Algérie: retour sur dix mois d’un mouvement de contestation inédit
Depuis le mois de février, l’Algérie est rythmée par les marches populaires et les arrestations arbitraires. Les succès obtenus ne satisfant pas les centaines de milliers de protestataires, le «Hirak» - le mouvement - se poursuit chaque mardi et vendredi, luttant désormais contre le scrutin du 12 décembre et réclamant une «vraie indépendance».
Retour sur 10 mois de mobilisation.
Vendredi 22 février, plus de 800.000 manifestants défilent à travers toute l’Algérie pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle, brisant le tabou des manifestations publiques, interdites à Alger depuis 2001. Cette volonté de briguer un cinquième mandat était longtemps incertaine au vu de l’état de santé du président de 82 ans, très affaibli depuis un AVC en 2013.
Le mardi 26, des manifestants se réunissent à Alger, au cri de «Non au cinquième mandat!», «Bouteflika, dégage!» ou «Algérie libre et démocratique!», inaugurant un cycle hebdomadaire de mobilisation.
Le 10 mars, après deux vendredis de manifestations massives, réunissant plus de 3 millions d’Algériens, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah affirme que l’armée, «colonne vertébrale de l’Algérie», partage les «mêmes valeurs» que le peuple. Le lendemain, Bouteflika déclare renoncer à candidater à la présidentielle et annonce le report de l’élection du 18 avril et la formation d’un nouveau gouvernement. Il désigne à cet effet Noureddine Bedoui premier ministre.
«Ils doivent tous partir»
Le vendredi 15 mars, la mobilisation est record. Des manifestations ont lieu dans 40 préfectures sur 48, on parle de «millions» d’Algériens dans les rues contre «la prolongation» du 4e mandat de Bouteflika, qui devait finir le 28 avril.
Le 2 avril, Gaïd Salah demande que soit appliqué immédiatement l’article 102 de la Constitution qui permet d’écarter le président du pouvoir s’il «se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions» pour cause de «maladie grave et durable». Dans la foulée, Bouteflika remet sa démission. Une décision destinée à l’apaisement «des cœurs et des esprits», que les Algériens saluent, «contents mais pas dupes». Pour eux, «ils doivent tous partir. Salah en tête». «C’est le début, le reste est à venir».
Le vendredi 5, la mobilisation reprend: des millions de manifestants réclament une refonte totale du «système». Ils ciblent en priorité le premier ministre Bedoui et les présidents du Conseil de la nation et du Conseil constitutionnel, Bensalah et Belaïz. On réclame le départ de ces«3B» et leur remplacement par «des gens propres».
Le mardi 9 avril, Abdelkader Bensalah, 77 ans, pur produit du régime, est désigné chef d’État par intérim par le Parlement, au cours d’une réunion boycottée par l’opposition.
Arrestations et limogeages
Au cours du printemps, de nombreux proches de Bouteflika sont écartés du pouvoir. Cinq milliardaires sont arrêtés, suivis par des responsables d’agences anticorruption, des ex-patrons des services secrets et par le frère de l’ex-président, Saïd Bouteflika, condamné en septembre pour «atteinte à l’autorité de l’armée» et «complot contre l’autorité de l’État».
En mai, malgré le Ramadan, des milliers de personnes manifestent. Une mobilisation des plus surprenantes: habituellement, les croyants limitent drastiquement leurs activités pendant cette période. Pour supporter la chaleur malgré la faim et la soif, des manifestations sont organisées pendant la nuit, après la rupture du jeûne et de la prière.
Le 20 mai, le général Gaïd Salah rejette deux principales demandes du «Hirak»: le report de la présidentielle du 4 juillet pour élire un successeur à Bouteflika et le départ des figures du «système».
Mardi 28, un militant algérien des droits humains et de la cause berbère meurt en détention à la suite d’une grève de la faim. Les manifestants lui rendent hommage et réclament la libération d’autres prisonniers, tel Hadj Ghermoul, arrêté pour détention d’une pancarte anti-cinquième mandat, selon le Huffpost Algérie.
Le 2 juin, faute de candidat, le Conseil constitutionnel constate «l’impossibilité» de la tenue du scrutin du 4 juillet. L’intérim est prolongé sine die, et Abdelkader Bensalah est chargé de convoquer une nouvelle élection. Des organisations de la société civile se réunissent avec des collectifs religieux pour une «conférence nationale pour une sortie de crise». Ils appellent à une transition de six mois à un an pilotée par une commission indépendante.
Les manifestations sous contrôle
Le 19 juin, Gaïd Salah appelle les manifestants à ne pas arborer le drapeau berbère, car «l’Algérie ne possède qu’un seul drapeau», symbole «de son intégrité territoriale et de son unité populaire». Au cours de l’été, une trentaine de manifestants sont arrêtés pour détention d’un drapeau amazigh. Ils risquent dix ans de prison.
En juillet, le chef de l’armée accuse les manifestants qui scandent le slogan «État civil, pas militaire» d’être «des traîtres qui ont vendu leur âme et conscience» selon le Courrier international . Il réitère sa confiance au président par intérim, dont le mandat officiel est arrivé à terme. Des centaines d’avocats répondent en manifestant pour une justice indépendante.
Le 8 août, Gaïd Salah estime que les «revendications fondamentales» du mouvement de contestation ont été «entièrement satisfaites», tandis que les étudiants continuent à se mobiliser chaque mardi, malgré les vacances scolaires.
En septembre, Bensalah convoque le scrutin au 12 décembre, ce qui est rejeté par les manifestations qui suivent: toute présidentielle sera boycottée tant que les chefs de l’armée, de l’État et du gouvernement resteront au pouvoir. Depuis lors, sur 23 dossiers déposés, cinq candidats, dont deux ex-premiers ministres de Bouteflika, ont été retenus.
Le 18 septembre, l’armée indique qu’elle empêchera désormais les manifestants des autres régions de se joindre aux cortèges hebdomadaires d’Alger. En réponse, le vendredi 20, des centaines de milliers de manifestants se réunissent à Alger, dénonçant «un état de siège».
«Ingérence flagrante»
Fin septembre, la sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen dénonce plus de 83 arrestations arbitraires.
Le mardi 15 octobre, alors que plusieurs milliers d’Algériens manifestent dans la capitale, serrant les rangs pour éviter les arrestations, Gaïd Salah accuse les protestataires d’être payés avec de «l’argent sale versé par des entités inconnues», selon l’AFP, et menace de poursuite ceux qui auraient pur objectif de perturber le scrutin ou d’inciter au boycott. Quelques jours plus tôt, Amnesty Internationale avait dénoncé le climat de répression du mouvement populaire.
Le 1er novembre, après une nuit de manifestations pacifiques, les Algériens commémorent le début de la Révolution de 1965 en marchant dans les grandes villes du pays. La grève générale, lancée fin octobre par les syndicats autonomes, se poursuit, paralysant le pays.
Le 14 novembre, Human Rights Watch dénonce une «répression généralisée» de la contestation. Les militants prodémocratie sont «détenus sur de vagues inculpations d’atteinte à l’unité nationale», indique l’ONG.
Le vendredi 22, la contestation entre dans son 10e mois. À Alger, la foule, dispersée sans incident, scande qu’«on ne fera pas marche arrière!» et boycotte les meetings électoraux.
Le 28 novembre, alors que le Parlement européen s’inquiète «sur la situation des libertés» , le gouvernement algérien dénonce «une ingérence flagrante» dans ses affaires internes, qui constitue «une provocation à l’égard du peuple algérien».