Ces combattants francophones revenus de Syrie et solidaires des Kurdes
Une vingtaine de volontaires ayant combattu avec les
Kurdes de Syrie viennent de créer un collectif. Pour se soutenir et alerter sur
la situation sur place, alors que vient de commencer l’offensive de la Turquie.
·
Ces combattants francophones revenus de Syrie et solidaires des
Kurdes
Ils sont désormais loin du champ de
bataille syrien, à des milliers de kilomètres des blindés turcs qui ont franchi
la frontière mercredi soir dans le cadre de l’offensive lancée par Ankara. Mais ils suivent de très près ce qui se passe sur ces
terres, qu’ils ont arpentées lorsqu’ils se battaient avec les Kurdes. Une
vingtaine de tout jeunes vétérans francophones de la guerre contre l’Etat
islamique, dont une majorité de Français, vient de créer un collectif. Un
projet qu’ils avaient en tête depuis quelque temps, pour se soutenir les uns et
les uns, et éviter que d’autres parlent de l’expérience révolutionnaire kurde à
leur place, mais que l’actualité a accéléré.
«Cette
attaque est une nouvelle atteinte à la liberté des peuples pour que le pouvoir
fasciste turc satisfasse des volontés colonialistes néo-ottomanes», écrit dans son premier communiqué le Collectif des
combattantes et des combattants francophones du Rojava (nom donné à cette
région du nord-est de la Syrie), qui se veut indépendant et autonome vis-à-vis des
autorités kurdes tout en épousant sa rhétorique. «On est des compagnons de route. Puisqu’on
ne peut pas le faire par les armes, on va les défendre par la parole», dit André Hébert, l’un des membres du groupe informel.
Ce Parisien de 29 ans qui a pris
les armes au sein des YPG, la milice des autorités kurdes du Rojava, en a tiré
un récit exalté. Il ne se dit pas surpris par l’attaque turque et du revirement
américain. Le collectif, en contact avec les combattants kurdes et les quelques
étrangers encore sur place (une quinzaine dans les unités militaires d’après
leur estimation), a été tenu informé presque heure par heure du désengagement
américain. Des témoins leur ont signalé, peu avant l’incursion, que des forces
spéciales évacuaient leur base en détruisant du matériel dans la bande
de 30 kilomètres ciblée par la Turquie.
«Ils
savaient que l’alliance avec les Etats-Unis était de circonstance»
Passés par le terrain, où ils sont restés
plus d’un an en moyenne, ils savaient à quoi s’attendre de la part du voisin du
nord, en guerre contre les indépendantistes du PKK, dont le YPG est le cousin
syrien. André Hébert a perdu l’un ses frères d’arme dans un bombardement de
l’armée turque en novembre 2016. «Nos camarades kurdes parlaient du "camarade
Obama" avec un sourire en coin quand ils voyaient les avions américains.
Ils savaient que l’alliance avec les Etats-Unis était de circonstance pour
vaincre Daech», dit-il. Pour lui, comme
pour d’autres membres du collectif, le retrait de Washington, et l’impuissance
des Européens, apparaissent comme une trahison.
Maznum, le pseudo qu’un autre Français
de 29 ans a pris lors de ses séjours sur place entre 2015
et 2017, est écœuré et inquiet : «Le peuple kurde pourra résister,
mais face un membre de l’Otan armé par les Etats-Unis et l’Europe, dont la France,
c’est David contre Goliath. Je suis sûr que les civils préféreront se battre
que retomber sous la domination d’une autre forme d’oppression.» «S’il y avait une zone d’exclusion aérienne, les Kurdes
pourraient rivaliser militairement»,
ajoute André Hébert qui veut croire que cette guerre sera le Vietnam de la
Turquie. Tous deux alertent sur la résurgence de l’Etat islamique, qui a mené
cette semaine des attaques à Rakka et Tabqa, et sur le risque d’évasion des
détenu(e)s dans les prisons et camps de déplacés. Signe, soulignent-ils, que
l’attaque contre les Kurdes concerne tous les Français.
«C’est
dans ces moments que tu vois que t’as pas tourné la page»
A distance, que faire d’autre qu’attirer
l’attention et plaider publiquement la cause des Kurdes syriens, comme ils ont
commencé à le faire ? Les autorités locales ont été claires sur un
point : ils ne doivent mener aucune action ici, sur le territoire français.
Repartir ? «Ceux qui partent n’ont pas beaucoup d’espoir de revenir,
encore moins qu’avant»,
constate Maznum qui voit là une autre fonction du collectif : «On se raisonne, on se parle de ce qu’on
peut faire ici, qu’on peut être utile.» Il y a bien quelques volontaires internationaux
encore engagés sur le terrain, dont une poignée de Français, partis avant et
après la défaite militaire de l’organisation terroriste, en mars. La plupart
s’affairaient jusqu’ici à des tâches civiles, comme des travaux agricoles ou de
communication. «En
étant sur place, ils auront envie de se battre», devine André Hébert. Lui ne dit pas s’il va reprendre
la route du Rojava. Il insiste sur les difficultés d’accéder à la zone et
reconnaît une grande frustration : «C’est dans les moments comme ça que tu
vois que t’as pas tourné la page, que tu ne la tourneras probablement jamais.»
«On
a toujours un pied dedans»,
confirme Alizer Zagros, 31 ans. Cet autre membre du collectif est parti
en 2015 avec un bagage un peu différent : aucune culture politique ou
militante et un passé récent dans l’armée de terre. Déployé en Afghanistan,
puis dans plusieurs pays du continent africain, il a connu les opérations
extérieures de la France avant de rallier les forces kurdes, où il a fait son
chemin de Damas, conquis par le projet communiste kurde. «En Afghanistan, j’avais le sentiment qu’on
était des occupants, qu’on était une armée d’envahisseurs. Chez le YPG, j’ai
senti qu’on était des libérateurs»,
décrit-il, se remémorant aussi le difficile retour : «En tant que militaire, quand vous revenez
d’une opération difficile, vous êtes encadré par les camarades, mais aussi des
psys, votre chef de section, etc. Là, on s’est retrouvé livrés à
nous-mêmes alors que les combats étaient beaucoup plus violents. C’était
l’Afghanistan fois dix.» Deux
anciens volontaires, un Britannique et un Américain, se sont suicidés cet été. Précisément
ce que les anciens combattants français veulent éviter.