Du bout des doigts, Azad agrandit l'enfant jusqu'à l'insoutenable sur l'écran. Le petit garçon au torse brûlé hurle. Virale, la photo n'est ni datée ni précisément sourcée sur son téléphone. Mais au bord de cette route, elle symbolise soudain le cri et toute la colère du Kurdistan trahi. Celui de l'ouest, le Rojava bombardé par la Turquie en Syrie. Mais aussi celui du sud, ici, sur l'axe Erbil, Dohuk, Zakho en remontant vers les trois frontières, ce triangle sur la carte où la Syrie pousse son index comme un coin entre l'Irak et la Turquie. Là où trois états séparent les Kurdes des trois pays…
Aujourd'hui ? On roule vers le camp de Bardarash où arrive un flux continu de réfugiés. Une fuite d'hommes et de femmes convoyés en minibus dans un flot de camions ne tarissant jamais. Et sur le bord de la route, on s'est garé près de cette aire de battage pour le riz. Azad Sorchi y veille au grain de sa récolte dans le nuage d'éclats de paille soulevé par le vent. «Ce que fait Erdogan, ça crève le cœur de tous les Kurdes. Les Kurdes sont des gens pacifiques. Ils ont combattu Daech en Syrie et en Irak pour éliminer ces terroristes et maintenant les États-Unis les trahissent, leur tournent le dos et l'Union européenne ferme ses yeux et ses oreilles, sans tenir non plus ses promesses alors que les Kurdes vont subir un nouveau génocide, comme au temps de Saddam Hussein», lance Azad, la photo du petit garçon toujours brandie en procureur, sur son portable.
Il a 31 ans, Rachid à côté de lui 32, Rozagar 36. Tous trois ont combattu l'Etat islamique, deux en tant que Peshmergas, le troisième volontaire. Ils voient la carte en militaires. Savent que les jihadistes déjà aux aguets profiteront du chaos pour repasser à l'attaque chez eux. Et ils sont convaincus que quelles que soient l'origine et la marque franchisée du salafiste, Erdogan les soutient malgré toutes ses protestations officielles de lutte antiterroriste. Alors…
«Menacé à 100 %»
«Oui, après le Rojava, le Kurdistan irakien est menacé à 100 %. Erdogan veut reconstruire l'empire ottoman. Mossoul comme le Kurdistan irakien en faisaient partie. Il veut nous prendre en étau entre les Arabes d'Irak et de Syrie et les Turcs. Si la communauté internationale ne l'arrête pas, on aura un grand génocide contre les Kurdes de la région», sont-ils persuadés. Le souvenir du gazage d'Halabja, à 500 km de là, et des 2 000 villages rasés par Saddam Hussein et son cousin Ali «le chimique» est encore dans toutes les mémoires. 50 000 à 180 000 civils kurdes exterminés, c'était en 1988, il y a une génération. Pour l'heure ? «Les Américains ont perdu un grand allié, très...