Le soufisme maghrébin en Europe… une influence historique effacée par le terrorisme
Sarah Rachad
Depuis la montée de ce qu’on appelle «le djihad mondial» :
Al-Qaïda, puis Daech, la présence des Maghrébins (d’origines tunisienne,
algérienne ou marocaine) sur le continent européen a été associée au
terrorisme, au point que la première hypothèse faite s’agissant de toute
opération terroriste est qu’elle a été exécutée par un Maghrébin, ou d’une
personne naturalisée d’origine maghrébine, jusqu’à preuve du contraire.
Les centres de recherches occidentaux, à leur tour, ont obtenu des
rapports de presse et sécuritaires récents abordant ce lien entre le terrorisme
et les origines maghrébines des exécutants, de façon à intensifier leur travail
de préparation d’études démontant ce lien et expliquant ses causes, et en
allant même parfois plus loin en recherchant le responsable de la création de
ce lien.
Cette opinion a été étayée par l’implication d’un certain nombre de
membres de la communauté maghrébine d’Europe dans des opérations terroristes
depuis l’apparition de l’organisation Daech en juin 2014, et avant cela, par la
présence de nationalités maghrébines sur la liste des personnes recherchées en
Amérique après les attaques contre les deux tours (11 septembre 2001) et
jusqu’aujourd’hui, parmi lesquelles le Tunisien Faker Abdel Aziz Bousorra
inscrit par les Etats-Unis en 2004 sur leurs listes du terrorisme, les
Etats-Unis ayant promis 5 millions de dollars à celui qui fournirait des
informations à son propos, en affirmant qu’il est en contact avec les
organisations terroristes et qu’il est probable qu’il y retourne et exécute des
opérations contre eux.
Et du fait que les Occidentaux voient uniquement dans les Maghrébins des
terroristes, ils ont négligé un autre phénomène, qui est le «rôle du soufisme
maghrébin en Europe». Et des études occidentales et maghrébines ont souligné le
rôle important joué par le soufisme maghrébin pour répondre aux besoins
spirituels du continent européen dans le contexte du matérialisme croissant.
Ainsi, dans un livre dont la première édition est parue en 2008, sous le
titre « Le soufisme musulman en Occident : l’impact du soufisme maghrébin
en Grande-Bretagne », le chercheur marocain Dr Aziz Al-Kobayti Idrissi a
abordé le rôle du soufisme maghrébin en Occident d’une manière générale, et en
Grande-Bretagne en particulier.
Ce rôle a une dimension historique, qui a été étudiée par Dr Fawziyya
Al-Achmawi, professeur de langue arabe et de civilisation islamique à
l’Université de Genève, dans un article abordant l’impact du soufisme maghrébin
sur un large secteur d’intellectuels français et occidentaux, et en particulier
son rôle dans la conversion des Européennes à l’islam.
Al-Achmawi affirme : «On remarque actuellement en Europe un
engouement croissant pour l’islam soufi et ses rites spirituels de la part des
intellectuels et penseurs européens qui adhèrent à la philosophie de la
recherche de la vérité et à une croyance nouvelle de nature spirituelle, et ils
font l’éloge dans leurs écrits des valeurs spirituelles auxquelles aspire
l’âme ».
Et de poursuivre : «Le mérite de la diffusion de la pensée soufie
parmi les intellectuels et penseurs en France au début du vingtième siècle
revient aux cheikhs des confréries soufies maghrébines, qui avaient émigré en
France et s’y étaient fixés, et qui réussirent à attirer nombre de disciples
français et émigrés d’origine maghrébine, et à diffuser parmi eux la culture
soufie». Et elle prend l’exemple des deux écrivains français Louis Massignon et
Henri Corbin, influencés par la pensée soufie, chacun ayant fait l’éloge du
renoncement soufi dans ses écrits.
Puis elle aborde le succès réalisé par le soufisme chez les femmes
européennes au vingtième siècle, affirmant : «On trouve des figures
légendaires parmi les femmes européennes soufies comme la Française Lorraine,
qui a épousé en 1872 un cheikh tijani du sud-algérien et a adhéré à la
confrérie tijaniyya, après avoir embrassé l’islam».
Elle reconnaît que le phénomène de l’attrait qu’exerce le soufisme sur
les femmes existe toujours, et elle explique cela par le fait que les femmes
européennes recherchent souvent un aspect spirituel perdu dans les sociétés
occidentales. C’est également ainsi que les observateurs expliquent le fait que
des Européennes rejoignent les organisations djihadistes en laissant leur pays,
pour porter les armes et aller vivre dans le désert. Ainsi, lorsqu’elles
découvrirent au siècle dernier le soufisme et sa méthode, elles y adhérèrent,
et de même, lorsque Daech apparut, certaines n’hésitèrent pas à la rejoindre.
Quant à Saïd Minwach, «muqaddam» (disciple d’une confrérie autorisé par
le cheikh à enseigner aux autres disciples) dans la confrérie karkariyya au
Maroc, il est d’accord avec cela, affirmant à Al-Marja’ que la présence soufie,
où qu’elle soit, est forte, et mentionnant le rôle historique que le soufisme
maghrébin a réussi à jouer en France en particulier, étant donné les relations
entre eux et le fait que la France ait accueilli un grand nombre de Maghrébins.
Minwach explique la montée de l’islamophobie
en Occident par la disparition du rôle du soufisme et de l’influence soufie en
Europe, du fait que les terroristes sont soucieux de se présenter comme les
seuls représentants de l’islam, ce qui a fait croire à l’Occident que ces
terroristes sont l’islam.