Irak : «Nous voulons une révolution, ici et maintenant !»
A Bagdad, les mesures sociales du gouvernement ne font pas reculer les
manifestants et le mouvement de contestation s’enfonce dans
la violence. Depuis une semaine, on dénombre 105 morts et plus
de 4 000 blessés.
Dans les rues de Badgad, ils manifestent depuis une semaine contre «la misère» et «la corruption». Déterminés. Et exaspérés par un gouvernement pour qui «le bien de ses citoyens» n’a jamais été la première préoccupation, raconte Karram Jassem, un
étudiant qui a rejoint le mouvement pour protester contre le traitement infligé
le 24 septembre à ses aînés devant le ministère de l’Education. «Les étudiants diplômés ont été battus et arrosés [au
canon à eau] alors qu’ils réclamaient des réformes et des débouchés sur le
marché de l’emploi. Dans ce pays, nous avons été privés de nos droits
depuis 2003 [date de l’invasion
américaine en Irak, ndlr]. Les jeunes fuient le pays, raconte Karram Jassem. Nous sommes tous ici pour demander nos droits à la
dignité.» Très vite, une foule s’amasse sur la
place Tahrir et exprime sa colère. Mais des canons à eau et des gaz
lacrymogènes viennent mettre fin à l’échange.
Cadavre
La violence sans sommation surprend d’abord la foule qui s’enfuit. Mais
elle revient, lance des assauts répétés contre le cordon de policiers barrant
l’accès au pont qui mène à la zone verte, centre névralgique du pouvoir à
Bagdad. Surprises à leur tour, les forces de l’ordre abandonnent leurs
positions. Dans les rangs des manifestants, c’est la liesse. Mais la joie est
de courte durée. Très vite, les Unités de réponse rapide, troupes d’élite
déployées par le ministère de l’Intérieur, n’hésitent pas à utiliser leurs
armes à feu. Ils reprennent la place et le pont. Le soir, la chaussée est
jonchée de douilles de mitraillettes. On déplore alors deux victimes. Depuis
une semaine, au moins 105 personnes ont été tuées et 4 000 blessées
dans tout le pays.
Les autorités ne savent pas appréhender le problème autrement que par la
répression. A cela s’ajoute la présence mystérieuse de tireurs embusqués qui
visent manifestants et forces de l’ordre dans les rues de la capitale. Le
gouvernement affirme ne pas avoir donné l’ordre de tirer sur les manifestants.
Pourtant, des exécutions ont bien eu lieu. Vendredi, rue de Palestine, un
cadavre jonchait le sol sous un soleil de plomb. «Il y en a eu quatre au même endroit depuis ce matin», raconte un manifestant.
Plus loin, malgré les menaces, la foule
défile, impassible, scandant des slogans révolutionnaires et patriotiques. A
contresens, des ambulances se ruent vers les hôpitaux, suivies bientôt par un
convoi funèbre salué une dernière fois par la foule.
Depuis le 1er octobre,
chaque nuit se passe au son des coups de feu. La violence n’est pas
circonscrite aux alentours de la place Tahrir, mais s’est disséminée dans toute
la ville. Les jours suivants, la mobilisation populaire a perduré malgré
l’escalade de violences sécuritaires. Couvre-feu et coupure d’Internet n’ont
pas empêché des milliers d’habitants des banlieues de revenir à pied pour
prendre part aux manifestations. Le Premier ministre, Adel Abdel-Mehdi, a eu
beau s’adresser aux habitants de la ville pour exprimer son empathie envers les
victimes, il n’a pas réussi à éteindre la contestation. Pas plus que l’annonce
par son gouvernement de 17 réformes sociales. Le fait que ce phénomène
d’ampleur soit né d’une mobilisation citoyenne n’a pas aidé à faire émerger un
ou des interlocuteurs pour négocier.
Affront
Peu de forces politiques se sont associées au mouvement, malgré un soutien
timide du parti communiste et de son puissant allié, le mouvement du cheikh
Moqtada al-Sadr. Quelques partis kurdes minoritaires se sont joints à eux. De
son côté, le bloc Fatah, pro-iranien et proche des milices chiites, crie à la
manœuvre étrangère visant la fraternité entre l’Iran et l’Irak.
Loin de ces intérêts géopolitiques, les manifestants restent campés sur
leurs revendications initiales : «Nous voulons une révolution, ici et
maintenant !» s’exclame Mohammed
al-Issawi, originaire de Najaf, à 160 km au sud de Bagdad, et qui arbore une
pancarte à l’effigie d’Abdel-Wahab al-Saadi. Cet ancien chef du Service de
contre-terrorisme a gagné les cœurs de centaines de milliers d’Irakiens depuis
son rôle clé dans la bataille contre l’Etat islamique à Mossoul.
Avec son discours rassembleur et patriotique, il incarne cet Irak libéré
des clivages communautaires qui le caractérisent depuis toujours. En luttant
contre la corruption au sein de son institution, Abdel-Wahab al-Saadi s’est
fait des ennemis, et a fini par être limogé. Ce fut l’affront de trop pour le
peuple. «Ils ont peur de lui parce qu’il est aimé des Irakiens.
Nous ne voulons pas de Parlement, nous ne voulons pas de gouvernement, nous
voulons qu’Al-Saadi soit le gouvernement !» conclut Mohammed al-Issawi.