Offensive turque en Syrie : combattants, femmes et enfants de jihadistes... Qui sont les ressortissants français ?
Que vont devenir les jihadistes français et
leurs familles à la suite de l'offensive turque en Syrie ?
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a plaidé, jeudi 17 octobre à Bagdad, pour que soixante
d'entre eux soient jugés en Irak, après leur transfèrement depuis les
prisons du Kurdistan syrien. Car depuis le début de l'opération militaire d'Ankara dans le nord du pays, Paris redoute que certains ne
s'évadent pour redonner corps au groupe Etat islamique (EI), ou revenir dans
leur pays d'origine.
"Il n'est pas question de voir d'un seul coup ces
combattants arriver sur le sol français comme ça par miracle", a assuré Emmanuel Macron, mercredi, lors d'une
conférence de presse à Toulouse. Il n'empêche que leur sort, ainsi que celui de
leurs femmes et enfants, demeure un sujet brûlant. Dans la soirée de jeudi,
la Turquie a fini par accepter un cessez-le-feu provisoire et pourrait se retirer de Syrie. Mais cette trêve
n'apporte qu'un statu quo à cette situation explosive.
"Plus de la
moitié sont des femmes"
"Dans la zone du nord-est syrien, on considère qu'il
y a à peu près 400 à 450 Français, certains dans des camps, d'autres
prisonniers, dont des enfants", avait
estimé Jean-Yves Le Drian le 28 mai, devant la commission des
Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Quant aux enfants, il en "reste 200 à 300", "retenus au
Kurdistan syrien", est-il
écrit, selon L'Express, dans les plaintes déposées en septembre contre Jean-Yves le Drian pour "omission de
porter secours".
Une autre plainte devant la Cour de justice
de la République (CJR) va par ailleurs être déposée par la famille d'une
jihadiste retenue avec ses quatre enfants dans un camp du Kurdistan syrien. Une
plainte qui visera également la ministre
de la Justice, Nicole Belloubet. Mardi, lors de son intervention au Sénat et à l'Assemblée, le ministre des Affaires étrangères est resté vague sur
le nombre de ressortissants français présents en Syrie. De son côté,
le Quai d'Orsay, sollicité par franceinfo, se contente de répondre : "On ne peut pas communiquer."
"Quatre cents à cinq cents Français, ce sont les
chiffres qui circulent, indique
à franceinfo Stéphanie Perez, grand reporter à France 2 et envoyée spéciale en
Syrie. Mais les Kurdes ne veulent pas donner de
chiffre par nationalité." "Le référencement de source gouvernementale
de mars 2019 relevait 63 femmes et 149 enfants, dont trente de moins de 2 ans.
Or, d'autres sont arrivés après la chute de Baghouz, ce qui augmente le
chiffre. Puis, il y a les phénomènes de dissimulation ou encore de fuites qui
ne permettent pas une quantification exacte", avancent, pour leur part, à franceinfo, Inès Daif et
Stéphane Kenech, journalistes freelance travaillant en Irak et Syrie.
Pour tenter d'y voir plus clair, Thomas
Renard, spécialiste belge des matières terroristes à l'Institut Egmont, a
publié, mardi, avec d'autres chercheurs, un tableau recensant le nombre d'Européens détenus en Syrie et en
Irak, répartis en fonction de leur nationalité.
Dans les cases "France", 130 adultes sont répertoriés et, du côté des
enfants, ils sont entre 270 et 320 enfants.
"On avait l'impression que les chiffres qui
circulaient ne collaient pas avec ce qu'on observait. On a d'abord exploré les
documents officiels. Journalistes, chercheurs... On a ensuite contacté une
personne, au minimum, par pays, pour vérifier ces chiffres. On les a croisés.
Quand la discordance était minime, on a opté pour une fourchette ; quand
elle était plus importante, on a gardé le chiffre le plus bas", décrypte Thomas Renard pour franceinfo. Qui met
toutefois en garde : "Ces chiffres sont à prendre avec
beaucoup de précaution. Même les gouvernements ont une vue incomplète."
Aucun Etat
ne peut prétendre savoir combien de ses ressortissants sont sur zone.à franceinfo
Son tableau permet tout de même d'offrir une "image plus détaillée" et de prendre conscience de la proportion d'enfants
dans cette région du pays. Car, au total, le chercheur dénombre au moins 432
adultes européens et au moins 697 enfants européens. "Sur ces 432, plus de la moitié sont des femmes.
C'est une donnée intéressante. Elle ne figure pas dans notre tableau car on
n'avait pas de chiffre précis, seulement une proportion, précise Thomas Renard. Il y avait moins de femmes au départ en Syrie, mais à
l'arrivée, le ratio est inversé car elles sont moins nombreuses à avoir été
tuées."
"Les plus
radicales mènent la danse"
Aujourd'hui, ces femmes vivent principalement dans trois camps du
Kurdistan syrien – il y en a d'autres dans le reste du pays – avec leurs
enfants, tandis que les hommes sont en prison. Les Européens se trouvent à
Hassaké, une ville du nord-est, selon Thomas Renard. "Mais pour les hommes, on n'a beaucoup moins
d'informations, c'est beaucoup plus sensible", souligne-t-il. Les combattants kurdes ont fait
cette distinction par sexe lorsqu'ils ont capturé les jihadistes. En décembre
2018, Stéphanie Perez avait pu se rendre dans le camp de Roj, à l'extrême
nord-est du pays, près de la frontière turque. Y vivaient alors une
quinzaine de Françaises, parmi lesquelles Emilie König ou encore Margaux Dubreuil, qui figurent sur la liste noire des
terroristes internationaux diffusée par les Etats-Unis.