Soudan : l'ex-président Béchir face à un verdict mais pas à une extradition vers la Cour pénale internationale
La justice soudanaise n'a pas traîné, même si ses priorités ne sont pas celles de la Cour pénale internationale (CPI). Omar el-Béchir, l'ancien homme fort du pays a donc comparu dès le mois d'août 2019 devant un tribunal de la capitale Khartoum, assis à l'intérieur d'une cage de fer, après 30 ans d'un pouvoir autoritaire sans partage, et d'application d'un islam radical. Après sa destitution par l'armée le 11 avril sous une pression inédite de la rue, il a dû répondre devant la justice de possession et utilisation frauduleuse de fonds reçus de l'Arabie saoudite.
De grosses sommes offertes par le prince héritier saoudien en personne
Au cours du procès, le juge Al-Sadeq Abdelrahmane a précisé que les autorités "ont saisi 6,9 millions d'euros, 351 770 dollars et 5,7 millions de livres soudanaises (plus de 110 000 euros, NDLR) au domicile de M. Béchir".
Si l'ex-président a reconnu avoir perçu un total de 90 millions de dollars (81 millions d'euros) de la part de dirigeants saoudiens, le procès ne concerne qu'une partie de ces fonds, soit 25 millions de dollars (22,5 millions d'euros) reçus, peu avant sa chute, du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lui-même.
Inculpé pour ces faits, M. Béchir encourt jusqu'à 10 ans de prison pour l'acquisition de fonds et jusqu'à trois ans pour transactions illégales.
"C'est un procès politique", a dit à la presse Mohamed al-Hassan, l'avocat de l'intéressé, dont les rares partisans se sont rassemblés à plusieurs reprises devant le tribunal pour marquer leur soutien.
De son côté, M. Béchir a notamment assuré que l'argent n'avait pas été utilisé à des fins personnelles mais sous forme de "dons". Selon un témoin au procès, l'ex-président soudanais aurait octroyé quelque cinq millions d'euros au redouté groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (RSF).
"Une petite affaire comparée aux crimes qu'il a commis"
Le Soudan est l'un des pays les plus touchés par la corruption : il occupe la 172e place sur 180 au classement mondial de l'organisation Transparency International.
Selon Adam Rashid, secrétaire général adjoint de l'Association des avocats du Darfour, l'ex-président doit être jugé pour ses délits et crimes, "petits ou grands". Selon lui, le procès de Béchir pour corruption est "une petite affaire comparée aux crimes qu'il a commis", a-t-il dit à l'AFP avant d'ajouter : "Les victimes de ses crimes au Darfour n'ont que faire de cette affaire."
En effet, ce premier procès ne concerne pas les lourdes accusations portées contre l'ex-chef d'Etat par la Cour pénale internationale depuis une décennie. M. Béchir fait l'objet de deux mandats d'arrêts émis par la CPI pour "crimes de guerre", "crimes contre l'humanité", d'une part, et "génocide"au Darfour, d'autre part.
Cette province occidentale soudanaise a été le théâtre d'une guerre sanglante entre rebelles et forces loyales au pouvoir de Khartoum. Le conflit, qui a éclaté en 2003, a fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU.
Pas d'extradition de Béchir autorisée à ce jour
Après la destitution de M. Béchir, les procureurs de la CPI ont demandé à ce qu'il soit jugé pour les tueries du Darfour. Mais Khartoum n'a pas à ce jour autorisé son extradition. Bien que n'ayant pas ratifié le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, le Soudan a pourtant l'obligation juridique d'arrêter les chefs d'Etat dont les agissements relèvent de la CPI.
De leur côté, les Forces pour la liberté et le changement (FFC), qui ont mené la contestation, ont déjà fait savoir qu'ils ne voyaient pas d'objection à une extradition.
Parallèlement, le 12 novembre, les autorités soudanaises ont émis un nouveau mandat d'arrêt à l'encontre d'Omar el-Béchir pour son rôle dans le coup d'Etat de 1989. Un mois plus tard, l'ex-président a été entendu par une commission spéciale du parquet dans cette affaire.
En mai, le procureur général avait par ailleurs déclaré que M. Béchir avait été inculpé pour des meurtres commis lors des manifestations antirégime débutées en décembre 2018, et qui ont conduit à son éviction, sans préciser quand il devrait répondre de cette accusation.