Liban : malgré les annonces, des dizaines de milliers de personnes continuent de manifester
Pour
le sixième jour consécutif, les Libanais sont descendus par dizaines de
milliers dans les rues mardi 22 octobre, malgré les
réformes économiques d’urgence concédées lundi par le pouvoir.
Dans la soirée, comme si les annonces faites la veille par le premier ministre
Saad Hariri n’avaient pas eu lieu, les manifestants ont à nouveau envahi les
rues de Beyrouth et de nombreuses autres villes du pays.
Les
lueurs de milliers de téléphones portables et une forêt de drapeaux libanais
ont salué l’apparition de slogans prouvant une volonté intacte de poursuivre la
lutte : « Révolution jusqu’à la victoire ! », « Manifestations,
manifestations jusqu’à la chute du régime ! » Dans les rues
de Beyrouth, un groupe de jeunes juchés sur une voiture a appelé en chantant à
la « désobéissance civile ». « Ils croient
que ce sera terminé demain, mais demain nous serons toujours là », a
lancé au micro et sous les vivats un jeune homme sur l’estrade installée place
des Martyrs, au cœur de la capitale.
Un
rassemblement s’est aussi formé devant le siège de la Banque centrale. « Nous
ne paierons pas les taxes. Que les banques les payent ! », ont
scandé les manifestants. Les banques, les écoles et les universités sont
restées fermées, et elles le seront à nouveau mercredi.
Infrastructures
en déliquescence
Manifestation à
Tripoli, dans le nord-ouest du Liban, le 22 octobre. OMAR IBRAHIM / REUTERS
Le
scepticisme de la foule, mêlé de colère, s’était fait sentir dès l’annonce
lundi soir par Saad Hariri de son plan qui se voulait pourtant décisif :
mesures contre la corruption, budget sans nouveaux impôts, programme de
privatisations pour lutter contre la gabegie des services publics, aides en
faveur des plus défavorisés…
Son
discours à peine terminé, les slogans-phares de la contestation ont retenti de
plus belle, notamment celui réclamant le départ immédiat de l’ensemble des
responsables politiques : « Tous, cela veut dire
tous ! »
Depuis
la fin de la guerre civile en 1990, les infrastructures du pays sont
restées en déliquescence et les Libanais font toujours face à des coupures
quotidiennes d’eau et d’électricité. Selon le chercheur en sciences politiques
Karim El-Mufti, il aurait fallu des « mesures beaucoup plus
radicales », au-delà d’annonces économiques d’urgence, pour convaincre
les Libanais qui réclament une refonte en profondeur du système. Heiko Wimmen,
analyste à l’International Crisis group, est du même avis : « Il
s’agit de mesures techniques qui peuvent améliorer la situation budgétaire du
pays mais ne sont pas à la hauteur du défi posé par les manifestants. »
Série de consultations
Déclenché
par l’annonce le 17 octobre d’une nouvelle taxe sur les appels effectués
via la messagerie WhatsApp, le mouvement de colère a pris les responsables
politiques de court. L’annulation rapide de la mesure n’a pas empêché la colère
de prendre de l’ampleur. Fait aussi rare que marquant, la mobilisation a gagné
l’ensemble du pays et un tabou a été brisé dans les fiefs chiites du Hezbollah
pro-iranien, où même son leader Hassan Nasrallah a été pris à partie par la
foule.
M. Hariri
a entamé de son côté une série de consultations avec des ambassadeurs à
Beyrouth pour leur présenter son plan de réformes en espérant, selon un de ses
conseillers, « des réactions très positives ». Faute des
réformes structurelles promises, le Liban est toujours dans l’attente du
versement d’une aide de 11 milliards de dollars promise en avril dernier
par des pays donateurs.