France : La grève plombe les fêtes
L'impact de la grève dans les transports publics a pesé dès le premier jour sur l'activité des hôteliers parisiens, qui évaluent à - 20 %, en « moyenne », » leur baisse de fréquentation. « Les réservations business ont beaucoup souffert, la plupart des congrès, assemblées générales et autres symposiums prévus en décembre ayant été reportés », se désole Franck Delvau, président de l'Union des métiers de l'hôtellerie et de la restauration Paris-Île-de-France. Les disparités sont importantes, certains établissements proches des gares accusant des baisses beaucoup plus dommageables (autour de - 60 %) .
« Nous souffrons tous », soupire le propriétaire d'un hôtel du boulevard Haussmann, proche de l'Opéra. « Les réservations touristiques pour les fêtes sont au point mort. Nos clients provinciaux, toujours très nombreux en cette période pour admirer les illuminations ou s'offrir un spectacle, attendent de voir comment la situation va évoluer. La clientèle européenne répond également beaucoup moins, au profit d'autres grandes capitales, telles que Rome qui voit ses réservations exploser », complète Franck Delvau. Maigre consolation : « Les touristes venus de très loin, comme les Chinois ou les Américains, ont maintenu leurs réservations, il est vrai, prévues de longue date. » « Pour les TGV, on se débrouille, il y en a », témoigne Jean-Marc, un informaticien lillois qui avait prévu de passer le Nouvel An à Paris avec sa femme et leurs deux enfants. « Le problème, c'est Paris. Sans métro, je ne vois pas bien comment je pourrais m'y déplacer », s'interroge-t-il. C'est pourquoi il a jugé « plus prudent d'attendre ». « Si la RATP reste en grève, j'annule. Sinon, je ne suis pas inquiet, il sera toujours temps de réserver une chambre, il y a de la place partout », a-t-il pu vérifier sur Internet.
Chez Lipp, la soupe à la grimace
Le mois de décembre 2018 avait déjà été « épouvantable » en raison de la crise des Gilets jaunes ; « celui-ci sera encore plus mauvais », prédit un restaurateur de la porte Saint-Mandé, dont la clientèle est pourtant essentiellement locale. « Les repas de fin d'année avec les collègues de bureaux, on oublie cette année. Les Parisiens galèrent toute la journée dans les transports alors le soir, ils restent chez eux et je les comprends », bougonne ce professionnel. En attendant, son compte d'exploitation devrait subir une baisse de 40 %, ce mois-ci. « Quoi qu'il arrive, le mois sera pourri, quand bien même tous les métros reprenaient demain, ce qui n'est pas gagné », ironise-t-il.
Dans les enseignes plus touristiques, c'est également la soupe à la grimace. Chez Lipp, célèbre brasserie de Saint-Germain-des-Prés, ou à La Cagouille, le restaurant de poissons du quartier Montparnasse, les additions ont chuté de moitié, depuis le début de la paralysie. Aurélien et Laurent, deux frères toulousains, restaurateurs dans le 5e arrondissement sont un peu frustrés… « D' habitude, le midi, on est à 35 couverts, là, on en fait 15 en moyenne », constate Aurélien. La fin d'année est d'habitude propice aux déjeuners d'entreprise et donc aux privatisations de restaurants : deux groupes (soit 50 couverts) viennent d'annuler chez Aurélien et Laurent. « Pour compenser, on ouvre dimanche prochain et le 25 décembre », expliquent-ils. Ces patrons avaient prévu d'embaucher un second cuisinier en décembre, ils ont revu leurs plans et c'est l'un d'eux qui prête main-forte aux fourneaux.
Les taxis jubilent
Et quand les hôteliers éternuent, l'ensemble de l'activité touristique s'enrhume. Les musées d'Orsay et de l'Orangerie, qui appartiennent au même établissement public, n'ont fermé qu'une seule fois, depuis le début du mouvement social (le 5 décembre). Les équipes redoublent d'efforts pour ouvrir chaque jour, mais la gestion est « acrobatique ». « Certains agents de caisse et de surveillance ont du mal à rejoindre leur lieu de travail, si bien qu'il nous arrive de devoir fermer certaines salles ou de fermer plus tôt, faute de personnel en nombre suffisant, quitte à proposer aux visiteurs des billets en demi-tarif », explique-t-on au musée. « La fréquentation, elle aussi, est en baisse. Nous ne sommes probablement pas les plus touchés. Orsay et l'Orangerie sont accessibles par la ligne 1 du métro, qui est automatique et qui reste donc en service », se console la direction.
Comme toujours, le malheur des uns fait le bonheur des autres, même si, pour le coup, les gagnants des grèves sont ultra-minoritaires. L'arrêt du métro, des bus et des trains fait les affaires des chauffeurs de taxis et, dans une moindre mesure, de VTC. Pour les premiers, les compteurs s'affolent dans les bouchons et quelques courses suffisent à leur bonheur. « Les gens se battent pour monter, c'est dingue », jubile un chauffeur. Chez Uber, les conducteurs sont moins à la fête, même si leurs prix ont doublé, voire triplé aux heures de pointe, depuis le début de la grève. « Mais même à ce tarif, beaucoup de courses (dont le prix est fixé lors de l'embarquement des passagers) ne sont pas rentables », assure un VTC, qui a renoncé à travailler aux heures de pointe.
- 90 % en gare de Rennes, la Côte d'Azur fait grise mine
À l'autre bout des lignes TGV, le constat est parfois désespéré comme en gare de Rennes (Ile-et-Vilaine), où l'activité des surfaces commerciales (Yves Rocher, Bagel Corner, Hénaff & co, Relay, etc.) plonge de… 90 %. « Les trains, comme les voyageurs, sont devenus rares. Et quand ils sont là, énervés et en retard, ils n'ont plus le cœur à flâner ni à faire quelques courses », se lamente un de ces commerçants.
Bien plus au sud, sur la Côte d'Azur, on fait aussi grise mine. Au sens propre, avec les intempéries qui s'abattent sur la région depuis plusieurs jours ; au sens figuré, surtout, la grève à la SNCF n'arrangeant pas les affaires de l'industrie touristique. « Jusqu'au milieu du mois, nous avons travaillé à peu près normalement. C'est maintenant que les ennuis commencent », prévient Denis Cippolini, président de la fédération de l'hôtellerie-restauration Nice-Côte d'Azur, lui-même propriétaire du Servotel Saint-Vincent, un hôtel niçois de 90 chambres. « Les réservations pour les fêtes sont très mauvaises et nous craignons les annulations en last minute », redoute-t-il. Et ce n'est pas terminé. « Normalement, à Noël, on commence à prendre des réservations pour le carnaval de Nice. Là, c'est morne plaine », déplore-t-il. À plus long terme, Denis Cippolini s'« inquiète pour l'image de la France ». « L'an dernier, c'était les Ggilets jaunes ; cette année, la grève dans les transports. À croire qu'on fait tout pour faire fuir la clientèle étrangère », s'indigne-t-il. « Et je la comprends », renchérit un restaurateur du cours Saleya, à Nice. « Si j'étais allemand ou japonais, je ne viendrais pas m'emmer… dans un pays de fou comme le nôtre ! », galège-t-il.
Dans les stations de ski, du stress mais peu d'annulations
Tous les professionnels du tourisme ne sont pas logés à la même enseigne. À la montagne, les habitants des vallées s'attendent à des bouchons monstres, ce week-end, et les hôteliers ne sont guère inquiets. « Les gens viennent vraiment à leurs vacances du Noël, alors ils seront dimanche au sommet des pistes », assure-t-on à l'office du tourisme de Val-d'Isère (Savoie). Très peu d'annulations ont été enregistrées dans cette station huppée où se déroule, jusqu'à dimanche, le critérium de la première neige. « Les gens qui ne pourront venir en train prendront leur voiture. La neige est là, les gens s'organisent même s'ils sont un peu plus stressés que d'habitude. Quant aux étrangers, ils transitent par Genève où l'aéroport fonctionne normalement », ajoute cet employé de l'OT, qui annonce un taux d'occupation de 89,7 %. En revanche, la société SAGS, qui gère les parkings de la station, croule sous les appels et les demandes de réservation. Les places de stationnement seront chères et chez les autochtones, on craint la congestion en centre-ville.
En Alsace, où les marchés de Noël vivent leurs derniers jours, on a connu des jours meilleurs. « La première semaine des grèves, on n'a rien senti. Mais depuis hier, effectivement, les annulations dans les hôtels sont en augmentation », a pu constater Olivia Schreck, chargée de communication à l'office du tourisme de Colmar (Haut-Rhin), qui avance le chiffre de - 15 %. « Quand une famille annule, on retrouve très vite de nouveaux clients. C'est pour les groupes que c'est problématique, même si nous en avons moins qu'à Strasbourg. » Les restaurants, toujours archibondés en cette saison – au point qu'aucun ne se risque à prendre des réservations durant les cinq semaines de l'Avent – parviennent à tirer leur épingle du jeu. « On refuse simplement un peu moins de monde », sourit le patron d'une brasserie du vieux Colmar. Sous la toiture colorée des chalets du marché, en revanche, les commerçants ne sont pas à la fête. Moins de monde dans les allées, c'est autant de vin chaud et de « spritz » (les gâteaux de Noël traditionnels) non écoulés…
Jouets, champagne… L'activité au ralenti
Pour Nicolas, gérant d'une jolie boutique de jouets à l'ancienne, à Paris, Noël représente en temps normal 25 % de son chiffre d'affaires annuel. Cette fois, les choses seront différentes. « Je n'ai pas encore fait mes calculs, mais j'enregistre déjà 15 % de baisse depuis le début de la grève, par rapport à l'an dernier. C'est surtout la première semaine que cela s'est joué ; les clients étaient attentistes. Nos pertes se sont à peu près stabilisées depuis, mais les clients de banlieue et de grande banlieue ne viennent plus. Quant à nos fidèles qui se déplaçaient de province chaque année, de Marseille ou de Biarritz, je ne les ai pas vus. Idem pour les touristes, j'en vois peut-être un par jour. » Heureusement, ce commerçant « peut compter » sur les habitants du quartier », qui se déplacent à pied ou en vélo.
Stéphane est commercial pour des vins de propriété bio, il démarche les restaurateurs, mais les commandes se font rares avec la grève. « Le mois de décembre est normalement le meilleur mois dans la restauration, il y a les repas d'entreprise, le réveillon du 31… Là, on constate une baisse de 30 % minimum alors, forcément, on subit nous aussi et ce sont les indépendants qui trinquent ! » Quant au champagne, un classique en cette période, Stéphane assure ne pas avoir de demande. « Certaines brasseries sont même en train d'annuler ce qu'on appelle les repas améliorés. »