Saunas, églises, jardins: les soldats russes installés pour rester en Syrie
"Les plantes auront le temps de pousser !", lance un des officiers russes résolument installés sur leur base de Tartous en Syrie, où ils s'enthousiasment aussi bien de leurs jardins que des sous-marins, quatre ans après l'intervention militaire de Moscou dans le pays.
Les annonces sur un retrait du contingent et la diminution drastique des opérations ont beau se succéder, la présence russe en Syrie s'est ancrée dans la durée, une implantation significative pour l'avenir du pays.
A Tartous, ville côtière de l'ouest du pays, comme dans son autre base à Hmeimim située plus au Nord, l'armée russe est bien installée et l'affiche volontiers devant les journalistes, dont ceux de l'AFP, invités à visiter ses installations.
Salles de sport, saunas, boulangeries, blanchisseries et, bien sûr, chapelles orthodoxes. Les soldats ont "tout le confort nécessaire", proclame ainsi un officier russe, sous couvert d'anonymat car n'étant pas autorisé à s'exprimer à la presse.
En lançant son aviation au secours du régime de Bachar al-Assad fin septembre 2015, Moscou a permis à son allié, acculé, d'engranger les victoires face aux insurgés et de reprendre le contrôle de larges parties du territoire.
Aujourd'hui, les Russes se montrent, comme ces patrouilles de la police militaire dans les rues des cités syriennes, ou ces "conseillers" s'affichant désormais devant les caméras en pleine formation d'un bataillon d'élite des forces de Bachar al-Assad près de Damas.
'Rester pour longtemps'
Selon les chiffres officiels, 3.000 militaires russes sont présents en Syrie, en plus des avions, hélicoptères, navires de guerre et autres sous-marins. Des systèmes de défense antiaérienne dernier cri S-400 assurent leur protection.
La base de Hmeimim, aménagée à la hâte en lisière d'un aéroport civil, est devenue permanente en 2017, passant sous juridiction russe. Idem à Tartous: cette installation portuaire de la marine russe s'est muée en "base navale permanente".
Pour ces sites, Moscou dispose désormais d'un bail de 49 ans, un atout certain pour rester ancré au Moyen-Orient et y exercer son influence, notamment face aux Etats-Unis.
"Avec ses bases, la Russie a consolidé sa position, mais seulement tant qu'elle aura Bachar" al-Assad, note Alexeï Malachenko, directeur de recherche à l'institut Dialogue des civilisations à Moscou.
"Il n'y aura aucun remplaçant, aucun mouvement ou groupe solide qui défendra avec autant de zèle la présence russe", poursuit-il.
Le président Vladimir Poutine est d'ailleurs clair: les Russes resteront en Syrie tant que Moscou "y trouvera un intérêt", affirmait-il en juin 2018. Or ses succès syriens et sa proximité avec l'Iran ont clairement refait de la Russie un acteur majeur dans la région.
Sur le plan militaire, la campagne syrienne, dans laquelle ont servi plus de 63.000 militaires russes, a permis de tester en conditions réelles troupes et armements de pointe, à l'instar des missiles Kalibr ou des bombardiers longue distance.
Avec quelque 100 sorties quotidiennes au plus fort de la guerre, les opérations ont également donné la possibilité à 90 % des pilotes de l'armée russe d'acquérir une expérience de combat.
'Pas de porte de sortie'
Mais pour stabiliser le régime syrien et donc pérenniser sa propre présence, la Russie doit faire face à l'épineux problème de la reconstruction, dont le coût est estimé à plus de 400 milliards de dollars par l'ONU.
Dans de nombreuses villes, les efforts ne donnent pour le moment que de timides résultats, dans un contexte de sanctions occidentales visant Damas et de réticences de la communauté internationale à financer l'après-guerre sans de réels progrès vers une solution politique.
A Alep, deuxième ville du pays et ravagée par la guerre, la fourniture par la Russie de câbles haute-tension et de conduites ont permis un retour de l'électricité et de l'eau courante, mais les ex-quartiers insurgés restent en ruines.
Le processus politique, entamé récemment avec la formation d'un Comité constitutionnel, est plus qu'incertain face à la question de l'avenir de M. Assad, dont nombre d'acteurs locaux et internationaux réclament le départ.
La région d'Idleb, dominée par un groupe jihadiste, fait, elle, l'objet d'un fragile accord entre Moscou et Ankara pour éviter une offensive sanglante du régime syrien. Mais ce statu-quo ne saurait être durable.
Au final, "la Russie n'a pas de porte de sortie. Elle a une bonne tactique mais aucune stratégie", soupire M. Malachenko. "Elle n'a qu'un coup d'avance. Ce qu'il y aura après, personne ne le sait".