Présidentielle en Algérie : que sont devenus les islamistes, grands gagnants des élections municipales et législatives des années 90 ?
L’Algérie connaît sa première véritable élection démocratique et pluraliste le 12 juin 1990. Il s'agit d’élections locales : municipales et départementales (wilayas). Mais devant le risque que représente le Front islamiste du Salut (FIS), le pouvoir arrête le processus électoral et la répression s’abat contre ses membres qui entrent dans la clandestinité. Dès lors, Le pays connaîtra près de dix ans de guerre civile entre l’armée et les divers groupes islamistes armés. Un conflit qui fera plus de 100 000 morts. Aujourd'hui, les mouvements islamistes, laminés par vingt années de répression policière et militaire, ne semblent plus aussi menaçants, même s'ils restent certainement tapis dans l’ombre.
Le FLN, un parti unique usé
En 1990, pour la première fois depuis l’indépendance du pays en 1962, 13 millions d’électeurs algériens ont le choix entre 13 600 candidats appartenant à une pluralité de partis politiques. Cette "transition démocratique" voulue à l'époque par le président Chadli Bendjedid, fait suite à la répression des manifestations contre la hausse des prix des produits de base, qui avait fait plus de 200 morts, le 5 octobre 1988. Le FIS, emmené par Abassi Madani et Ali Belhadj, remporte très largement les élections locales en obtenant 54,25% des voix aux municipales et en prenant 32 wilaya sur 48.
Sans qu'on l'ait vraiment vu arriver, il devient la première force politique du pays et contrôle, à l’exception de la Kabylie, toutes les grandes villes. Là, le Front islamiste du Salut commence à dérouler son programme : fin généralisée de la mixité, obligation du port du voile, fermeture des débits d'alcool...
Seul le Sud saharien reste fidèle au FLN. Le parti au pouvoir, avec seulement 31,4% des voix, a perdu tous ses fiefs et ne détient plus que 14 wilayas.
L’appel au boycott lancé avant le scrutin par Aït Ahmed, leader du Front des forces socialistes (FFS), a certes un impact sur le résultat de l'élection, mais n’explique pas cette victoire islamiste. Le courant socialiste et laïc ne peut être crédité que d’une petite partie des 45,75% d’abstention. Ce courant incarné par le FFS et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi n’avaient pas, en dehors de la Kabylie, une véritable assise électorale d’après l’étude menée par l’historien François Burgat.
D’ailleurs, les islamistes vont largement confirmer leur forte influence lors du premier tour des législatives du 26 décembre 1991. Le FIS obtient 47,3% des suffrages, devant le FLN 23,4% et le FFS 7,4%. Le Front islamique du Salut est en passe de remporter les deux tiers des sièges au parlement. Ce qui lui permettrait de modifier la Constitution algérienne et d’instaurer, comme il le veut, son califat. Avec un programme d'une simplicité biblique : "L'islam est la solution, la Charia est notre constitution."
Le second tour n’aura jamais lieu. Devant le risque qu'il représente, les généraux algériens interrompent le processus électoral, décrètent l’état d’urgence et dissolvent le Parlement. Une violente répression s’abat contre le FIS qui entre dans la clandestinité. Le pays connaîtra près de dix ans de guerre civile entre l’armée et les divers groupes islamistes armés. Un conflit qui fera plus de 100 000 morts.
La menace islamiste justifie le pouvoir absolu de l'armée
Résultat édifiant et tragique : alors que les Algériens ont eu pour la première fois l’occasion de s’exprimer librement depuis l’indépendance du pays, ils ont choisi l’islam politique.
Les généraux, gardiens des intérêts de la nation (et des leurs en particulier), ont retenu la leçon. Ils ont totalement verrouillé toutes les élections suivantes y compris le scrutin du 12 décembre 2019, avec cinq candidats triés sur le volet, empêchant la répétition d'un tel scénario. Même si la situation semble très différente aujourd’hui, échaudés,ils ne semblent pas vouloir revivre une élection incontrôlée.
Les mouvements islamistes, laminés par vingt années de répression policière et militaire, ne paraissent plus aussi menaçants, même s'ils restent certainement tapis dans l’ombre.
Des islamistes hors jeu aujourd'hui ?
Que sont les islamistes devenus ? De l’avis des observateurs, ils sont très peu présents dans les manifestations qui se déroulent depuis neuf mois en Algérie. Les Algériens semblent avoir été vaccinés par l’islam politique. Les expériences égyptienne, soudanaise et surtout du "califat syrien" (Daech) ont peut-être ramené à la réalité bon nombre d'idéologues. Même si l'islam politique reste le plus souvent souterrain et clandestin, on le voit mal récupérer le Hirak (mouvement de protestation) algérien. Pour autant, la menace islamiste et son programme totalitaire – sous couvert d'égalitarisme et de justice – n'est pas totalement écartée. Soyons lucides, bon nombre d'Algériens qui réclament des élections libres et transparentes, restent nostalgique du FIS et de sa victoire volée.
Aujourd'hui, les islamistes sont représentés principalement par le Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui se réclame des Frères musulmans. Ce parti avait obtenu 38 députés aux législatives de 2002. Un parti islamiste officiel qui a même soutenu le gouvernement Bouteflika avant de rompre avec lui en 2012.
Le MSP a appuyé le projet de "réconciliation nationale" prônée par l'ancien président Bouteflika, prévoyant une amnistie pour les terroristes non condamnés pour des crimes de meurtre ou de viol. Le MSP s'est également fortement opposé au changement du Code de la famille, largement inspiré de la tradition islamique.
Le Mouvement de la société pour la paix a finalement décidé de ne pas déposer de candidature à la présidentielle du 12 décembre 2019, jugeant "que les préalables requis, notamment la tranparence de l'élection, ne sont pas réunis". "Nous ne soutiendrons aucun candidat", a affirmé le président du MSP Abderrazak Makri.
Même si la menace islamiste semble aujourd'hui contenue, le régime reste dans un dilemme : soit il organisait une élection libre et transparente au risque d'être chassé du pouvoir et jeté en prison, soit il verrouillait le processus électoral au risque de se retrouver avec un chef de l'Etat, à la faible légitimité.