• Le projet turc d'intervention en Libye , vu par l'Afrique
Les pays limitrophes de la Libye sont les premiers à
réagir à l'annonce d'une éventuelle intervention militaire turque dans ce
pays miné par une guerre qui dure depuis la chute du régime de Muammar Kadhafi en 2011.
Ils craignent en effet une détérioration de la situation sécuritaire au Maghreb
et dans le Sahel. L'Algérie, qui partage une frontière
longue de 1 000 km avec la Libye, a fait connaître sa position
dès la fin décembre. Le président Abdelmadjid Tebboune a organisé le
26 décembre une réunion du Haut Conseil de sécurité (HCS),
qui regroupe les plus hautes autorités civiles et militaires du pays dans le
but d'évoquer la situation qui se dégrade en Libye. « Le HCS a décidé
d'une batterie de mesures à prendre pour la protection de nos frontières et
notre territoire national et la redynamisation du rôle de l'Algérie au plan
international » particulièrement en ce qui concerne le dossier libyen,
peut-on lire dans un communiqué
publié sur le site de l'agence de presse officielle algérienne, APS. « L'Algérie prendra dans les prochains jours
plusieurs initiatives en faveur d'une solution pacifique à la crise libyenne,
une solution exclusivement inter-libyenne », a déclaré de son côté, le
2 janvier, le ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum.
« L'Algérie n'accepte aucune présence étrangère sur le sol du pays voisin,
quel que soit le pays qui veut intervenir », a aussi vivement réagi
le ministre algérien cité par le journal observalgerie.com. Le chef de la diplomatie algérienne a réaffirmé que
« la voie des armes ne peut guère être la solution, laquelle réside dans
la concertation entre tous les Libyens, avec l'aide de l'ensemble des pays
voisins et en particulier l'Algérie ».
L'intervention turque se précise
Les députés turcs ont approuvé jeudi une
motion permettant au président Recep Tayyip Erdogan d'envoyer
des soldats en Libye pour soutenir le gouvernement d'union nationale (GNA) basé
à Tripoli contre l'offensive du maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de
l'Est libyen. Depuis 2014, une
guerre civile oppose les deux autorités qui se disputent le contrôle du
territoire libyen : le GNA reconnu par l'ONU et un gouvernement et
un Parlement dans l'Est libyen acquis au maréchal Haftar. Cette
dégradation du climat politique et sécuritaire a conduit à une résurgence du
terrorisme.
Le 2 janvier, le
président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est monté au front, mettant
en garde contre toute velléité de « contrôler » le territoire
libyen. Il a convoqué une réunion urgente du Conseil de sécurité nationale
regroupant notamment les ministres de la Défense, de l'Intérieur, des Affaires
étrangères et le chef des services de renseignements pour apporter une réponse
au feu vert du Parlement turc pour l'envoi de militaires en Libye. Cela fait
plusieurs semaines que l'Égypte, qui partage la plus grande frontière avec
la Libye (1 115 kilomètres), tente de faire pression pour une solution
politique à la crise libyenne craignant que les djihadistes de Syrie se
retrouvent aux portes de l'Égypte. Lors d'une réunion tenue en urgence le
30 décembre, la Ligue arabe a souligné « la nécessité d'empêcher les
ingérences en Libye » susceptibles de contribuer « à faciliter la
venue en Libye de combattants extrémistes terroristes étrangers ».
Autre pays également sous
pression : la Tunisie. Le président Kaïs Saïed a reçu fin décembre
son homologue turc au palais de Carthage, une visite vivement critiquée à
l'issue de laquelle les deux hommes ont tenu une conférence de presse et publié
la « Déclaration de Tunis pour la paix ». Un texte qui exhorte tous
les Libyens à « s'asseoir à la table de dialogue dans le but de parvenir à
une formule de compromis pour sortir de la crise libyenne actuelle, dans le
cadre de l'accord politique libyen et le respect de la légitimité
internationale, en passant de cette légitimité à la légitimité libyenne, qui
repose sur la légitimité populaire », selon l'agence de presse officielle
tunisienne TAP. Le document invite à « la préparation d'une
conférence libyenne fondatrice qui comprend toutes les composantes du spectre
politique et social, pour adopter une loi de réconciliation nationale complète
et organiser des élections législatives, présidentielles et locales libres et
équitables ». Même si Tunis tient à sa position de neutralité, son
président s'est à plusieurs reprises engagé en faveur d'une initiative de
dialogue entre tribus libyennes.
Les pays sahéliens inquiets
Les États sahéliens, qu'ils soient
limitrophes ou pas de la Libye, s'inquiètent également de la dégradation de la
situation sécuritaire dans le pays. Vendredi, le chef de l'Union
africaine Moussa Faki Mahamat s'est dit inquiet d'une potentielle
« interférence » en Libye après la décision de la Turquie de déployer
des troupes dans ce pays plongé dans le chaos. Dans un communiqué publié le
3 janvier il s'est déclaré « profondément préoccupé par la
détérioration de la situation en Libye et par les souffrances du peuple libyen
qui perdurent ». « Les différentes menaces d'interférence politique
ou militaire dans les affaires internes du pays augmentent le risque de
confrontation, avec des motivations qui n'ont rien à voir avec les intérêts
fondamentaux du peuple libyen et ses aspirations à la liberté, la paix, la
démocratie et le développement », selon son communiqué. Le chef de l'UA a également demandé à
la communauté internationale de se joindre à l'Afrique dans la recherche d'un
règlement pacifique de la crise en Libye, mettant en garde sur ses
« conséquences dangereuses » pour l'ensemble du continent.