"Daech a pris la place d'Al-Qaeda pour mener le djihad global"
Mort au cours d'un raid militaire américain, le chef de l'organisation terroriste Etat islamique revendiquait le titre de calife. Sa succession n'aura rien de simple.
Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé dimanche que le chef du groupe Etat islamique était mort au cours d'une opération militaire américaine en Syrie. Calife autoproclamé d'un territoire à cheval entre la Syrie et l'Irak, Abou Bakr al-Baghdadi était devenu l'homme le plus recherché du monde. Sa succession s'annonce périlleuse pour Daech, explique à L'Express Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamiques. Il a publié, avec Pierre Puchot, "Le combat vous a été prescrit", une histoire du jihad en France, aux éditions Stock en 2017.
La mort du chef de Daech va-t-elle ouvrir une succession rapide ?
Romain Caillet : Son prédécesseur, Abou Omar al-Baghdadi, était mort en 2010. Mais l'identité de son successeur, Abou Bakr al-Baghdadi n'a filtré qu'en 2014, quelques mois avant son serment de calife à la grande mosquée de Mossoul. On n'a pas su grand-chose de lui pendant plusieurs années. Si ce scénario se reproduit, cela risque de poser un problème pour toutes les branches de l'Etat islamique (EI) qui ont prêté allégeance au calife. Car le califat n'est pas qu'un concept politique, lié à une entité territoriale qui n'est plus. C'est aussi un concept religieux.
Abou Bakr al-Baghdadi se présentait comme un "Qureshi", soit un descendant du prophète Mahomet. Un tel critère a-t-il son importance pour la suite ?
Au Machrek (l'Orient arabe), toutes les grandes familles s'en revendiquent. Un arbre généalogique que l'on peut retracer accompagne le titre de Calife. Il faut que l'identité de celui qui revendique ce titre soit connue. L'ancien porte-parole de l'EI, Abou Mohammed al-Adnani (mort en 2016), pour annoncer la restauration du califat, avait précisé sur plusieurs générations l'arbre généalogique d'al-Baghdadi. D'autres caractéristiques ont leur importance. Il ne doit pas avoir de handicap, à l'instar du mollah Omar, qui était borgne. Il doit aussi posséder une expérience de la guerre et des connaissances religieuses. Al-Baghdadi pouvait se prévaloir d'un doctorat en théologie.
A-t-il préparé la suite et connait-on les hauts dirigeants de Daech en mesure de lui succéder ?
Les informations des médias arabes sur ceux-ci sont en général à prendre avec des pincettes. Le seul dirigeant connu à ce jour était le porte-parole Abou Hasan Al-Mouhajir (tué dimanche 27 octobre au cours d'un raid dans le nord de la Syrie). Des biographies prêtes à l'emploi avec des arbres généalogiques ont été découvertes pour un certain nombre de dirigeants de l'EI qui ont été tués. C'est le signe qu'ils ont pu être envisagés comme de potentiels successeurs à al-Baghdadi. L'EI a peut-être préparé un scénario pour la suite. Mais celui-ci doit faire sens pour la communauté djihadiste qui se revendique du califat.
Que reste-t-il aujourd'hui de Daech ?
Ils font partie du paysage en Syrie et en Irak, même s'ils ne contrôlent plus de territoires. En Irak, une partie importante de la communauté sunnite était proche de l'EI. En Syrie, certaines tribus arabes ont négocié avec les Kurdes le retour en leur sein de certains de leurs enfants engagés auprès de l'EI et faits prisonniers. Mais ces tribus ont des membres dans tous les camps. On retrouve des groupes actifs se réclamant de l'EI en Afghanistan, dans le Sinaï égyptien ou au Nigeria. Dans ce dernier pays, ils se divisent entre les partisans d'Aboubakar Shekau [dirigeant emblématique de Boko Haram, NDLR] et l'EI en Afrique de l'ouest. Il se peut que Shekau profite de la succession pour renégocier son allégeance ou contester le nouveau calife.
Quels sont les objectifs stratégiques de l'EI ?
Il a pris la place d'Al-Qaeda pour mener le djihad global. A cet égard, ils peuvent se passer d'un territoire sous leur contrôle. Mais si le futur dirigeant s'expose, il risque de se faire tuer rapidement. L'EI peut aussi mettre en avant un homme de paille, mais il y a le risque que cela passe mal auprès des groupes ayant fait allégeance si cela s'apprend. Il est possible que l'organisation subisse la perte d'al-Baghdadi sans dommages par rapport à la situation actuelle, ou qu'un schisme l'affaiblisse durablement.