Publié par CEMO Centre - Paris
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Abou Bakr al-Baghdadi vu par la DGSI

lundi 28/octobre/2019 - 08:00
La Reference
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Alors que la mort du chef de l'organisation État islamique (EI) a été confirmée par Donald Trump, après un raid américain, Le Point s'est plongé dans les notes et rapports successifs réalisés par les services de renseignements français, lesquels dessinent la trajectoire d'un djihadiste devenu en quelques années le calife autoproclamé d'un régime basé sur la terreur et la négation des libertés. 

Pour la DGSI, Abu Bakr al-Baghdadi prend l'ascendant à partir de 2010. Selon le chef de file de la lutte antiterroriste en France, vers 2003, durant l'intervention américaine en Irak, des groupes djihadistes s'étaient organisés pour renverser le gouvernement et mettre en place un régime islamique. Baghdadi est d'abord repéré comme un cadre de Jab'at At-Tawhid wa Jihad (Mouvement pour l'unicité et le jihad) également appelé AT-Tawhid (L'Unicité), fondé en 1999 par le Jordanien sanguinaire Abou Mousab al-Zarkaoui, considéré comme le bras armé de Ben Laden en Irak et en Syrie alors que l'Égyptien Ayman al-Zawahiri en est l'idéologue.

Appel à la hijra

La DGSI considère que Zarkaoui est le véritable inspirateur de la méthode de « gouvernement » de Baghdadi. Selon la centrale du renseignement, dont Le Point a pu consulter les documents, Abou Bakr al-Baghdadi prend la tête de l'État islamique en Irak en mai 2010 à la mort de son prédécesseur Abou Omar al-Baghdadi, lors d'une opération militaire. À partir de 2011, l'EI amorce son ascension en profitant de la guerre civile qui fait rage en Syrie. Baghdadi étend son influence en créant le Front Al-Nosra. En 2013, Abou Bakr al-Baghdadiannonce la fusion du Jabhat Al-Nosra et de l'État islamique d'Irak, qui forment désormais l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). De son côté, le patron d'Al-Nosra reste fidèle à Al-Qaïda.

En juin 2014, l'EIIL prend la ville de Mossoul. À partir de 2014, les territoires sous la coupe de Baghdadi sont unifiés. L'influence d'Abou Bakr al-Baghdadi s'étend du nord de la Syrie jusqu'à Bagdad. Il s'autoproclame calife de l'État islamique. L'idéologue Al-Adnani appelle les musulmans du monde entier à soutenir le nouveau califat. Dès son « intronisation », Al-Baghdadi dénonce « l'humiliation et le massacre des musulmans à travers le monde », notamment en Centrafrique. Il appelle l'ensemble des musulmans à faire leur hijra [émigration en terre d'islam, NDLR] au sein du califat et fustige la France pour sa législation interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics.

Les États-Unis, pays le plus visé par la propagande

Les États-Unis restent le pays le plus visé par les diatribes de Baghdadi et ses sbires. Mais la France, selon la DGSI, fait l'objet d'une vindicte particulière. Pour Baghdadi, Paris était la capitale des « abominations et de la perversion ». Sa haine était toute dirigée vers les Occidentaux : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen — en particulier les méchants et sales Français — (…) alors, comptez sur Allah et tuez-le de n'importe quelle manière. » « Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d'un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le », lâchait-il.

Une stratégie : des appels aux meurtres avec des moyens sommaires qui permettent de toucher un vaste vivier de djihadistes, selon la centrale du renseignement. Une fois installé, Baghdadi organise son régime de terreur. Mais ce qui intéresse le renseignement français, c'est sa propagande à destination de potentiels djihadistes en Europe et notamment en France. L'État islamique, dès 2014, a établi sa stratégie à destination des jeunes Français.

Le djihad à domicile

« L'organisation d'Abou Bakr al-Baghdadi cherche à convaincre les individus ne pouvant quitter l'Occident de prêter allégeance à l'"État Islamique" et de mener le djihad chez eux », selon la DGSI. À ce titre, les cadres de l'organisation terroriste tentent d'établir un climat de terreur en Occident en médiatisant les actions conduites d'initiative en mettant délibérément en exergue le rôle des Européens convertis dans ses vidéos. «  L'utilisation de combattants français dans des produits de propagande vise ainsi à inciter des ressortissants français, notamment au sein de la population convertie, à passer à l'acte sans avoir préalablement transité par une terre de djihad. »

Ainsi en octobre 2014, la mise en scène de djihadistes français dans les vidéos de propagande de l'État islamique, à visage découvert, se multiplie. Le djihadiste nîmois Brahim el-Khayari a diffusé une vidéo dans laquelle il critique avec véhémence les bombardements de la Coalition en cours en Syrie et en Irak et déclare que la France est désormais en guerre contre un « État islamique ». Citant l'exemple du terroriste Mohammed Merah, il menace la population française : « Autant de bombes que vous avez lâchées en Irak et au Sham [Syrie, NDLR], vous aurez autant de meurtres et autant de tueries. » Adressant un message à « tous les musulmans de France », le djihadiste exhorte à « tuer n'importe quel civil ». Il avertit que les ressortissants français et des autres pays de la Coalition ne seront plus en sécurité, chez eux ni à l'étranger.

Le président français menacé

Une autre vidéo intitulée « Wait. We too are waiting » et présentant trois combattants européens, dont le djihadiste francilien Yanis Belhamra, a été diffusée sur Internet. Ces derniers s'en prennent, chacun dans leur langue, à leurs gouvernements respectifs dont ils dénoncent la participation aux actions militaires menées en Irak et en Syrie. Le président français y est explicitement menacé, en représailles à sa « guerre contre l'Islam ». Après la décapitation de l'otage américain Peter Kassig en 2014, ainsi que celle de 18 autres individus présentés comme des soldats syriens, l'État islamique » diffuse une vidéo des bourreaux parmi lesquels figure le djihadiste français Maxime Hauchard, décédé depuis.

Baghdadi fait initier un autre appel aux « combattants » français à la fin de l'année 2014 : « What are you waiting for  ? » Elle met en scène trois combattants français, Quentin Lebrun, Kevin Chassin et Othman Garrido, originaires de Toulouse et Montpellier. Dans cette vidéo, les trois Français brûlent leurs passeports français et exhortent en français les musulmans de France à rejoindre les terres de l'« État islamique ». Ils appellent ceux qui ne pourront pas émigrer à prêter allégeance à Baghdadi depuis la France et à mener des attentats dans l'Hexagone selon différents modes opératoires : attaques armées, renversement de piétons en voiture, etc.

Attentats en France

À partir de 2015, une vague d'attentats touche la France. La propagande de Baghdadi à l'intention des Français utilise également les enfants des djihadistes : en 2016, il fait diffuser une vidéo intitulée « Sur les traces de mon père » qui met en scène deux enfants de 12 et 8 ans, fils du djihadiste français Christophe Margery, présumé mort en Syrie en décembre 2013, proférant des menaces contre la France et s'exerçant au tir sur des effigies d'hommes politiques dont François Hollande. La séquence se termine par l'exécution de deux prisonniers.

En dépit de cette attention particulière pour les ressortissants français, de 1 000 à 2 000 combattants issus de l'Hexagone en comptant femmes et enfants ont été recensés ces dernières années sur zone selon le ministère de l'Intérieur ou le parquet de Paris, sur près de 30 000 djihadistes étrangers au sein de l'État islamique. Néanmoins, les Français ont longtemps été comptabilisés comme le premier groupe européen au sein de l'État islamique.


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