Irak : derrière la répression, l'ombre des milices pro-Iran
Le mystère autour de la féroce répression des
manifestations en Irak commence
à s'éclaircir. Au moins 108 personnes ont été tuées et 6 000
blessées en réponse au vaste mouvement de révolte qui secoue le pays depuis le
1er octobre dernier. Dénonçant la corruption qui gangrène le pouvoir et
l'incapacité du gouvernement à assurer les services publics de base (fourniture
d'eau et d'électricité), des milliers d'Irakiens sont spontanément descendus
dans la rue. Mais ils ont été accueillis par des balles. « Il y a eu des
snipers à Bagdad qui ne sont ni issus du peuple ni de l'armée », confie
Ali, un jeune manifestant.
« Des snipers
ont été utilisés », confirme un influent religieux irakien, qui écarte lui
aussi toute répression de la part des forces gouvernementales. « L'armée
n'est pas autorisée à tirer ainsi sur les manifestants », insiste-t-il.
Trois semaines après le début des révoltes, le mouvement s'est tari. Les
autorités irakiennes ont annoncé l'ouverture d'enquêtes sur les violences, pour
lesquelles elles ont accusé des « tireurs non identifiés ». « Ce
sont probablement des membres des Hached al-Chaaabi », poursuit Ali, le
manifestant. Autrement dit, la coalition d'unités de mobilisations populaires,
que l'on appelle en Occident les milices chiites.
Puissantes milices
Apparues au lendemain de la proclamation du
« califat » de Daech en juin 2014, les Hached al-Chaabi ont été
créées à la suite de l'appel à la mobilisation populaire lancé en
juillet 2014 par le grand ayatollah Ali al-Sistani, plus haute
autorité chiite, pour contrer la progression des djihadistes. Composée de
plusieurs milices chiites, cette alliance a été notamment armée et entraînée
par les Gardiens de la révolution islamique, le bras armé du régime iranien
dans la région. Sur le terrain, ces unités se sont révélées particulièrement
efficaces pour libérer, aux côtés de l'armée irakienne, le territoire irakien
des mains des « soldats du califat ».
Daech vaincu, les Hached al-Chaabi ont été officiellement
intégrées au sein de l'armée régulière et placées sous l'autorité du
gouvernement irakien. Mais certaines de ces milices les plus puissantes
– Assaïb Ahl al-Haq (La ligue des vertueux), l'organisation Badr, la
milice Kataib Hezbollah et Hezbollah al-Nujaba – refusent toujours de
rompre leurs liens avec Téhéran. D'anciens commandants militaires proches de
Téhéran se sont même engagés au niveau politique, créant le Fatah, une alliance
électorale arrivée deuxième aux élections législatives de 2018, et consacrant
l'influence de l'Iran dans
le jeu politique irakien.
« Irak libre, Iran dehors »
Les liens entre la République islamique et ces milices
sont si étroits que celles-ci se seraient vu confier depuis l'année dernière
des missiles balistiques d'une portée de plusieurs centaines de kilomètres.
L'Irak est ainsi fortement soupçonné d'avoir servi de base de lancement à
plusieurs attaques de sites pétroliers saoudiens en mai et septembre dernier.
Cet été, plusieurs sites appartenant aux Hached al-Chaabi ont été détruits par
l'aviation israélienne, soucieuse de ne pas se retrouver menacée par un tel
arsenal.
Le pouvoir grandissant de la République islamique d'Iran en Irak a été dénoncé par les manifestants lors de
plusieurs rassemblements. Dans le sud du pays, majoritairement chiite, certains
contestataires n'ont pas hésité à brûler des drapeaux iraniens, aux cris
de « Irak libre, Iran dehors ». Ces manifestations ont en tout
cas suscité l'inquiétude de la plus haute autorité en Iran. Désireux de
conserver un Irak stable où il peut exercer son influence, l'ayatollah Ali
Khamenei, guide suprême iranien, a dénoncé le 6 octobre sur Twitter
un « complot » monté par des « ennemis » pour « semer
la discorde » en Irak. Si Ali Khamenei ne les a pas nommés, plusieurs
responsables iraniens ont accusé les États-Unis, Israël, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d'avoir
fomenté les manifestations. Et, dès le lendemain, le chef des Hached al-Chaabi,
Faleh al-Fayyadh, s'est dit prêt à intervenir pour empêcher « un coup
d'État ou une rébellion » en Irak, à condition néanmoins que le
gouvernement irakien le lui ordonne.