Nucléaire iranien, un accord en état de « mort cérébrale »
Qui croit encore en l'accord sur le nucléaire iranien ? L'Iran a relancé le 7 novembre dernier ses travaux d'enrichissement d'uranium dans son usine souterraine de Fordow, dans le sud de Téhéran, en violation du texte conclu le 14 juillet 2015 avec les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne). Ce nouveau coin enfoncé dans l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) correspond à la quatrième phase de réduction des engagements de l'Iran depuis le mois de juillet.
En réponse aux sanctions américaines prononcées après le retrait unilatéral des États-Unis de l'accord, la République islamique fait monter la pression en prenant tous les soixante jours ses distances avec le JCPOA. But affiché : pousser les États européens toujours signataires à alléger ces mesures économiques punitives. « L'Europe nous doit quelque chose. Elle a été notre partenaire dans le cadre de l'accord sur le nucléaire iranien. Or elle n'a pas été capable de nous aider ne serait-ce que d'un centime d'euro », souligne une source diplomatique moyen-orientale, qui se veut toutefois rassurante : « Nous avons bien signifié que toutes les décisions que nous prenions sur le nucléaire étaient immédiatement réversibles. » À Téhéran, on justifie ces mesures de représailles en invoquant deux articles du JCPOA (26 et 36) qui permettraient à l'Iran de suspendre tout ou partie de ses engagements si les autres signataires manquaient aux leurs.
Stocks d'uranium
Après avoir dépassé, en juillet, la limite de 300 kilogrammes de stock d'uranium faiblement enrichi, ainsi que le pourcentage de 3,67 % d'enrichissement, l'Iran a annoncé en septembre la reprise de ses activités nucléaires de recherche et de développement, ainsi que la mise en route de nouvelles centrifugeuses avancées prohibées par l'accord. Si l'Iran multiplie les infractions aux JCPOA, le pays est encore loin de l'obtention de la bombe atomique, qui nécessite un degré d'enrichissement d'uranium de 90 %. L'accord sur le nucléaire de 2015 a réussi à repousser à un an le « breakout time », le délai nécessaire à l'Iran pour acquérir l'arme atomique si elle le décidait.
Or, avec la reprise des activités dans l'usine d'enrichissement de Fordow, un site souterrain qui avait été caché à la communauté internationale avant qu'il ne soit révélé par les Occidentaux en 2009, les Européens craignent que la République islamique ne parvienne à réduire cette marge de temps. « À partir du moment où il y a une accumulation des stocks d'uranium faiblement enrichi, il y a obligatoirement une réduction du breakout time », estime François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran. « Mais cela n'est que de la théorie. Si jamais l'Iran décidait d'enrichir à 90 %, alors les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui inspectent les sites iraniens le découvriraient sans attendre. »
Suspicion
La suspicion qui entoure toujours le programme nucléaire de l'Iran est aggravée par les nouvelles révélations de l'AIEA. Dans son rapport trimestriel du 11 novembre, l'agence affirme avoir détecté des « particules d'uranium naturel » dues à une activité humaine dans un entrepôt situé dans le district de Turquzabad, à Téhéran. Ce site non déclaré avait été découvert en 2018 par le Mossad, et révélé dans la foulée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. « Les traces d'uranium retrouvées sur ce site ne correspondent pas à un degré permettant d'acquérir la bombe atomique, souligne toutefois François Nicoullaud. Mais elles indiquent des expérimentations préliminaires portant sur une recherche d'intérêt militaire qui a eu lieu sur ce site jusqu'en 2009. C'est une infraction, car toute manipulation de matière fissile doit être déclarée à l'AIEA.
Les nouvelles transgressions nucléaires de l'Iran ont amené les pays européens à taper du poing sur la table. Dans un communiqué commun, les chefs de la diplomatie française, britannique, allemande et européenne ont appelé Téhéran à revenir sans délai à ses engagements du JCPOA, et menacé de recourir, dans le cas contraire, au « mécanisme de règlement des différends » de l'accord, ouvrant la voie à un retour des sanctions internationales (et non plus uniquement américaines, NDLR) contre l'Iran. Autrement dit, les Européens n'auraient d'autre choix que de se ranger à leur tour dans le camp américain des pays dénonçant l'accord, ce qui sonnerait la fin pure et simple du texte. Dès lors, l'Iran reprendrait la totalité de ses activités nucléaires prohibées.
L'espoir Macron
La seule lueur d'espoir dans cette inextricable affaire est à chercher du côté d'Emmanuel Macron. Depuis cet été, le président de la République est engagé dans une périlleuse médiation entre l'Iran et les États-Unis visant à obtenir un allègement des sanctions américaines en échange d'un retour de Téhéran au respect total de l'accord sur le nucléaire. En septembre dernier, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, le président français avait été à deux doigts de réussir son pari. Après un véritable marathon diplomatique, il aurait convaincu les Iraniens d'élargir l'accord nucléaire déjà existant à plusieurs points : la prolongation de la validité du texte à l'après-2025 (date à laquelle il doit arriver à expiration), une discussion sur les activités régionales de l'Iran (pour permettre notamment la résolution du conflit au Yémen) et le maintien de la sécurité du golfe Persique.
En échange, la France se serait engagée à octroyer à Téhéran une ligne de crédit de 15 milliards d'euros afin de lui permettre de vendre une partie de sa production pétrolière, aujourd'hui sous embargo. « Nous avons énormément avancé avec la France et nous ne parlions plus que de formulations, confie la source diplomatique moyen-orientale. Puis, à la dernière minute, les Français nous ont déclaré qu'ils ne pourraient concrétiser un tel accord que s'ils obtenaient l'autorisation de Trump. Or celui-ci a signifié à la France qu'il souhaitait négocier lui-même. »
Pourtant, d'après le New York Times, c'est Hassan Rohani qui aurait refusé de prendre au téléphone Donald Trump alors qu'une ligne sécurisée avait été installée le 24 septembre dernier par les Français entre les hôtels Lotte et Millennium, où résidaient les deux délégations. « Jamais nous ne donnerons un tel avantage au président américain, avertit la source précitée. Trump souhaite sa photo avant d'entamer les négociations, alors que nous souhaitons arriver à un compromis avant la photo. Car on ne peut pas faire confiance aux États-Unis. » Depuis cette occasion manquée, Washington a adopté de nouvelles sanctions contre Téhéran, qui ne laissent que peu de place à l'optimisme. « Même si les dernières décisions iraniennes peuvent encore être renversées, que fera l'Iran dans deux mois à l'expiration du prochain ultimatum, lorsque rien n'aura changé du côté occidental ? s'interroge une source au cœur du dossier. Tôt ou tard, l'Iran devra sortir de l'accord. »