Publié par CEMO Centre - Paris
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Algérie : quand novembre donne un nouveau souffle au hirak

dimanche 03/novembre/2019 - 12:36
La Reference
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Les Algériens ont vécu une journée historique le 1er novembre. La manifestation du 37e vendredi de mobilisation pour le départ du système et de ses figures emblématiques a commencé dans la soirée du jeudi dans la capitale. Coups de mehress (coups de mortier), klaxons, youyous, drapeaux, et des voix qui scandent : « Tahia El Djazaïr (Vive l'Algérie) », « Djazaïr hourra democratia (Algérie libre et démocratique) », « makach initikhabat (il n'y aura pas d'élections) ». Des centaines de personnes, dont des femmes et des enfants, ont envahi les rues d'Alger dès 20 heures munis de l'emblème national, défiant un important dispositif sécuritaire mis en place à l'occasion.

Le lendemain, le raz-de-marée prévu par les observateurs et tant redouté par le pouvoir s'est confirmé. Les principales artères de la capitale ne suffisaient plus. Les petites ruelles que les Algérois empruntent d'habitude pour un moment de répit avant de reprendre la marche étaient noires de monde. Des centaines de milliers de personnes sont venues des quatre coins du pays. Beaucoup parmi elles ont subi des trajets de sept ou dix heures au lieu des deux ou trois heures qu'ils font d'habitude pour prendre part à cette nouvelle démonstration de force dans une capitale difficilement accessible les vendredis.

Hasard du calendrier de l'histoire algérienne, cette 37e marche coïncide avec la célébration du déclenchement de la guerre de libération du 1er novembre 1954 contre le colonisateur français. Ce 65e anniversaire est célébré dans le pays alors que les Algériens protestent contre l'élection présidentielle du 12 décembre, qui leur apparaît comme une bouée de sauvetage à « laquelle s'accroche un système finissant » qu'ils veulent définitivement enterrer. Tout au long du hirak qui a commencé le 22 février, les Algériens ont célébré dans la communion des dates d'une forte charge symbolique. Ce 1er novembre a toutefois un goût particulier.

Extraordinaire mobilisation

Plusieurs raisons expliquent cette particularité. Ce vendredi inédit marque d'abord le retour à une grande mobilisation semblable à celle des mois de mars et d'avril derniers. Durant cette période, les toutes premières marches spectaculaires du hirak ont forcé la main au système pour pousser finalement Abdelaziz Bouteflika à démissionner quelques jours avant la fin de son quatrième mandat. Cette extraordinaire remobilisation intervient aussi au moment où le pouvoir semblait encore compter sur la baisse du nombre de personnes qui sortent chaque semaine contester son existence et donc sur un hypothétique affaiblissement du hirak.

Lors d'un entretien avec le président russe, le chef d'État algérien par intérim est d'ailleurs revenu sur les manifestations populaires en évoquant « quelques éléments » qui continuent à « sortir » et à « brandir des slogans ». « Si j'ai demandé à vous rencontrer, c'est pour vous rassurer sur la situation en Algérie, qui est maîtrisée, et nous sommes capables de dépasser cette conjoncture », a précisé Abdelkader Bensalah à Vladimir Poutine lors d'une rencontre organisée en marge du sommet Russie-Afrique. Une intervention que les Algériens ont dénoncée, sans concession, dans le fond et dans la forme ces deux derniers vendredis.

Dans les villes, la mobilisation se renforce au fur et à mesure que le scrutin, prévu dans moins de deux mois et rejeté par les manifestants dans la rue, approche. La campagne électorale devant avoir lieu dans seulement quelques jours sera animée par les candidats retenus par l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie). Dans le pays où les actions de protestation commencent à se multiplier, la question du déroulement normal d'une campagne électorale demeure entière.

La chute du mur de la peur ?

Le nouveau souffle que novembre et sa symbolique semblent avoir redonné au mouvement national du 22 février s'inscrit dans un contexte d'interpellations, d'arrestations et de placement sous mandat de dépôt de plusieurs manifestants, militants de partis politiques et d'associations, des opposants et des journalistes. Selon une liste actualisée publiée par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) le 30 octobre dernier, ils sont plus de 90 détenus d'opinion et politiques. Parmi eux, le président de l'association Rassemblement action-jeunesse (RAJ), Abdelwahab Fersaoui, et Karim Tabbou.

Cette liste devrait être actualisée une énième fois avec les nouvelles arrestations opérées, vendredi 1er novembre, par les services de sécurité, notamment pour le port du drapeau amazigh. À ces mises en détention s'ajoute l'ostracisme pratiqué par les médias publics et privés, notamment les chaînes de télévision. Les manifestations du hirak et les opposants sont quasiment absents dans la majorité des programmes. D'où le slogan scandé par les manifestants depuis plusieurs semaines : « Win rahi essahafa ? (où est la presse  ? NDLR) ». L'incertitude suscitée par la crise économique n'arrange pas les choses.

Cette situation, qui tend à faire peser une véritable chape de plomb sur les Algériens, ne les dissuade pourtant pas de sortir massivement chaque vendredi. Rien ne laisse croire qu'ils seront moins nombreux ou moins déterminés la semaine prochaine. Ils semblent avoir compris qu'ils se sont installés, peut-être malgré eux, dans une sorte de guerre d'usure durant laquelle il faut s'armer de patience et de la « selmya » (pacifisme). Ce qu'ils ont su faire jusqu'à maintenant. Au lieu de les décourager, la question des détenus politiques et d'opinion semble les rassembler plus qu'elle ne les dissuade.

Le déni

Face à une contestation qui ne faiblit visiblement pas, le système semble s'empêtrer dans le déni. Dans un discours à la nation à l'occasion du 1er Novembre, Abdelkader Bensalah a appelé à la « mobilisation pour la réussite de l'élection cruciale du 12 décembre prochain », avant d'ajouter, sur un ton de mise en garde : « L'État fera face à toutes les velléités de manœuvre. Notre peuple est appelé à la vigilance et à la prudence, et ses loyaux enfants doivent se tenir prêts à faire face aux cercles malveillants et à leurs actes hostiles à la patrie. » Rien ne laisse entrevoir un changement de cap dans les prochains jours.

Hier samedi, en début d'après-midi, l'Autorité nationale indépendante des élections a donné les noms des cinq candidats retenus pour la présidentielle. Il s'agit notamment de l'ancien chef du gouvernement Ali Benflis, l'ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, de l'ancien ministre de la Culture et secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) Azzedine Mihoubi. Dans les places publiques, les affiches incitant les Algériens à voter ont fait leur apparition. Le slogan « Nahnou nakhtar (C'est nous qui choisissons) » est écrit en arabe et en tamazight.

Les appels à la raison lancés par des politiques et des intellectuels ne cessent pourtant pas. « Le but ne doit pas être celui d'organiser l'élection à une date précise. L'objectif doit être d'aller vers un projet d'un État démocratique véritable où la source du pouvoir est le peuple. Nul ne peut prétendre dans l'avenir gouverner indépendamment du peuple. C'est pourquoi on doit faire preuve de retenue et de sagesse et tenir compte de l'avenir de l'Algérie », a indiqué Me Mostefa Bouchachi, avocat et militant des droits de l'homme, dans une vidéo diffusée sur Facebook.

Pour lui, tout « système rejeté par le peuple sera un système faible et tout président rejeté par le peuple le sera tout autant. Il ne pourra pas faire face aux pays qui s'acharnent sur l'Algérie ». « Pour qu'on puisse véritablement se libérer et pour que le système politique se libère et pour que les institutions de l'État puissent se libérer, il est impératif que la source de pouvoir soit le peuple algérien. Pour cela, mon souhait est qu'on arrive (…) à écouter la voix de la raison, la voix du peuple sorti massivement lors du 37e vendredi », a-t-il insisté.

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