Avec son Green Deal, l'Europe veut sortir la COP25 de sa torpeur
Encéphalogramme plat. Ouverte en grande pompe le 2 décembre à Madrid, la 25e Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP25), qui réunit les pays signataires de la Convention-cadre de l’ONU en la matière, n’a depuis pas donné grand chose, alors qu’elle doit se clôturer ce vendredi 13 décembre. De quoi estimer, pour les ONG, que les Etats sont déconnectés de la réalité et de leurs citoyens.
Un constat que l’Union européenne compte faire rapidement évoluer. Et drastiquement. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les pays membres de l’UE ont adopté un “Green Deal” (ou pacte vert, en français) qui fixe un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. En clair, ils devraient s’engager à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre qu’ils ne sont capables d’en retirer de l’environnement. Mais ce n’est pas une simple promesse, plutôt un plan d’action concret, affirme la Commission européenne. Seul bémol: la Pologne, très dépendante du charbon, n’a pas voulu s’engager pour le moment, sans bloquer le processus pour autant.
Pour atteindre la neutralité carbone, une série de mesures seront implémentées, à l’image d’un mécanisme de plusieurs dizaines de milliards d’euros devant financer la transition écologique des régions les plus exposées, des engagements à éliminer le charbon, un soutien apporté aux énergies vertes, etc. Surtout, ce plan prévoit d’agir également vite. Le genre d’engagement qui a cruellement manqué lors de la COP25.
Une avancée aussi décisive qu’un “premier pas sur la Lune”
“Certains disent que le coût de cette transformation est trop élevé, n’oublions jamais ce que le coût de l’inaction serait”, a déclaré dès mercredi 11 décembre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui s’exprimait devant le Parlement européen à Bruxelles réuni en session extraordinaire. Ce coût “augmente chaque année.”
“Les inondations coûtent à nos citoyens plus de cinq milliards par an, chaque année notre économie perd près de dix milliards d’euros à cause de la sécheresse, et les agriculteurs paient le prix fort”, a-t-elle poursuivi. “Et ce n’est que le début. Mais ce n’est pas une fatalité, nous pouvons résister (...) Il est grand temps mais il n’est pas trop tard”, a-t-elle ajouté, comparant les ambitions continentales à la stratégie de conquête spatiale des États-Unis durant la Guerre froide. “C’est le premier pas sur la Lune de l’Europe!”
Car la présidente de la Commission voit loin. Au travers de la loi climatique qui fixera l’objectif de neutralité climatique, elle veut également accélérer la réduction des émissions de CO2, revoyant à la hausse les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Exactement ce que la société civile attendait de la COP25 en toile de fond, mais qui n’a pas eu lieu. Et qui est pourtant nécessaire avant la COP26.
“Nous sommes consternés par l’état d’avancement des négociations”, a dénoncé jeudi Omar Figueroa Figueroa, ministre de l’Environnement du Belize, qui préside un groupe de 44 Etats insulaires, particulièrement vulnérables. Le groupe a notamment accusé Etats-Unis, Canada, UE, Japon et Australie de ne pas respecter leurs promesses en matière d’aide financière aux pays du Sud.
La COP25 était normalement plutôt technique: elle devait valider les règles d’application de l’Accord de Paris. Mais depuis quelques mois, beaucoup appelaient à un sursaut climatique face à l’urgence et à des engagements de réduction de gaz à effet de serre forts. Car pour l’instant, ceux pris lors de la COP21 sont insuffisants: ils entraîneraient une hausse des températures supérieure à 3°C.
“Le cœur de l’Accord de Paris bat toujours, mais à peine”
L’Accord de Paris prévoyait qu’en 2020, les Etats devaient, volontairement, relever leurs engagements. Mais pour l’instant, très peu de pays se sont engagés, et pas les plus polluants. D’où ce sentiment d’échec et de déconnexion pour la COP25.
En effet, de Greta Thunberg (tout juste nommée personnalité de l’année par le magazine américaine Time) à Greenpeace, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’immobilité qui sclérose la conférence organisée à Madrid. Négociations gelées, points d’achoppement nombreux, secteurs polluants non-couverts par la législation en vigueur ou failles non corrigées des dispositifs passés, les critiques sont légion.
“Je participe à ces COP depuis 25 ans et je n’ai jamais vu une telle fracture entre ce qui se passe entre ces murs et ce qui se passe dehors”, a tonné à la tribune de la COP25 Jennifer Morgan, la directrice générale de l’ONG Greenpeace. “Nous vivons des jours sombres de la politique climatique. Des ombres sont tapies derrière la scène: les milliards de dollars du secteur des énergies fossiles, qui d’un côté créent des gens gras et corrompus pendant que de l’autre, ils condamnent le monde et toutes ses beautés et sa diversité à la désolation”, a-t-elle continué. Et d’ajouter, inquiète: “le cœur de l’Accord de Paris bat toujours, mais à peine”.
Des participants à la COP qui feraient tout pour ne pas “relever leurs ambitions”
Ainsi, le texte final qui doit être adopté ce vendredi ―ou plus tard, les COP ayant l’habitude de déborder― pourrait juste appeler les Etats à bien présenter l’an prochain de “nouveaux” engagements. Ou au mieux, des engagements ”à la hausse”, selon les observateurs. “Au fond, c’est comme si ce qui se passait dans le monde réel et dans les rues, les manifestants, n’existaient pas”, a commenté Alden Mayer, observateur de longue date de ce processus. “On est dans un monde imaginaire ici”.
“Je suis peut-être plus déçu que je l’ai été lors d’autres rencontres que j’ai présidées”, a lâché Paul Watkinson, en clôturant dans la nuit de lundi à mardi la session de l’un des organes de négociations de la COP qu’il préside.
Cette COP “semble s’être transformée en une opportunité pour certains pays de négocier des failles et d’éviter de relever leurs ambitions”, a dénoncé Greta Thunberg, qui a inspiré des millions de jeunes et de moins jeunes à travers le monde. “Des pays arrivent à trouver des façons habiles pour éviter d’engager de vraies actions”, a-t-elle ajouté, évoquant aussi leur “refus de payer” pour aider les pays déjà frappés par les catastrophes climatiques.
Une occasion pour l’Europe de peser sur la destinée du monde
Un changement de paradigme pourrait donc passer par une offensive européenne en matière de lutte contre le changement climatique, et donc le “Green Deal” d’Ursula von der Leyen. “La sécurité climatique est devenue une dimension majeure de la géopolitique et de la géo-économie. Avec cet accord, l’UE devrait devenir une leader de la coopération internationale pour la protection de l’environnement”, a par exemple salué Pascal Lamy, l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, après la présentation du plan de l’UE.
Si plusieurs ONG ont dénoncé un “Green Deal” pas assez ambitieux, c’est en tout cas le seul pas en avant d’un des grands pollueurs de la planète qui a été fait à l’occasion de la COP25.
Le président du Conseil européen Charles Michel a annoncé dans la nuit de jeudi à vendredi un “accord sur la neutralité carbone d’ici 2050” des Etats membres, même si c’est sans la Pologne qui a refusé de s’engager.
Charles Michel a salué un “signal très fort” lancé par l’Europe au lendemain de la présentation du Pacte vert européen. Pour Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et ancienne ambassadrice de la COP21, “c’est le feu vert pour s’aligner avec d’autres grandes économies sur la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris et pour travailler avec d’autres pays du monde entier afin de parvenir à des résultats solides et à des plans sérieux au sommet UE-Chine et à la COP26”.
Mais si le Green Deal a peut-être sorti la COP25 de sa torpeur, reste à voir si le plan sera bien voté en mars, si les objectifs climatiques européens seront bien relevés (et suffisamment) dès l’été. Et, surtout, si l’Europe arrivera à entraîner derrière elle les autres pays les plus pollueurs.