Le principe de l’intervention dans les affaires internes des pays à la lumière de la Charte des Nations unies (2-2)
Le principe de non-intervention permet de protéger un Etat contre les pressions extérieures, qu’elles soient militaires, politiques ou économiques, qu’il subit de la part d’autres Etats, qui veulent lui imposer leur volonté et leurs conceptions, en l’obligeant à faire quelque chose ou à s’en abstenir.
On peut ainsi dire que l’intervention est un acte arbitraire dans le but de porter atteinte à l’indépendance politique et à la souveraineté d’un Etat en recourant à la contrainte et à la pression par la voie de la force, d’une manière contraire au droit international.
L’intervention revêt diverses formes selon l’angle sous lequel on la considère :
- Du point de vue de sa nature : on peut parler d’intervention politique, militaire, économique, culturelle, idéologique, financière…
- Du point de vue de sa forme : on peut parler d’intervention directe ou indirecte.
- Du point de vue de ceux qui la pratiquent : on peut distinguer l’intervention individuelle de la part d’un seul Etat, ou collective de la part de plusieurs Etats, ou l’intervention d’une organisation comme l’organisation des Nations unies ou de l’OTAN.
Ce qu’on entend par compétences internes
Les avis divergent sur la définition des affaires considérées comme relevant de la compétence interne des Etats. C’est ainsi que des divergences importantes surgissent entre les organisations et leurs Etats membres, ou entre les Etats membres eux-mêmes, sur ce que l’on peut considérer comme affaires internes, et en particulier, s’agissant de sujets relatifs aux droits de l’homme et aux guerres civiles. Et il est impossible, en fait, de recenser les questions qui rentrent dans le cadre de cette compétence. Voire, des divergences existent même pour une question donnée, selon ses répercussions au niveau international dans chaque cas considéré, en ce sens qu’il y a des questions qui peuvent relever, dans des circonstances politiques données, de la compétence interne, alors qu’elles n’en relèvent plus dans d’autres circonstances politiques.
Sans parler des divergences entre les positions qu’adoptent les Etats sur les questions de même nature, en fonction de leurs intérêts dans chaque cas, ce qui a transformé la notion de compétence interne, qui devrait être juridique, en notion politique, dépendant en premier lieu des orientations politiques de la majorité des Etats membres des Nations unies.
Malgré cela, certaines questions font l’objet d’un consensus sur le fait qu’elles ne relèvent que de la compétence nationale des Etats, comme les questions relatives au système constitutionnel interne, au service militaire, à l’instauration des relations diplomatiques, ainsi que les questions relatives à l’octroi de la nationalité, au traitement des étrangers, ou aux contraintes de l’émigration, à moins qu’elles ne soient régies par des traités internationaux, auquel cas elles acquièrent un caractère international.
Certains spécialistes de droit public ont recensé les questions qui rentrent dans le cadre de la compétence interne, à la lumière de la pratique en matière de relations internationales et de règles du droit international. Et l’Institut de droit international a examiné ce sujet lors de nombreuses sessions, et en particulier lors de la session d’Oslo en 1932, et de la session d’Aix-en-Provence en 1954. L’Institut a ainsi déclaré lors de cette dernière session qu’il fallait admettre l’idée de compétence interne, c’est-à-dire l’existence d’activités vis-à-vis desquelles les pouvoirs de l’Etat ne sont pas limités par les dispositions du droit international, et qu’il est impossible de déterminer, étant donné l’absence de critères clairs pour cela. Et il a ajouté que ce concept évolue de par sa nature en fonction de l’évolution des relations internationales, que les accords internationaux sont un facteur décisif pour déterminer son champ, et que l’évolution du droit international conventionnel ne peut que conduire à la diminution du nombre de questions considérées comme internes. C’est ainsi que l’article 3 de la résolution de l’Institut du 29 avril 1954 stipule que le fait de conclure un accord international sur une question relative à la compétence interne la fait sortir de ce cadre, et interdit aux parties de l’accord de faire valoir cette compétence sur tout sujet relatif à l’application ou l’interprétation de cet accord.
Notons que selon la pratique au sein des Nations unies, le fait de limiter la compétence interne n’empêche pas de discuter les sujets relatifs à cette compétence, voire de mener une enquête à leur propos, mais empêche seulement la formulation de recommandations ou la promulgation de résolutions qui leur sont relatives.
En ce qui concerne l’instance qui détermine la nature de la question soumise, certaines délégations ont suggéré lors de la Conférence de San Francisco qu’elle relève de la compétence de la Cour pénale internationale, tandis que d’autres délégations ont suggéré que cela se fasse par le biais du Conseil de sécurité de l’ONU, à l’instar de ce qui se faisait à la Société des nations.
Malgré cela, le texte n’a pas précisé une instance déterminée pour assumer cette mission, ce qui implique que chaque branche de l’organisation peut trancher cette question. Sachant que l’article 4 de la résolution de l’Institut de droit international de 1954 considère que la question de savoir s’il s’agit d’une question relevant ou non de la compétence interne doit être tranchés par une instance judiciaire internationale.
Les exceptions au principe :
Etant donné que le principe de non-intervention tel que mentionné dans la Charte des Nations unies revêt un caractère politique, son application n’est pas exempte de difficultés, car le fait de décider de la légalité ou non de l’intervention dépend de la volonté politique de l’Etat. Ainsi, si l’intervention se fait avec le consentement du gouvernement et après son accord clair, alors dans ce cas, l’intervention est légale. Mais si l’intervention a lieu contre la volonté politique de l’Etat, elle est alors considérée comme un acte d’agression illégal, car elle vise à faire pression sur le gouvernement comme moyen de coercition contraire au principe d’égalité dans la souveraineté.
A cet égard, la jurisprudence a prévu certaines exceptions au principe, autorisant un Etat à intervenir dans les affaires internes d’autres Etats, et que l’on peut résumer dans l’intervention visant à préserver la sécurité collective des Etats, l’intervention à la demande d’un gouvernement, et l’intervention pour protéger l’humanité.
1) L’intervention pour préserver la sécurité collective
Le chapitre sept de la Charte des Nations unies précise les mesures prises par les Nations unies en matière de sécurité collective, et qui peuvent comprendre des actions militaires qui représentent à côté de la défense légale une exception juridique et légale au principe de non-intervention, tant que leur but est de préserver la sécurité et la paix internationales. Remarquons que la contrainte de non-intervention dans les affaires internes – quel que soit son degré d’interprétation – ne peut être appliquée en vertu de la dernière formule de l’article 2/7, dans le cas de mesures de coercition prises par le Conseil de sécurité lors d’une menace pour la paix ou d’une atteinte à cette paix, selon le chapitre sept de la Charte. En d’autres termes, si le principe de base est la non-intervention des branches des Nations unies en cas de guerre civile dans l’un des Etats membres, en considérant qu’il s’agit d’une question interne, il est du devoir du Conseil de sécurité, si cette guerre a des répercussions au-delà des frontières de l’Etat et menace la paix et la sécurité internationales, de formuler des recommandations et promulguer des résolutions à chaque fois qu’il le juge nécessaire pour restaurer la paix, sans intervenir dans les aspects internes de cette guerre, relatifs à ses causes et aux moyens de les traiter.
2) L’intervention sur demande du gouvernement
La légalité de l’intervention à la demande du gouvernement a suscité un vaste débat jurisprudentiel. C’est ainsi que certains ont considéré que l’Etat exerçait tous ses pouvoirs dans le cadre du principe de la compétence interne, dont le fait de prendre toutes les décisions politiques et économiques qu’il juge utiles, et également de demander l’intervention d’un Etat étranger pour l’aider à mettre fin à des troubles internes ou des guerres civiles, de façon à redonner une légitimité au régime politique en place.
En revanche, d’autres considèrent que l’intervention sur demande du gouvernement est illégale, car le peuple est le seul à pouvoir choisir le régime politique, économique, social et culturel qui lui convient, selon le principe du droit des peuples à l’autodétermination. Ainsi, le gouvernement qui recourt à l’intervention d’Etats étrangers contre son peuple qui s’est rebellé contre le pouvoir en place est un gouvernement illégal car il a perdu son droit à exercer un pouvoir sur son peuple et sa qualité de représentant de ce peuple. En vertu de cette analyse, la demande d’intervention étrangère contre ce peuple est une violation flagrante du principe du droit des peuples à l’autodétermination. Ainsi, tout gouvernement qui demande à un Etat étranger son aide pour mater des rébellions internes montre ainsi qu’il a perdu les bases légales de son existence, et l’Etat étranger qui intervient dans les affaires internes dans ce cas porte atteinte au droit du peuple à exprimer ses choix politiques, et commet un crime international en recourant à la force pour soumettre un peuple à son autorité, et son intervention est une négation des droits fondamentaux de l’homme et une violation du droit de ce peuple à l’autodétermination, selon la résolution de l’assemblée générale numéro 1514 de décembre 1960.
3) L’intervention pour protéger l’humanité
La vie politique internationale a vu au début des années quatre-vingt-dix de nombreuses voix s’élever dans le monde occidental pour exprimer leur préoccupation face à ce qu’elles ont qualifié de « drames résultant de violations des droits de l’homme dans nombre de foyers de tension dans le monde ». Et en conséquence de cette préoccupation croissante qui procède en fait de considérations plus politiques et stratégiques qu’humanitaires, les grandes puissances se sont donné le droit d’intervenir dans les affaires internes des Etats sous prétexte de fournir des aides humanitaires.
C’est suite à certaines de ces interventions qu’un vif débat juridique a eu lieu sur l’intervention humanitaire et la question de savoir d’où elle tire sa légitimité juridique, et si le recours de ces grandes puissances à l’intervention dans des cas qu’elles considèrent relever de la violation des droits de l’homme marque la naissance d’un nouveau principe juridique en droit international.
La théorie de l’obligation d’intervention humanitaire a ainsi conduit à un changement des principes établis du droit international comme la souveraineté et la non-intervention dans ce qui relève de l’autorité interne, bien que la réalité de la pratique internationale prouve que dans l’immense majorité des cas, l’intervention humanitaire n’est rien d’autre qu’un moyen au service des intérêts politiques et stratégiques des grandes puissances, qui sont incapables de cacher l’importance des considérations politiques dans les opérations d’aides humanitaires, tout en essayant de tromper l’opinion mondiale par ces opérations de façon à utiliser la force pour intervenir dans les guerres civiles et les conflits internes. Cela a été expliqué en 2009 par le président de la 63e session de l’Assemblée générale des Nations unies Miguel d’Escoto Brockmann, lorsqu’il a affirmé que le principe de la responsabilité de la protection et la conception de la communauté internationale en matière d’intervention pour empêcher la perpétration de crimes contre l’humanité pouvait menacer la souveraineté nationale des Etats. Car en vertu de l’accord de 2005 signé par les Etats, la responsabilité de la protection signifie que les Etats sont responsables de la protection de leurs citoyens contre les crimes de guerre, les génocides et les crimes contre l’humanité, et que la communauté internationale intervient si les Etats ne remplissent pas ces obligations. Cela a été confirmé par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon durant la même session de l’Assemblée générale, lorsqu’il a indiqué que la responsabilité de la protection était un engagement international et qu’il n’était pas possible d’y renoncer car cela avait été décidé aux plus hauts niveaux et sans aucune opposition, et que la responsabilité des Nations unies était d’appliquer cet engagement. De même, le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix a affirmé devant le Conseil de sécurité, dans la séance du 12 février 2014, que « le maintien de la paix n’était réalisable en dernière analyse qu’avec l’accord du gouvernement hôte » et « qu’il convenait de ne pas mélanger la protection des civils avec l’intervention non consensuelle », dans le cadre de la responsabilité de la protection.
En réalité, le principe de non-intervention dans les affaires internes des Etats souffre à l’heure actuelle d’une crise de confiance. Si l’on se contente, à titre d’exemple, de mentionner la réalité de ses applications récentes dans certaines parties du monde arabe, il apparaîtra que l’intervention militaire en Libye en 2011 est sortie de l’objectif qui lui avait été fixé, à savoir la protection des civils, pour viser la chute du régime et le contrôle de l’Etat, ce qui n’a aucun rapport avec le concept de « responsabilité de la protection ». De même, le Conseil de sécurité a échoué à adopter une position unifiée sur les crimes de masse commis en Syrie en 2011 et qui ont acquis le caractère de génocide et de crimes contre l’humanité. Or, la responsabilité directe pour ces crimes est assumée par des Etats et de nombreuses parties à l’intérieur et à l’extérieur de la région. Mais l’exemple d’échec le plus flagrant de ce Conseil à assumer la responsabilité de la protection est sans aucun doute celui des habitants civils des territoires palestiniens occupés, Israël poursuivant depuis soixante-dix ans ses violations des résolutions des Nations unies sans être sanctionné, ce qui entraîne l’impossibilité de protéger ces habitants contre les crimes contre l’humanité ainsi commis.
Notons que malgré les nombreux recours présentés par les Etats devant les branches des Nations unies, et en particulier l’Assemblée général et le Conseil de sécurité ainsi que la Cour pénale internationale, en invoquant la compétence interne, l’organisation internationale a pris l’habitude de ne pas prendre en considération ces recours. Et si l’on trouve un petit nombre de cas où certaines branches les ont acceptés, c’était plus pour des considérations politiques que juridiques.
En conclusion, l’avenir des Nations unies dépendra dans une large mesure, comme ce papier l’a montré, du degré d’élargissement de l’interprétation de ce que l’on considère comme relevant de la compétence interne des Etats, des pratiques des grands Etats et de leur respect des règles du droit international et de l’égalité entre les pays en matière de souveraineté, et des pressions exercées par ces pays – pour leurs intérêts propres – sur les petits pays et de leurs interventions dans les affaires internes de ces derniers. Les peuples, tous les peuples, les Etats aspirant à la paix et les institutions civiles, aux niveaux interne et externe, doivent faire face avec force à tous les comportements illégaux, pour faire valoir les objectifs et principes de la Charte de l’organisation internationale des Nations unies.
La première partie de l'étude
https://www.lareference-paris.com/5688