Dans la tête des femmes djihadistes
Elles ont essayé de rejoindre le «califat» ou elles ont combattu pour lui en France. L’État islamique compte dans ses rangs de nombreuses femmes françaises, élevées en France, qui ont embrassé son idéologie barbare. Parue le 26 novembre dernier, une étude de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) tente de dresser les mobiles de leur endoctrinement.
Les profils sont divers, tout comme l’est leur implication dans le projet djihadiste. Certaines ont fait le hijra, l’émigration en terre d’Islam, d’autres tentent de faire istish’hâdi - la candidature au martyr - dans leur propre pays. Au total, 298 Françaises ont rejoint la zone irako-syrienne, 72 sont rentrées en France, 26 ont été mises en examen, et six ont été jugées. Ces six femmes ont été condamnées le 22 octobre dernier, elles avaient tenté en 2016 de faire exploser une voiture pleine de bonbonnes de gaz à Notre-Dame. Cet attentat déjoué, dont la principale accusée, Inès Madani, a été condamnée à 30 ans de prison, a changé la façon dont les renseignements et la justice française considèrent les femmes dans la mouvance radicale. Auparavant, elles n’étaient perçues que comme des menaces mineures, réduisant le mobile de leur action à leur fragilité psychologique.
Pour la capitaine Marie Perrier, auteure de l’étude de l’INHESJ, les discours se focalisant uniquement sur la vulnérabilité psychologique des femmes terroristes «ont eu et conservent encore aujourd’hui une influence, directe ou indirecte, sur la prise de conscience tardive en France du rôle de ces dernières en matière de terrorisme».
Quête d’identité
La fragilité psychologique est toutefois avérée, et elle s’illustre par une quête d’identité marquée. Sur les onze femmes djihadistes citées par l’étude de l’INHESJ, neuf expriment un très fort besoin d’identité, qui se caractérise par un sentiment de solitude et de marginalisation. Me Laurent Pasquet Marinacce, avocat d’Inès Madani, la décrit comme une adolescente perdue, sujette à des «conflits personnels qu’elle n’a pas su résoudre».
À l’origine de cette inquiétude identitaire, l’étude évoque les origines incertaines des candidates au djihad. Six des onze femmes concernées ont une double culture: quatre sont nées de parents maghrébins (Algérie ou Maroc), et deux de couples mixtes. Pour ces femmes, cette double appartenance a entraîné une perte de repères qui a joué comme facteur aggravant de leur marginalisation.
Mais plus encore, cette quête s’explique aussi par la filiation parfois incertaine de ces femmes: quatre des onze femmes présentent une filiation incertaine ou inconnue. L’étude cite l’exemple d’une femme dont la mère a toujours refusé de lui donner des informations sur son père. La psychologue qui l’a suivi évoque à son sujet «des incertitudes identitaires par le manque de structuration de l’entourage et la privation affective».
Alors Daesh propose des réponses. Les propagandistes de l’État islamique s’engouffrent dans les errements identitaires de ces femmes. À leur vertige, ils répondent par des prescriptions claires et immuables. «C’est le propre d’un système totalitaire, analyse Me Laurent Pasquet Marinacce. Avec Daesh on ne se pose plus de question, on arrête de réfléchir, il n’y a plus d’angoisse, plus de conflit interne».
Des convictions pour théoriser les réclamations personnelles
L’adhésion au projet de l’État islamique est également documentée dans l’étude. Elle s’est faite par le biais d’une propagande efficace, qui s’adapte à son public féminin. La communication ciblée de Daesh vers les femmes glorifie moins l’action violente et le combat qu’elle n’attire l’attention sur la situation humanitaire en Syrie. Le premier pas d’Inès Madani dans la nébuleuse djihadiste a été motivé par ce sentiment d’injustice et d’horreur. «Lors de repas de famille, devant les images de la guerre en Syrie du journal de 20h, elle pouvait balancer son assiette à travers la pièce, en s’insurgeant qu’on puisse continuer à dîner tranquillement», raconte Me Laurent Pasquet Marinacce.
La propagande se fait à grand renfort de vidéos aux bandes-son dramatiques: «nos enfants meurent, l’Occident ne fait rien, à nous de nous réveiller pour lutter contre la barbarie et sauver notre âme», exhorte ainsi la voix off. Ces vidéos posent une situation de crise, d’autres viennent ensuite proposer des solutions et des moyens d’action et exhortent les femmes au djihad.
L’adhésion à l’idéologie est donc avérée selon l’étude de l’INHESJ, qui note que «le discours de ces femmes reste très attaché à l’idéologie religieuse». D’après les rapports de justice, cinq des onze femmes observées avancent des motivations politiques ou morales. Le «califat» est un projet social fantasmé: l’État Islamique est un «État pour les musulmans», où la justice de Dieu est garantie. «Là-bas, un pédophile ne recommence plus», argumentait ainsi l’une des femmes.
Il est difficile de définir qui de l’idéologie ou des motivations personnelles prime, d’autant que les trajectoires de ces femmes sont toutes particulières. Un binôme de soutien de l’administration pénitentiaire, en charge du suivi des femmes djihadistes à propos d’une de ces femmes note une articulation entre ces deux composantes. «Les convictions [de X] viennent théoriser des réclamations personnelles et institutionnaliser une lutte personnelle», avance-t-il. L’étude indique même, dans sa conclusion, que l’idéologie doit être considérée comme «un élément essentiel pour les femmes».