L'ombre de Kadhafi plane sur le Sahel, ravagé par les attaques terroristes depuis sa disparition
Le chef de l’Etat tchadien, Idriss Déby, était parmi les chefs d’Etat africains invités sur le plateau du Débat africain. Cette émission de RFI, animée par notre confrère Alain Foka, a été consacrée en bonne partie aux attaques terroristes au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad. D'emblée, le président du Tchad évoque, avec nostalgie, l'époque où les populations du Sahel, bien que pauvres, vivaient paisiblement. Tout a changé brusquement, se rappelle-t-il, après la déflagration de la Libye, orchestrée par les pays du Nord, en dépit des multiples mises en garde des pays africains.
Comment en est-on arrivé là ?
"Avant la déflagration de la Libye, vous avez entendu un seul jour un homme noir, un Africain, se faire exploser pour tuer d’autres Africains ? Cela n'a commencé qu'en février 2014. C’est quelque chose qui n’existait pas chez nous. Ça a commencé après la destruction de l'Etat libyen", soupire-t-il. Idriss Déby rappelle que la Libye de Kadhafi était un des pays les plus armés du continent. Toutes ces armes ont été dispersées au sud du Sahara, dans les pays du Sahel. Aujourd’hui, c’est à partir de la Libye que les terroristes de Boko Haram reçoivent leur formation. C’est à partir de ce pays meurtri que ce groupe terroriste reçoit des renforts en armes, constate-t-il.
"Le trafic de la drogue et des êtres humains n’existait pas avant la déflagration de la Libye. Nos pays étaient en paix, même si des citoyens mécontents de tel ou tel pays pouvaient se livrer à des activités violentes. Avant la mort de Kadhafi, il n’y avait pas de gens qui quittaient la Libye, à leurs risques et périls, pour aller en Europe. 500 000 jeunes Africains travaillaient dans ce pays", se souvient-il.
"La décision d’intervenir en Libye, nous l’avons apprise par la radio"
Présent à ses côtés sur le plateau du "Débat africain", son homologue du Niger, Mahamadou Issoufou, acquiesce. Il décrit le triste spectacle offert aujourd’hui par le Sahel et le Bassin du Lac Tchad. Il n’y a que du sang et des larmes partout. De la Mauritanie au Tchad, de la Libye au Burkina Faso, se désole-t-il. "Il y a des décisions qui sont prises sans nous. La décision d’intervenir en Libye, nous l’avons apprise par la radio. Aujourd'hui, c’est nous qui en subissons les conséquences. Bien sûr que des menaces terroristes existaient déjà à l'époque en Algérie et dans le nord du Mali. Bien sûr qu'il y avait une présence d’organisations criminelles de trafic de drogue dans tout le Sahel. Mais toutes ces menaces ont été amplifiées par la chute de Kadhafi", déplore le président du Niger.
Comme son homologue tchadien, Mahamadou Issouffou dénonce "la gouvernance mondiale très déséquilibrée" dès qu’il s'agit de l’Afrique. Ils reprochent à la communauté internationale de ne pas faire suffisamment d’efforts pour marquer la solidarité avec les pays du Sahel et ceux du bassin du Lac Tchad.
"Quand il a été question de lutter contre le terrorisme au Moyen-Orient, plus de 200 avions de guerre ont été mobilisés. Des milliards de dollars ont été mobilisés. Et quand il s'agit de l'Afrique, les grandes puissances qui ont la technologie, qui ont les moyens, estiment que ce n’est pas une priorité",constate, amer, le président tchadien Idriss Déby.
Les deux chefs d’Etat notent, avec regret, que les promesses faites au Sahel par la communauté internationale sont restées jusqu’à présent lettres mortes. Nous sommes conscients, disent-ils, que la solution au terrorisme ne peut pas être que militaire.
L'Union européenne nous avait promis 12 milliards de dollars pour développer cette zone sensible. Et 400 millions pour équiper nos armées. Nous n'avons rien reçu jusqu'à présentsur le plateau du "Débat africain" (RFI)
Le chef de l’Etat nigérien rappelle toutes les initiatives prises par les pays de la région pour faire face aux mouvements terroristes. Il s’agit notamment de la mise en place d’une force mixte multinationale, qui regroupe quatre pays riverains du Lac Tchad et de la création d’une force conjointe (G5-Sahel) qui regroupe cinq pays sahéliens. "Nous avons même la volonté de mutualiser nos capacités en termes de moyens et de renseignements, mais nous avons besoin de la solidarité de la communauté internationale qui est en partie responsable des menaces auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui", plaide le président Issoufou.