Publié par CEMO Centre - Paris
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Carte de la présence du mouvement soufi en Europe - Les cas de la France et de l’Espagne

jeudi 06/septembre/2018 - 09:36
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Carte de la présence du mouvement soufi en Europe -

Les cas de la France et de l’Espagne

 

La présence soufie dans les pays européens s’est constituée à partir des étudiants étrangers, des immigrés et des réfugiés fuyant divers régimes politiques, en particulier en Afrique du Nord, en Inde et au Pakistan.

Ahmad Kamel Al-Beheiri

Introduction

La diffusion des mouvements soufis en Europe n’a pas bénéficié de l’intérêt qu’elle aurait mérité de la part des chercheurs et des décisionnaires du monde arabe, et cela malgré l’importance de son impact, et le rôle que jouent ces mouvements dans la lutte contre l’extrémisme et le fanatisme croissants au sein des communautés musulmanes d’Europe, comme résultat de la domination de certains mouvements de l’islam militant, et à leur tête celui des Frères. Du fait que les mouvements soufis en Europe essaient de présenter la pensée islamique à la société européenne sous une forme alternative modérée. Cela leur donne un impact important en renforçant les relations avec les autorités européennes. C’est dans ce cadre que se manifeste l’importance d’une étude de la carte de la présence du mouvement soufi en Europe, et ceci pour deux raisons : d’abord, pour déterminer les traits et les limites de cet impact, et ensuite, étant donné la possibilité de s’appuyer sur le mouvement soufi pour faire face à l’emprise croissance de la pensée extrémiste au sein des générations de jeunes musulmans en Europe. Nous prendrons les cas de la France et de l’Espagne comme modèles.

Premièrement : la présence soufie en Europe

 

 

La présence soufie en Europe commence au 4e siècle de l’ère chrétienne, avec l’entrée de l’islam en Andalousie, qui devient la capitale de la pensée soufie et le centre de rayonnement du mouvement soufi en Europe, à partir du 20e siècle, en particulier en Espagne et en France, en s’appuyant sur l’augmentation de flux migratoires dominés par la tendance soufie et partant des pays d’Afrique du Nord, Maroc, Tunisie et Algérie, la présence soufie dans les pays européens s’étant constituée à partir des étudiants étrangers, des immigrés et des réfugiés fuyant divers régimes politiques, en particulier en Afrique du Nord, en Inde et au Pakistan. Nous allons maintenant présenter les principaux traits de cette présence en Europe (en prenant l’exemple de la France et de l’Espagne).

A)  Espagne (présence historique)

Le nombre de musulmans en Espagne est d’environ 1,21 million et le pays comprend le plus grand nombre de soufis en Europe, et est considéré comme un centre important du mouvement soufi à travers les siècles. Le soufisme occupe la seconde place en nombre d’adhérents au sein de la communauté musulmane, après la doctrine sunnite. Arrive en troisième place la doctrine chiite. L’Espagne est ainsi considérée comme le berceau du mouvement soufi (en Europe), dont la présence remonte aux premières années de la présence musulmane dans la péninsule ibérique. Le mouvement a ainsi trouvé dans ce pays un terrain fertile pour s’épanouir à partir de l’Andalousie au 8e siècle, et l’Espagne a vu l’apparition des plus grands maîtres mondiaux du soufisme, qu’il s’agisse du philosophe Abou Abdallah Mohammad ibn Massarra Al-Jabali, ou d’Ibn Al-Arif Ahmad ibn Mohammad ibn Moussa As-Sanhaji Al-Andaloussi, fondateur au début du 10e siècle de l’école soufie qui porte son nom. Puis le mouvement soufi atteignit son plein épanouissement avec le grand maître Muhyi ad-din ibn Arabi, né dans la ville de Murcie en 1165 et mort à Damas en 1240. Ibn Arabi est considéré comme l’un des plus grands soufis et philosophes musulmans. Il a été suivi par Abd Al-Haqq ibn Sabein, et ach-Chachtari, l’un des plus grands poètes soufis, dont les œuvres nous sont parvenues par le biais du folklore marocain. Notons aussi parmi les symboles du mouvement soufi dans le monde sortis d’Andalousie : Abd Al-Haqq ibn Ibrahim ibn Mohammad Al-Mursi Al-Andaloussi As-Soufi, connu sous le nom d’Ibn Sabein, et le poète et écrivain Lissan ad-Din ibn Al-Khatib. Et durant le vingtième siècle, le mouvement soufi domina la plupart des mouvements islamiques d’Espagne, et Fernando Vidal Fernandez dans son livre «Les minorités religieuses» a présenté la carte de ce mouvement de la façon suivante :

 

 

 

 

 

 

1 – La confrérie Naqchbandiyya : elle occupe la première place sur la carte du mouvement soufi en Espagne, son siège principal se trouve dans la ville d’Orjiva à Grenade, capitale d’Alpujarra de Grenade. Le nombre de soufis naqchbandis est estimé à environ 1200, et la confrérie a de nombreux centres islamiques dans les villes d’Espagne, ainsi que de plateformes médiatiques sur le Net.

2 – La confrérie Tijaniyya : elle arrive en seconde place pour le nombre de ses disciples, et le cheikh « Tijani » est le cheikh et maître spirituel de cette confrérie, qui a été fondée au 18e siècle en Algérie.

 

 

3 – La confrérie Muridiyya : elle occupe la troisième place et est connue comme une confrérie reposant sur la foi, la soumission à Dieu et la perfection morale, et elle appelle à vouer ses intentions exclusivement à Dieu.

 

   Causes de l’influence soufie en Espagne :

Les causes principales de l’influence soufie en Espagne se résument ainsi :

 

 

 

 

 

 

Discours islamique modéré : c’est celui qu’adopte le mouvement soufi, qui se présente dans la société espagnole et européenne en général comme un rempart face à l’islam extrémiste.

Bon financement : il a permis aux institutions dépendant du mouvement soufi en Espagne d’étendre leur influence à l’intérieur des communautés musulmanes.

Présence historique : elle lui a permis d’imposer sa présence au sein de la société espagnole et de constituer un réseau de relations avec les différentes composantes de la société.

 

   Formes et outils de l’influence et du rayonnement soufis en Espagne :

1 – Organisations et ligues : elles dépendent des divers mouvements soufis et se chargent de donner des conseils religieux, et de développer la culture et les coutumes islamiques. Citons par exemple les organisations dépendant du mouvement Suleymanci, qui s’occupe de la communauté turque dans les pays européens, et gère des dizaines de ligues et d’organisations.

2 – Les écoles religieuses : certains mouvements soufis supervisent des écoles dans le but de former des prêcheurs et imams, comme l’Institut Al-Ghazali à Paris.

3 – Les mosquées : les divers mouvements soufis gèrent diverses mosquées dans les pays européens.

4 – Associations caritatives : elles fournissent leurs services aux musulmans des pays européens. Il s’agit d’appartements qui donnent des cours de religion et octroient des aides financières aux pauvres, et en particulier aux étudiants et aux exilés.

5 – Institutions médiatiques : la plupart des mouvements soufis possèdent un réseau médiatique sur le Net et les médias sociaux pour présenter leurs points de vue religieux, en général dans les langues des pays européens où ils sont implantés, outre l’arabe dans certains cas.

 

B)  La France

 

La France occupe la seconde place après l’Espagne pour l’influence des mouvements soufis et le nombre des adhérents. Leur présence est concentrée surtout dans la capitale Paris, et sa banlieue, par le biais d’institutions religieuses. Ce sont les confréries Qadiriyya et Tijaniyya qui dominent le mouvement soufi en France, dont le rayonnement est dû à l’arrivée des émigrés maghrébins au début du 20e siècle. Des écrivains et intellectuels français ont même été influencés par le mouvement soufi à ses débuts, comme Louis Massignon et Henri Corbin, et leurs œuvres manifestent cette influence des idées soufies.

 

L’écrivain Jean-François Mondot, dans son livre sur les imams de France, parle d’un symbole soufi, l’imam Mohammad Iwaz, responsable des affaires culturelles à la Mosquée de Paris et ex-professeur à l’Institut Al-Ghazali, de sa capacité à faire des sermons en français et en arabe, et du degré de son influence sur les milieux musulmans en France en présentant des idées soufies modérées et en refusant le fanatisme et la violence.

 

 

   Carte des institutions soufies en France :

    

   Les plus importants centres d’influence soufie en France comprennent :

    

   1 – L’institution de la Grande Mosquée de Paris : elle a été fondée en 1922 par le maréchal Lyautey, avec un soutien franco-marocain, et est l’un des centres les plus importants d’enseignement de la religion en France aux musulmans originaires d’Afrique du Nord. La mosquée comprend une salle de prière, une bibliothèque et un institut d’enseignement de l’islam. L’Etat français a aidé les mouvements soufis à participer à la gestion de la Mosquée, et à influencer l’enseignement de la religion en son sein. Cela s’est manifesté par l’autorisation accordée au cheikh Sidi Ahmad Al-Alawi Al-Mustaghanmi, cheikh de la confrérie Alawiya, de visiter la Mosquée, et la volonté d’encourager la présence de ce mouvement soufi en son sein pour accomplir des tâches religieuses.

    

    

    

   2 -  L’Institut Al-Ghazali de formation des imams : l’Etat français a fondé en 1993 l’Institut de l’imam Al-Ghazali pour former les imams et enseigner des conceptions religieuses modérées dominées par le modèle soufi aux musulmans français en langues française et arabe – comme l’indique le choix du nom de l’institut.

    

    

   Principales confréries soufies actives en France

1 – La confrérie Naqchbandiyya : c’est l’une des plus grandes confréries en France et en Europe, en nombre de disciples et en extension géographique. Elle s’appuie sur les émigrés marocains à Paris.

2 – La confrérie Qassimiyya Chadhliyya : son siège se trouve dans un appartement de la zone industrielle où se réunissent les disciples chaque jeudi et dimanche, après la prière de l’après-midi. Ce sont en majorité des travailleurs et commerçants tunisiens. La confrérie tient son nom du cheikh Aboul-Qassim Al-Balkhiri.

 

Deuxièmement : causes de l’extension du mouvement soufi en Europe actuellement

 

   Acceptation officielle et populaire européenne : l’extension du mouvement soufi en Europe est l’un des principaux outils de lutte contre l’extrémisme en Europe, et il est utilisé comme un rempart face aux groupes de l’islam militant et violent et aux idées extrémistes, en diffusant l’image modérée de l’islam soufi par opposition au discours des mouvements islamistes violents. C’est ce qu’explique un rapport publié par la revue américaine US News and World Report sous le titre « intelligences, cœurs et dollars » en 2005. Le rapport affirme ainsi : « Les stratèges américains pensent de plus en plus que le mouvement soufi avec ses ramifications internationales peut constituer l’une des meilleures armes, et alors que les officiels américains ne peuvent pas reconnaître le soufisme en public, du fait de la séparation entre la religion et l’Etat dans la constitution américaine, ils s’orientent de fait vers le renforcement de la relation avec le mouvement soufi. Et parmi les suggestions faites, figure le fait d’utiliser l’aide américaine pour restaurer les lieux saints soufis à l’étranger, préserver leurs manuscrits anciens qui remontent au Moyen-Age et les traduire, et pousser les gouvernements à encourager la renaissance du soufisme dans leurs pays ».

   Attirer les adeptes et diffuser le soufisme : et cela, en s’appuyant sur les mosquées et les centres soufis, qui cherchent à diffuser le soufisme parmi les musulmans et les communautés émigrées en Europe, et le champ de leur activité s’est étendu à l’emploi des moyens de communication modernes pour diffuser la pensée soufie dans les sociétés européennes, en essayant de présenter une alternative modérée au discours des mouvements de l’islam politique.

   Le soutien politique aux politiques de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme : les pays européens s’appuient sur le mouvement soufi et les médias sociaux pour gagner un soutien aux politiques de lutte contre le terrorisme et en particulier à la mobilisation militaire contre les organisations terroristes comme Daech, en Syrie et en Irak, et le mouvement soufi apparaît ainsi comme un outil islamique pour expliquer les causes de l’intervention militaire européenne contre le terrorisme dans des régions du monde musulman.

En conclusion, le mouvement soufi en Europe est l’un des outils les plus importants pour diffuser le discours islamique modéré au sein des communautés musulmanes du continent, et bien qu’il ne jouisse pas de l’intérêt qui conviendrait et ne fasse pas l’objet d’études suffisantes, il exerce actuellement une influence notable dans les milieux des émigrés et surtout chez les jeunes, comme résultat du soutien qui lui est fourni de la part des autorités officielles. C’est ainsi que le mouvement soufi parvient à mobiliser les gens contre les idées extrémistes, en diffusant un discours islamique modéré au sein des sociétés européennes, et parmi les membres des communautés musulmanes. Ces efforts ont sans doute attiré l’attention à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe, étant donné les craintes de voir les idées extrémistes contaminer les jeunes musulmans en Europe. D’un autre côté, il est à craindre que les mouvements chiites n’utilisent les confréries soufies pour s’infiltrer dans les pays européens, en particulier ceux qui sont soutenus par l’Iran : c’est une question qui pourra être étudiée à une autre occasion.

 

Sources :

1 – En arabe

Les efforts des orientalistes dans l’étude de l’histoire du soufisme : étude des principales opinions et œuvres des orientalistes sur le soufisme – M. M. Zuhayr Youssouf Aliwoui Al-Haydari, Université d’Al-Qadissiya, Faculté de pédagogie, département d’histoire.

La Mosquée de Paris, phare religieux et civilisationnel qui éclaire la France depuis près d’un siècle, Mohammad Salah ad-Din Al-Mestawi, 2 septembre 2017, http://www.mestaoui.com

Le cheikh du soufisme d’Espagne : 3 millions de soufis en Europe, les Naqchbandis et les Chadhlis sont les confréries les plus connues du vieux continent. Revue ad-Doustour, 19 avril 2018.

Le soufisme en Occident : relecture et changements – Revue Diogène n° 187 – Thierry Zarkone – Traduction : Othman Moustapha.

Le Cheikh des zaouias d’Espagne : pourquoi les pays européens se sont-ils mis à soutenir le soufisme ? – Organisation du Grand Cheikh pour les études soufies - https://al-sufia.com/

 

2 – En anglais

Muslim Networks and Movements in Western Europe- SEPTEMBER 2010 Pew Forum on Religion & Public Life

MUSLIM DIASPORA- THE SUFIS IN WESTERN EUROPE - KHALZD DURAN

 

 

 

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