Qui sont les rebelles syriens qui se battent avec les Turcs?
Les supplétifs issus de divers groupes islamistes et réunis sous le nom d’«Armée nationale syrienne» servent de fantassins au sol contre les Kurdes.
«Armée nationale syrienne». L’appellation est trompeuse. Il ne s’agit pas de l’armée de Bachar al-Assad mais des milliers de combattants syriens qui se battent aux côtés des Turcs contre les Kurdes au nord-est de la Syrie. Accusés de nombreuses exactions, ces supplétifs sont pour certains originaires de la région, pour d’autres proviennent de groupes islamistes et djihadistes installés dans la province voisine d’Idlib.
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«Le fer de lance de l’Armée nationale syrienne dans cette opération, ce sont des Syriens originaires des zones où ont lieu les combats et qui avaient quitté le territoire avec l’arrivée de Daech ou celle des YPG [milices kurdes, NDLR]», raconte Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements djihadistes. C’est dans le nord-est de la Syrie que l’opération baptisée «source de paix» a été lancée par les Turcs le 9 octobre sur le territoire que les Kurdes baptisent du nom de «Rojava» et qu’ils ont administré de façon autonome au fur et à mesure de leurs victoires contre les groupes djihadistes, notamment Daech.
Mais, en certains lieux, les Kurdes sont minoritaires ethniquement, notamment dans la région de Tall Abyad, aujourd’hui reprise par Ankara, où la population arabe est nettement majoritaire. Pour Fabrice Balanche, géographe et maître de conférences à l’Université Lyon-2, «il y a effectivement un très gros contingent de locaux [au sein de l’ANS], notamment de la tribu Jays, qui a notoirement collaboré avec Daech et qui a participé en 2014 à la bataille de Kobané, aux côtés des djihadistes ». À partir de 2015, avec la victoire des Kurdes, beaucoup d’Arabes ont fui leurs territoires, notamment vers la Turquie voisine.
«Il y a l’exode des Kurdes aujourd’hui, mais il ne faut pas oublier que cette région a connu des exodes successifs parce qu’elle n’arrête pas de changer de mains», précise Nasr, auteur de État islamique, le fait accompli.
Des rebelles salafistes venus aussi d’Idlib
Pour Balanche, les rebelles syriens locaux jouent un rôle essentiel dans l’opération turque car ils ont l’avantage de bien connaître la région et ont une revanche à prendre sur les Kurdes. «Ils ont été formés pendant plusieurs années de l’autre côté de la frontière, en Turquie, dans des camps d’entraînement», ajoute l’universitaire qui évoque la présence d’arabes mais aussi d’une minorité turkmène: «Elle occupe une position importante dans le système mis en place car ils ont l’avantage de parler le turc». «C’est infime, mais certains combattants sont même Kurdes. Pour le dire vite, ils sont jugés trop islamistes et pas assez communistes par les YPG», confie Wassim Nasr, évoquant le marxisme des responsables kurdes de Syrie, liés aux Kurdes turcs du PKK.
D’autres combattants ont aussi été enrôlés dans les camps de réfugiés situés à la frontière syro-turque ou viennent de plus loin, par exemple de la Vallée de l’Euphrate, où ont eu lieu de nombreux combats entre la coalition arabo-kurde et Daech. Mais, pour ce qui est des combattants non locaux de l’«Armée nationale syrienne», la majorité d’entre eux proviennent de groupes rebelles de la province voisine d’Idlib, dernière région syrienne encore tenue par la rébellion, en l’occurrence djihadiste. Idlib est dominé aujourd’hui par les djihadistes d’Hayat Tahrir al-Cham (HTS), ancien Front al-Nosra. Sur le terrain, HTS l’a emporté sur d’autres groupes islamistes concurrents, comme Ahrar al-Cham, parrainés, eux, par la Turquie et réunis en une coalition, le Front national de libération, qui a annoncé qu’il rejoignait l’ANS en octobre dernier.
«Ils vont là où on les paie»
Un grand nombre de rebelles syriens au sein de l’«Armée nationale syrienne» sont donc originaires de ces groupes rivaux de HTS, qui ont petit à petit perdu en influence à Idlib.
«Abou Mohammed al-Joulani [le dirigeant de HTS] a déclaré qu’il ne condamnait pas les rebelles pro-Turcs mais qu’il ne les soutenait pas non plus. Il a en revanche précisé qu’il comprenait que des personnes originaires du nord-est de la Syrie souhaitent en faire partie pour retourner chez eux. Joulani a des relations tendues avec les Turcs, qui essaient de le dominer, mais qui n’y arrivent pas », raconte Wassim Nasr. Les groupuscules qui, eux, n’ont pas officiellement rompu avec Al-Qaïda ont clairement condamné l’enrôlement au sein de l’ANS car «pour eux, ce n’est pas l’islam».
Mais, alors, d’un point de vue religieux, comme catégoriser les rebelles syriens pro-Turcs? «Disons salafistes radicaux ou djihadistes à vocation locale et non internationale», explique Fabrice Balanche qui rappelle qu’au-delà des différences savantes, en pratique, les points de convergence sont souvent nombreux: «Al-Nosra a longtemps été allié à Al-Qaïda. Quant aux rebelles pro-Turcs d’aujourd’hui, beaucoup ont été membres de l’État islamique». «C’est un grand micmac», admet Wassim Nasr, qui estime en revanche que la dimension idéologique n’est pas primordiale: «Il y a ceux qui sont proches des Frères musulmans et qui considèrent qu’Erdogan est aujourd’hui le chef de ce courant, mais, globalement, je ne les qualifie pas idéologiquement: ce sont d’abord et avant tout des supplétifs. La dimension mercantile domine, ils vont là où on les paie».