Publié par CEMO Centre - Paris
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Éthiopie : Abiy Ahmed, un Nobel de la paix sous pression

mardi 29/octobre/2019 - 09:16
La Reference
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Quelles que soient les causes des violentes manifestations observées ici et là, communautaires, économiques ou religieuses, elles sont véritablement un challenge pour le Premier ministre.

Le prix Nobel de la paix décerné à Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, est décidément bien difficile à porter. Pour preuve : deux semaines après avoir été lauréat de la prestigieuse récompense, il a été confronté à de violentes manifestations. Le bilan est lourd : selon la police, 67 personnes ont perdu la vie la semaine dernière. Invité à Sotchi pour le sommet Russie-Afrique, sa réaction a tardé. Samedi, il a finalement dénoncé « une tentative de provoquer une crise ethnique et religieuse ». « La crise que nous vivons pourrait encore s'aggraver si les Éthiopiens ne s'unissent pas », a-t-il affirmé dans un communiqué. « Nous travaillerons sans relâche pour assurer que la justice prévale et traduire en justice les coupables. »

L'étincelle des manifestations : Jawar Mohammed, un autre Oromo

À l'origine, cette fois, de la contestation, un post sur Facebook. Le 23 octobre, Jawar Mohammed, fondateur du média d'opposition Oromia Media Network (OMN), affirme que la protection policière dont il bénéficie lui a été retirée par les autorités. La première étape, selon lui, d'un plan qui viserait à monter une attaque contre lui. Le lendemain, les soutiens de l'homme au 1,7 million d'abonnés descendent dans les rues d'Addis-Abeba. Les affrontements, qui opposent les manifestants aux forces de l'ordre, mais aussi les partisans et détracteurs de Jawar Mohammed, se propagent dans d'autres villes de la région Oromia. Vendredi, le ministère de la Défense annonce le déploiement de militaires dans sept zones où la situation restait particulièrement tendue, dont la ville d'Adama, à 90 km au sud-est de la capitale.

La dimension communautaire minorée…

Dès lors, une question se pose : l'Éthiopie va-t-elle de nouveau être en proie à de nouvelles violences intercommunautaires, responsables de l'exil d'environ trois millions de personnes ? « Cette fois, on est plus face à une crise politique personnelle qu'à un affrontement entre communautés, affirme Ahmed Soliman, spécialiste de la corne de l'Afrique au sein de l'institut de recherche Chatham House. Dans les manifestants, il y avait des pro et des anti-Jawar Mohammed. » Abiy Ahmed et Jawar Mohammed sont en effet tous deux issus de la communauté Oromo. Ce dernier est même un ancien allié du Premier ministre. En 2018, Jawar Mohammed a été à l'origine de plusieurs manifestations d'ampleur qui ont conduit par la suite à la démission de Haile Mariam Dessalegn et à l'accession au pouvoir d'Abiy Ahmed en avril 2018.

… au profit d'un duel à distance de deux personnalités oromo

Mais les relations entre les deux hommes se sont rapidement détériorées. « Aujourd'hui, on peut dire qu'une bataille se joue pour la représentation des Oromo. Jawar Mohammed est conscient de son pouvoir de mobilisation. Les événements de 2018 le lui ont prouvé. » D'autant que les élections générales, prévues en mai 2020, approchent. L'opposant au Premier ministre se positionne-t-il déjà ? « Je n'en suis pas si sûr, suppose Ahmed Soliman. Pour le moment, il n'a jamais fait étalage de ses intentions politiques. Mais il serait un adversaire à ne pas négliger, il a beaucoup d'influence. »

Des dégâts collatéraux à impact religieux

Peu de voix se sont exprimées sur les événements, mais l'Église orthodoxe éthiopienne, elle, a fait savoir son indignation. « Les gens meurent, et on se demande si le gouvernement existe vraiment. Les gens perdent espoir », s'est lamenté auprès de l'AFP le père Markos Gebre-Egziabher, un haut responsable de l'Église orthodoxe tewahedo, à l'issue d'une messe à la cathédrale de la Sainte-Trinité d'Addis-Abeba. Selon Fisseha Tekle, un collaborateur d'Amnesty International, trois églises orthodoxes et une mosquée ont été attaquées par des manifestants. D'après la radio publique Fana, des responsables de l'institution religieuse ont d'ailleurs rencontré samedi le ministre de la Défense Lemma Megersa et le Premier ministre adjoint Demeke Mekonnen. « Chacun ici semble vouloir tester son influence, estime le chercheur londonien. Jawar Mohammed est musulman, la communauté Oromo est composée de plusieurs religions distinctes… Peut-être l'Église orthodoxe cherche-t-elle aussi à faire porter sa voix. Mais il ne faut vraiment pas voir ces violences sous le prisme religieux. C'est avant tout une bataille personnelle. »

L'image d'Abiy Ahmed dans la balance

Quoi qu'il en soit, ce qui apparaît aussi comme une querelle personnelle, une rivalité pourrait-on même supposer, risque d'écorner l'image d'Abiy Ahmed, tout juste auréolé du prix Nobel de la paix pour la signature du traité de paix avec l'Érythrée et la libération de prisonniers politiques notamment. Même si le Premier ministre a pris des mesures ambitieuses, « son travail est loin d'être achevé, rappelle Amnesty. Il doit veiller sans délai à ce que son gouvernement apaise les tensions ethniques qui menacent la stabilité et favorisent les atteintes aux droits humains ». Autrement dit, il est urgent pour le Premier ministre d'éteindre les différents incendies qui s'allument ici et là dans le pays. La combinaison des facteurs politiques, économiques, communautaires et religieux pourrait conduire à une situation encore plus explosive qui, répression oblige, ne manqueront pas de mettre Abiy Ahmed en porte-à-faux par rapport à son prix Nobel de la paix, lequel s'accommoderait difficilement de violences civiles avec un important de lot de victimes.

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