadl Al-Isnawi : « Les méthodes soufies et l’attitude de la rue égyptienne ». Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram. Fondation Al-Ahram – Le Caire. Numéro 36 –Août 2017.

30- Dr Ibn Omar Omar Obeid Allah « Le rôle de la méthode tijanie dans les liaisons sociales en Afrique – Le Kordofan en tant que modèle ». Magazine Etudes africaines –Soudan –numéro 37 – 2007.

31- Salah Ghorab : « Les méthodes extraterritoriales soufies, conférence sur les moyens de relancer le rôle des soufis dans la protection de la sécurité nationale arabe  ». Source précédente.

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