L'article à lire pour comprendre les enjeux de l’élection présidentielle en Algérie
Le 12 décembre 2019, les Algériens sont appelés à élire leur nouveau président de la République, neuf mois après la démission d'Abdelaziz Bouteflika, et alors qu'une partie de la population manifeste régulièrement contre ce scrutin. Franceinfo fait le point et vous résume les enjeux de ce scrutin.
Pour quelle élection les Algériens sont-ils appelés aux urnes ?
L'Algérie n’a plus, officiellement, de président depuis le 2 avril et la démission du président sortant, Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier a été poussé dehors par la rue et la direction de l’armée, après avoir tenté de se présenter à un cinquième mandat. La présidentielle était théoriquement programmée pour le 18 avril, mais les manifestations contre sa candidature ont entraîné le report, puis l’annulation de l’élection.
Depuis la démission de Bouteflika, l'intérim est assuré par Abdelkader Bensalah, le président de la chambre haute algérienne. Mais tout le monde s'accorde à dire que le véritable pouvoir est entre les mains du général Ahmed Gaïd Salah.
Si, sur le papier, l'Algérie offre toutes les garanties d’une démocratie élective – officiellement, le régime algérien ressemble beaucoup à celui de la France, avec un président élu au suffrage universel et un Premier ministre responsable devant l'Assemblée –, dans les faits, l'Algérie est doté d'un système politique qui a été jusqu’à présent totalement présidentiel avec des élections sans aucun enjeu.
La Constitution précise que "le Président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret" que "la durée du mandat présidentiel est de cinq ans" et qu’il est "rééligible". Le texte stipule qu'"il préside le Conseil des ministres" et "nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions".
Les prochaines élections de l’Assemblée sont prévues en 2022, les dernières ayant eu lieu en 2017, avec une participation officielle de 35,3% de votants.
Pourquoi la présidentielle a-t-elle été reportée ?
Tout a commencé avec l’annonce, le 10 février, d’une nouvelle candidature Bouteflika à la présidentielle. La cinquième pour cet homme qui ne semblait déjà plus en état de gouverner depuis un accident vasculaire cérébral en 2013. Les cercles dirigeants, ayant été incapables de trouver une autre personnalité, ont donc décidé de représenter le président sortant. La première manifestation d'ampleur contre le cinquième mandat a eu lieu le 16 février 2019 à Kherrata en petite Kabylie.
A partir du 22 février, Alger découvre le rituel de la manifestation du vendredi. Toutes les semaines, depuis cette date, des centaines de milliers d’Algériens descendent dans les rues de la capitale et de toutes les villes du pays. Les manifestations pacifiques et pleines de créativité ont déstabilisé le pouvoir qui a été obligé d’abandonner la candidature Bouteflika.
L’humour signe souvent ces manifestations à l’image de ce tweet du Gorafi algérien.
Le 2 avril, Bouteflika renonce au pouvoir, ouvrant la voie à une nouvelle élection. Celle prévue pour le 4 juillet est annulée faute de candidats "sérieux". Le Conseil constitutionnel déclare en effet l’impossibilité de tenir ce scrutin en rejetant les candidatures de deux postulants quasi inconnus sur la scène de la politique algérienne.
Avec le scrutin du 12 décembre, le pouvoir tente de reprendre la main mais se heurte à une défiance populaire.
Pourquoi la tenue de cette élection est-elle contestée ?
Malgré la chute de Bouteflika, les manifestations continuent. Le cinéaste algérien Karim Moussaoui résumait, le 25 novembre dans Le Monde (réservé au abonnés), l'opinion d'une partie de la population algérienne : "Le pouvoir qui organise ces élections truquées avec cinq candidats à sa solde n'a visiblement d’autre ambition que de se maintenir."
Le Hirak (Mouvement, en arabe), nom donné à la contestation du régime, appelle même à manifester le jour du vote, le 12 décembre.
Le journal algérien Liberté a résumé l’ambiance de la campagne en quelques lignes : "Des meetings sous haute surveillance policière, des rassemblements et des sit-in pour exprimer le refus de l’élection présidentielle et des arrestations parmi les contestataires."
Pour El Watan, "les meetings, censés être des opportunités pour les candidats en vue de convaincre les électeurs potentiels à voter pour eux, se déroulent dans des salles fermées et devant des invités triés sur le volet. (…) Des cordons de sécurité sont formés à proximité des salles réservées aux meetings, de crainte d'un envahissement par des citoyens pro-Hirak, même si, jusqu’à présent, ces derniers ne font preuve d’aucune violence."
Selon les journaux, quelque 300 protestataires avaient été arrêtés à la date du 25 novembre. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid en a évidemment une autre lecture et accuse les opposants d'empêcher toute avancée : "Au moment où l'Algérie s’apprête à élire son président de la République, dans la transparence et l'équité, à rompre avec une préjudiciable précarité institutionnelle, on observe, de guerre lasse, des cercles tendancieux et hostiles qui émergent, tel un serpent de mer, tentant d’annihiler toute perspective de sortie de crise."
Au-delà de l'élection présidentielle, c'est tout un régime qui est contesté. Ce que résumaient, déjà en 2016, Luis Martinez et Rasmus Alenius Boserup, auteurs d’Algéria Modern : "Depuis l’indépendance, l'Etat en Algérie est resté sous le contrôle et l’influence de l'institution militaire et de ses services qui ont investi une grande partie de l'appareil d’Etat et des institutions politiques dès la fin de la présidence de Boumédiene (1965-1979). Ils se considèrent à cette époque comme le mur porteur de l'édifice algérien". Face à cette situation, le Hirak n'a pas de position définie, de leaders ou de porte-parole clairs.