Publié par CEMO Centre - Paris
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Un document de la CIA révèle les méthodes de financement secrètes des Frères musulmans et leurs machinations pour prendre le pouvoir en Egypte

vendredi 17/août/2018 - 12:45
La Reference
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Abdul Hadi Rabie

 

L’Agence centrale de renseignement américaine (CIA) vient de publier un document secret, rédigé en 1986, sur les Frères musulmans en Egypte, leurs sources de financement, et le rôle potentiellement grandissant qu’ils devaient jouer durant les années 90 du siècle dernier.

Le rapport révèle que les Frères cherchent à « devenir une force islamiste viable au cours de la prochaine décennie (les années 90) » sans toutefois menacer le régime du président Hosni Moubarak, alors au pouvoir. Il souligne en outre que : « la confrérie veut fonder un Etat islamiste conservateur en Egypte, pour mettre fin à l'influence occidentale et appliquer la Charia (loi islamique) selon ses propres convictions ». Et d’ajouter que le groupe a cherché à atteindre ses objectifs à travers une stratégie de changement progressif, après des années de militantisme, qui n'ont donné aucun résultat durant les années soixante-dix du siècle dernier.

Le document parle des candidats au poste de guide suprême de la confrérie. « Bien que le nouveau candidat au poste de guide suprême des Frères musulmans penche pour une confrontation avec le gouvernement, la confrérie ne changera pas de manière radicale ses méthodes modérées », affirme le texte. Il ajoute en outre que la confrérie tire profit de la stabilité du gouvernement égyptien (de l’époque). En effet, les Frères ont coopéré avec le gouvernement pour arracher à d’autres groupes, plus radicaux, le leadership du fondamentalisme islamiste, et ce malgré le caractère illégal de la confrérie. « Le gouvernement égyptien ne prendra pas de mesures répressives contre le groupe tant que celui-ci n’optera pas pour la confrontation, ou gagnera beaucoup en influence », affirme le texte de la CIA, ajoutant que le gouvernement égyptien « n’accordera pas de statut légal à la confrérie, et ce pour garder son influence sur le groupe ».

Le texte révèle les principales sources de financement des Frères musulmans (au moment de la publication du document). Le financement représente en effet la principale force de la Confrérie. Il lui a donné la capacité de supplanter en popularité d’autres groupes islamistes plus radicaux des années quatre-vingts.

Le financement provient principalement des entreprises appartenant aux membres du groupe, qui opèrent dans des secteurs très variés comme l’immobilier, les transactions financières, l’industrie, le commerce et les services.

Le document de la CIA souligne que les Frères dépendent aussi des dons de leurs sympathisants dans les pays du Golfe, en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

Les objectifs de la confrérie

Selon la CIA, l’objectif à long terme de la confrérie, qui consiste à fonder un Etat islamique en Egypte, émane de la perception qu’avait Hassan Al-Banna (fondateur du groupe) de la société. Vision basée sur la nécessité de purifier la société des vices du monde moderne comme l'impérialisme, l'usure, l’imitation de l’Occident et les lois positives.

L’un des plus importants objectifs des Frères selon la CIA est la mise en place d'un gouvernement islamique, conformément à la Charia (selon la conception des Frères), basé sur la Choura (consultation) entre les dirigeants et les savants musulmans, qui surveillent alors l'exécutif et le pouvoir judiciaire.

Les Frères cherchent à mettre en place un système économique fondé sur le partage du capital et l’interdiction de l'usure. L’épine dorsale de ce système est la Zakat qui remplacera l'impôt sur le revenu. Ils veulent aussi dès qu’ils accèdent au pouvoir fonder un système social qui sépare strictement entre les hommes et les femmes dans les établissements scolaires et les lieux publics. La confrérie veut en outre interdire les contraceptifs et annuler les lois qui favorisent l'émancipation de la femme, que le groupe considère comme faisant partie d'un complot occidental visant à « détruire la nation islamique ».

Plusieurs défis

Le document énumère les prolèmes auxquels les Frères pourraient faire face (à l’époque où le document a été publié). Parmi ces problèmes, les dissensions internes et les différends idéologiques.

La confrérie a pu construire un réseau fondamentaliste en attirant certains groupes professionnels comme les enseignants, les étudiants, les journalistes et les hommes d'affaires. En revanche, elle n’a pas pu attirer les couches inférieures de la socioété et les Forces armées.

Le document estime cependant que les problèmes économiques de plus en plus grands en Egypte, donnent un attrait à la confrérie, favorable à un Etat islamique plus « juste».

La baisse des revenus pétroliers, du tourisme et des transferts des travailleurs égyptiens à l'étranger (à l’époque de rédaction du document), a conduit à une baisse du niveau de vie, favorisant ainsi le retour de nombreux travailleurs de l'étranger. Ces derniers, pour la plupart instruits, sont en proie à la déprime, à cause du chômage, ce qui favorise la polarisation et facilite la mission des Frères musulmans pour les attirer.

Malgré la coopération entre le gouvernement et les Frères, la position du groupe sur les accords de Camp David, l'Agence Internationale du développement, et l’invasion culturelle occidentale en font une potentielle force hostile aux Etats-Unis.

Le rapport de la CIA affirme que la confrérie pourrait gagner en force en raison de la grande diffusion de la pensée religieuse, ce qui affecte directement le degré de réceptivité de l'Etat aux objectifs des Etats-Unis au Moyen-Orient, surtout que le groupe a pour objectif à long terme d’appliquer la Charia et de bâtir une société islamique fondamentaliste, en contenant l'influence occidentale.

Il explique que la confrérie coopère avec le gouvernement égyptien contre les islamistes extrémistes pour garantir ses intérêts commerciaux et lucratifs, et pour essayer d’étendre son influence au système éducatif, aux syndicats professionnels, et à l'armée. L’un des objectifs les plus importants des Frères est d’assurer leur supériorité sur les autres groupes fondamentalistes, d’obtenir un statut légal de la part du gouvernement, et de créer un réseau islamiste fondamentaliste en Egypte.

Les Frères ont utilisé au cours de la dernière décennie (les années soixante-dix), des méthodes plus modérées par rapport à d'autres groupes, en raison de l’échec de leur politique antérieure de confrontation qui n'a donné aucun résultat, et qui n’a apporté que la répression, la violence et l'emprisonnement. Cette situation a poussé les dirigeants du groupe à opter pour la coexistence avec le régime du président Hosni Moubarak

Le document de la CIA note en outre que les Frères ont formé une alliance informelle avec le gouvernement égyptien, en convainquant visiblement les dirigeants de ce dernier qu’ils sont les seuls capables d’empêcher l'expansion du fondamentalisme islamiste en Egypte, et de purifier le mouvement islamiste des jeunes radicaux qui déforment l'image de l'Islam et divisent les musulmans.

Les Frères ont vaincu les radicaux en Décembre 1985, lorsque leurs candidats ont remporté la majorité des sièges des Unions étudiantes au Caire.

Ils ont également coopéré avec le gouvernorat d'Alexandrie en août 1985 pour faire face aux tentatives de politisation des prêches de l'Aïd Al-Adha. Ces tentatives ont pris fin après des négociations entre le gouvernement et le guide des Frères Omar Tlemsani. Au terme de ces négociations, la confrérie a été autorisée à diriger la prière de l’Aïd. En échange, celle-ci s’est engagée à faire face aux extrémistes et à les empêcher de prêcher dans les mosquées.

Cette coopération étroite entre les Frères et le gouvernement est perçue par la CIA comme un « mariage d’intérêt ». Les Frères espéraient utiliser cette alliance pour retrouver une partie de leur popularité en déclin auprès des jeunes fondamentalistes, en se montrant plus influents que les autres groupes islamistes en raison de leurs liens avec l'Etat.

Les dirigeants des Frères croyaient aussi que cette coopération aidera le groupe à obtenir un statut légal, alors que pour le régime de Moubarak, l'alliance avec les Frères était un moyen de faire face aux extrémistes sans apparaître sur la scène.

En quête de légitimité

Les Frères musulmans ont essayé de négocier avec le régime de Moubarak pour obtenir un statut légal dans les années 1980. Ils ont montré leur désir de parvenir à un accord en mai 1985, lorsqu’ils ont atténué leur opposition à la décision de l'Assemblée du peuple, de réduire à deux heures seulement, la durée d’une séance destinée à discuter de certaines questions ayant trait à la Charia. Le rapport de la CIA affirme en citant l'ambassade des Etats-Unis au Caire, que les Frères musulmans ont fait preuve d’une grande tolérance face à la lenteur du gouvernement à examiner certaines lois en vigueur pour s’assurer de leur conformité avec la Charia.

Le document révèle également que la confrérie a fait pression sur le gouvernement pour légaliser son statut. Les Frères ont prétendu avoir dissous leur branche armée clandestine à partir du mois d’août 1984, alors que les fondamentalistes et la ligne dure au sein du groupe ont gardé leur force militaire au mépris du gouvernement et de leur leadership.

Le document de la CIA affirme également que le gouvernement a exigé que les Frères abandonnent la politique, revoient leur alliance avec le parti d’opposition du Néo Wafd, et cessent de protester contre les accords de Camp David s’ils veulent légaliser leur statut.

L'alliance avec le Néo Wafd

Selon le document de la CIA, les Frères ont formé une alliance avec le parti d'opposition du Néo Wafd en 1984 pour accroître leur influence politique et obtenir une représentation parlementaire qui leur donne une plus grande légitimité. Le document cite un parlementaire des Frères qui dit : « Le Néo Wafd a approuvé cette alliance pour élargir sa base électorale en profitant du soutien populaire dont bénéficie la confrérie. C’est ce qui s'est produit. Les Frères ont obtenu 8 des 58 sièges remportés par le Néo Wafd aux élections législatives de mai 1984 ».

Attirer de nouveux membres

Au cours de ses premières années, la confrérie des Frères musulmans a attiré des citoyens de différentes couches de la société : bureaucrates, employés, étudiants, travailleurs, commerçants, mais plus récemment, on remarque que le courant le plus représentatif au sein du groupe est les personnes âgées, dont la plupart sont issues de la classe moyenne. C’est la raison pour laquelle les Frères tentent d'attirer les jeunes, les militaires et les étudiants.

Certains Frères musulmans pensaient que l’attitude ferme de Moubarak face aux jeunes fondamentalistes radicaux donnera plus d’attrait à la confrérie, parce que les sympathisants fondamentalistes auront moins peur d'être jetés en prison ou d’être harcelés s’ils rejoignent les rangs des Frères. Et que cette situation permettra alors à la Confrérie d’infiltrer les institutions officielles et les syndicats.

La CIA affirme enfin que la préoccupation majeure de la confrérie était que ses membres rejoignent les rangs de l'armée égyptienne, mais le groupe n'a pas obtenu cet objectif, en raison du contrôle sécuritaire très strict, des investigations intenses effectuées par les services de renseignement et de sécurité, et de la surveillance accrue des activités religieuses dans les zones militaires.

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