Publié par CEMO Centre - Paris
ad a b
ad ad ad

En Libye, un échec européen

dimanche 05/janvier/2020 - 12:11
La Reference
طباعة

Editorial du « Monde ». Un désastre géopolitique est en train d’ébranler les marches méridionales de l’Europe sous le regard impuissant d’une communauté internationale – et en particulier l’Union européenne – qui a lourdement failli. Le théâtre libyen, déjà en proie à un chaos récurrent depuis 2011, menace d’exploser en une conflagration régionale aux conséquences imprévisibles pour l’aire méditerranéenne. Comme pour la crise syrienne, les fractures internes du géant d’Afrique du Nord, grosso modo divisé entre deux pouvoirs régionaux rivaux – Tripolitaine (ouest) contre Cyrénaïque (est) –, sont exploitées et approfondies par des ingérences étrangères en pleine escalade.

L’un des protagonistes de cette internationalisation du conflit libyen est la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, qui conjugue sa dérive autoritaire avec une tentation expansionniste en Méditerranée orientale de plus en plus affirmée. Le chef d’Etat turc a multiplié ces derniers jours les déclarations martiales sur la Libye, menaçant de dépêcher des troupes à la rescousse du gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj, basé à Tripoli. Déjà, des informations plausibles font état de l’acheminement vers Tripoli de miliciens syriens proturcs, prélude à un possible envoi de troupes d’Ankara en janvier.

La Turquie affirme qu’elle ne fait que voler au secours d’un gouvernement reconnu par la communauté internationale, mais livré à lui-même, face à l’assaut déclenché contre Tripoli par le maréchal dissident Khalifa Haftar, l’« homme fort » de l’Est libyen, basé à Benghazi. De fait, l’offre de services d’Erdogan aux autorités de Tripoli répond au soutien militaire étranger massif dont bénéficie déjà Haftar. 

Lucide sur les responsabilités

Il faut sonner l’alarme face à cette poudrière qu’est devenue la Libye. La spirale des ingérences étrangères menace non seulement les équilibres maritimes en Méditerranée orientale, mais aussi la stabilité de l’Afrique du Nord et du Sahel. Il faut être lucide sur les responsabilités.

Celle du Conseil de sécurité des Nations unies, en premier lieu. Faute d’unité, il n’a pas été en mesure d’adopter une seule résolution appelant à l’arrêt de la bataille de Tripoli, lancée en avril, et encore moins d’imposer l’application de la résolution de 2011 décrétant un embargo sur les armes.

L’Europe a, elle aussi, étalé ses divisions – notamment entre la France et l’Italie –, se privant de toute action efficace. Si le volontarisme d’Emmanuel Macron a été un temps plutôt bienvenu, il s’est accompagné d’un jeu trouble, voire opaque, de la France en faveur d’Haftar, qui a grippé la médiation diplomatique. A Paris, le maréchal compte en effet nombre de sympathisants pariant sur sa capacité présumée à stabiliser la frontière méridionale de la Libye, à l’orée du Sahel. Haftar a interprété cette bienveillance française comme un feu vert à son ambition de conquérir Tripoli. Si un condominium turco-russe parvient à s’imposer en Libye, à l’instar de ce qui s’est produit dans le nord de la Syrie, l’Europe, aux premières loges, paiera le prix de son propre échec.

 


"