On sait désormais que Roland
Marchal, grand spécialiste de l'Afrique subsaharienne au Centre de recherches internationales de Sciences Po , a été arrêté le 5 juin dernier à son arrivée à
l'aéroport de Téhéran, le même jour que sa collègue et amie Fariba Adelkhah. Son identité a longtemps été tenue secrète pour une
bonne raison. « En général, la médiatisation de l'arrestation de citoyens
étrangers en Iran aggrave leur situation en prison », explique au Point un fin connaisseur du pays qui a requis l'anonymat.
Si la détention de la chercheuse
franco-iranienne représentait déjà une épine dans le pied de la diplomatie
française, surtout que l'Iran ne reconnaît pas sa double nationalité, celle de
Roland Marchal, citoyen « uniquement » français, fait entrer la crise
dans une autre dimension. Au contraire de sa collègue, il a pu recevoir la
visite à plusieurs reprises du consul de France à Téhéran. Tous les
deux sont par ailleurs aidés d'un avocat. « Tout l'été, les autorités
françaises ont poursuivi leurs efforts », écrit dans un communiqué le Fonds d'analyse
des sociétés politiques (Fasapo) , une association à laquelle appartiennent les deux chercheurs. « À ce
jour, ils restent soumis à des interrogatoires dans l'aile de la prison d'Evin
que gèrent les Gardiens de la révolution », poursuit le Fasapo.
La détention de Fariba Adelkhah, éminente
spécialiste de la République islamique, dont les motifs n'ont toujours pas été
dévoilés par l'Iran, avait été rendue publique le 15 juillet
dernier . Détenue par les Gardiens
de la révolution, l'armée idéologique du régime iranien, cette citoyenne
franco-iranienne a reçu à plusieurs reprises la visite de sa famille.
« Même si nous n'avons pas de nouvelles récentes, nous savons qu'ils
tiennent le coup malgré des conditions de détention extrêmement dures »,
confie leur collègue Marielle Debos, chercheuse en sciences politiques à
l'université Paris-Nanterre. « Fariba Adelkhah menait en Iran des
recherches en anthropologie et Roland Marchal, qui est spécialiste de
l'Afrique, était parti rejoindre son amie pour les fêtes. Il n'y avait donc
aucune raison sérieuse de les arrêter. » Pour l'universitaire, les deux
chercheurs sont aujourd'hui « des prisonniers scientifiques qui sont pris
dans un jeu politique qui ne les concerne pas du tout ».
À l'évidence, cette affaire fragilise les
tumultueuses relations franco-iraniennes. Elles compliquent sérieusement les
tentatives de médiation engagées par Emmanuel Macron entre les États-Unis et l'Iran
pour obtenir une désescalade dans la région et sauver ce qu'il reste de
l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), dont Donald Trump s'est
unilatéralement retiré en mai 2018. En septembre dernier, en marge de
l'Assemblée générale de l'ONU, le président français avait réalisé un
véritable marathon diplomatique pour permettre une rencontre entre Donald Trump et Hassan Rohani. En vain.
« Caillou dans
la chaussure de Rohani »
Mais, en Iran, toutes les factions au sein du
pouvoir iranien ne sont pas favorables à une résolution de la crise avec
Washington. C'est notamment le cas de la direction des Gardiens de la
révolution, membre du camp des « durs » ultraconservateurs, qui voient
là une occasion d'affaiblir le président iranien « modéré » Hassan
Rohani, qui l'est déjà depuis le retrait américain du JCPOA et la reprise des
sanctions américaines contre Téhéran. « Il est évident que certains en
Iran, qui ne sont pas d'accord avec l'initiative d'Emmanuel Macron, placent
ainsi un caillou dans la chaussure d'Hassan Rohani, confie le spécialiste de
l'Iran. Avec la médiatisation de l'arrestation de Roland Marchal, il est
beaucoup plus difficile au président français de jouer son rôle de
médiateur. » Surtout que cette affaire possède également une face plus
sombre.
Deux citoyens
iraniens dont la République islamique cherche la libération sont actuellement
détenus dans l'Union européenne. Il s'agit d' Assadollah Assadi, un diplomate iranien actuellement
incarcéré en Belgique, soupçonné par la justice belge d'être un agent du
renseignement lié à un projet d'attentat déjoué contre un rassemblement en
juin 2018 de l'organisation des Moudjahidines du peuple, bête noire
de Téhéran.
L'autre prisonnier se nomme Jalal
Rohollahnejad, ingénieur iranien arrêté le 2 février dernier à Nice. A ccusé par les États-Unis d'avoir voulu exporter
du matériel technologique (systèmes
industriels à micro-ondes et de systèmes anti-drones, NDLR) en
violation des sanctions américaines contre Téhéran, il a fait l'objet d'une demande
d'extradition par la justice américaine, qui a été acceptée par le parquet général d'Aix-en-Provence. « Il
n'y a rien de nouveau là-dedans. Si ces cas ne sont pas forcément liés, l'Iran
a pour habitude de prendre en otage des gens pour récupérer d'autres
personnes », souligne l'expert du pays. En juillet 2009, la
France avait accepté de libérer l'Iranien Ali Vakili Rad, assassin de l'ancien
Premier ministre du shah Chapour Bakhtiar, au lendemain du retour à Paris de
l'étudiante française Clotilde Reiss, incarcérée puis assignée à résidence à
Téhéran pendant onze mois.