Publié par CEMO Centre - Paris
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Le Liban dans l’impasse politique

vendredi 15/novembre/2019 - 10:58
La Reference
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Si Ubu avait été multicéphale il aurait pu symboliser la classe politique libanaise. En guise de «solution» à la crise sans précédent que connaît le pays depuis la fin de la guerre, le nom de Mohammad Safadi a fait l’objet d’une fuite dans les médias: un accord aurait été trouvé pour qu’il succède à Saad Hariri à la tête du gouvernement. Le seul fait de prétendre envisager cette voie pour sortir de la crise témoigne de l’ampleur du fossé qui sépare la classe politique de la rue. Sans parler du contexte dans lequel la décision aurait été prise: une réunion informelle, hors de tout cadre institutionnel. La Constitution exige que le premier ministre soit nommé par le président de la République à l’issue de consultations formelles des députés.

À peine la nouvelle connue dans la nuit, les slogans ont fleuri pour discréditer cet ancien ministre, un milliardaire dont le nom est associé à un complexe accusé d’empiéter sur les biens publics du front de mer de Beyrouth ainsi qu’au commerce d’armement saoudien.

Régime oligarchique

Les analystes hésitent entre deux lectures. Soit l’annonce relève de manœuvres destinées à «griller» une option afin d’en «vendre» ensuite une autre. Soit elle témoigne d’une incapacité flagrante des autorités à avoir prise sur la réalité. Dans les deux cas, elle signale l’ampleur de la crise -certains vont jusqu’à parler d’effondrement- du régime politique oligarchique instauré à la fin de la guerre de 1975-1990.

L’un après l’autre, les pôles de ce système ont montré leur extrême vulnérabilité. Le premier ministre a jeté l’éponge le 29 octobre. Son plan de sauvetage concocté en 72 heures, en réponse à la révolte populaire, a été jugé aussi peu crédible qu’insuffisant. Sa principale «mesure» portait sur la réduction à zéro du déficit budgétaire, alors que cela fait deux ans que les autorités sont incapables de le faire baisser à 7% du PIB.

C’est ensuite l’inamovible président du Parlement, Nabih Berri, qui a été contraint à reporter une séance parlementaire dont la convocation même a été perçue comme un affront aux revendications populaires. Idem pour l’ordre du jour: une loi d’amnistie générale, comparable à celle qui avait absous en 1991 tous les chefs de guerre. Sous prétexte de gracier des personnes souffrant de déni de justice (en raison d’un système judiciaire gangrené par des années d’ingérences politiques), l’amnistie proposée concerne aussi une série impressionnante de délits d’ordre financiers et fiscaux.

Enfin, lors d’un entretien télévisé, le président de la République, Michel Aoun, a suscité l’ire populaire en proposant aux mécontents la voie de l’émigration. Une maladresse flagrante dans un pays dont la jeunesse, principale force motrice de la révolte, est massivement contrainte à l’expatriation à défaut de trouver du travail.

Bien que vacillantes, ces différentes composantes du pouvoir refusent de céder la place. Elles sont soutenues en cela par le Hezbollah, qui, bien que secoué aussi, reste la principale force organisée du pays, avec un armement dont la puissance dépasse celle de l’armée régulière. Le parti chiite allié de l’Iran craint l’émergence d’une nouvelle configuration politique qui le prendrait directement pour cible, transposant au Liban le conflit entre Washington et Téhéran, alors qu’il a réussi jusque-là à s’en préserver.

Face à elles, la révolte populaire est ancrée dans ses revendications, et portée par sa transversalité géographique, sociale et confessionnelle. Mais elle n’est pas encore catalysée autour d’un projet politique porté par un ou plusieurs mouvements d’opposition. D’où le risque que le calendrier de la transition politique en cours ne soit pas assez rapide par rapport à celui de la crise économique et financière dont les conséquences sociales sont potentiellement dévastatrices.

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