Révolution au Soudan: une belle histoire vantée par Emmanuel Macron
Pour sa première assemblée générale de l’ONU, Abdalla Hamdok a fait la promotion du « nouveau Soudan », cinq mois après la destitution du président Omar el-Béchir, poussé vers la sortie par la révolte populaire. « Notre slogan de la révolution est : liberté, paix et justice. Nous nous efforçons de le mettre en œuvre », a expliqué le dirigeant africain le plus courtisé du moment. Entre ses pairs du continent, les responsables occidentaux, les dirigeants des monarchies du Moyen Orient et de l’Asie, le chef du gouvernement soudanais a eu une quarantaine de réunions bilatérales à New York.
Cet économiste chevronné, passé par le cabinet Deloitte, l’Organisation internationale du travail, la Banque africaine de développement et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), dispose d’un solide carnet d’adresses. Démocrate et laïc, il jouit du soutien inconditionnel des Occidentaux, plus qu’heureux que la révolution ait balayé – provisoirement ? – l’islam politique dans ce pays.
« Cette révolution est une raison d’espérer, s’enthousiasme un diplomate français. Sa dimension pacifique, culturelle, artistique a donné une image exceptionnelle de la société soudanaise, notamment de sa jeunesse. Notre travail est de conforter et de soutenir le Premier ministre civil pour que la transition soit un succès pour le monde arabe et africain. S’il échoue, les militaires et les islamistes risquent de revenir…».
Lundi, Emmanuel Macron devrait célébrer cette alternance exceptionnelle favorisée après avoir dépêché comme sherpa à Khartoum, le 16 septembre, Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay. « Nous n’avons pas tant de belles histoires à raconter depuis les contre-révolutions des Printemps arabes qui ont vu le retour de pouvoirs musclés, ajoute le diplomate. On aurait pu imaginer un scénario à la syrienne au Soudan après trente ans d’un pouvoir militaro-religieux qui se définissait comme arabo-islamiste. Ce qui est en jeu, c’est la place de la femme dans la société, la laïcité, le retour d’une identité africaine à côté de l’identité arabe ». Khartoum devrait notamment renforcer ses liens avec l’Ethiopie du Premier ministre Abiy Ahmed qui a joué un rôle important avec l’Union africaine dans les négociations intersoudanaises.
Politiquement, la communauté internationale devrait aider les civils à prendre progressivement leur emprise sur les institutions. Selon les termes de l’accord signé en août avec les militaires, le général Abdel Fattah al-Burhane dirigera le Conseil souverain (composé de civils et de militaires) pendant vingt et un mois avant de le passer pour trente-neuf mois son poste à un civil.
Le pays fait face à d’immenses défis. L’économie est exsangue. La dette atteint 55 milliards de dollars, soit 160 % du PIB. Le chômage touche la jeunesse, l’inflation est importante. L’armée est très présente dans les activités et ne paie guère d’impôts.
Plus de 70 % des dépenses budgétaires de l’Etat vont à la sécurité. Il est impératif de faire la paix avec les milices et autres groupes armés du Darfour, du Nil Bleu et du Sud-Kordofan. Abdalla Hamdok a rencontré les dirigeants de l’opposition soudanaise lors de sa visite de deux jours à Juba, à la mi-septembre. La France, qui héberge sur son sol des opposants et chefs rebelles, va aussi aider les négociations avec le pouvoir central, notamment avec la faction de l'Armée de libération du Soudan d’Abdul Wahid al Nur. Ce dernier est réfugié en France. Objectif : parvenir à un accord de paix dans les six mois pour pouvoir basculer une partie des dépenses militaires sur le social, l’éducation, les investissements.
Le nouveau Premier ministre a besoin de résultats sous peine d’être décrié par la rue. Le 21 octobre, le FMI et la Banque mondiale organisent à Washington une réunion sur le Soudan pour envisager les modalités de la reprise de la coopération financière. Le FMI devrait reprendre rapidement une assistance technique. L’Union européenne et l’AFD devraient décaisser quelques lignes de crédit pour reconstruire le réseau électrique et améliorer la situation sociale.
Trop peu, à court terme, pour le pays. Le Premier ministre évalue les besoins d’aide extérieure à plus de deux milliards de dollars par an durant la transition. Jusqu’à présent, le pays a surtout reçu l’aide des monarchies du Golfe. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont promis 3 milliards – dont une partie a déjà été décaissée – pour alléger la pression sur la livre soudanaise et assurer les besoins – subventionnés – en nourriture, en médicaments et en carburant.
La France, à travers le Club de Paris (36 % de la dette), va favoriser l’annulation de la dette. Mais le processus dépend de la levée des sanctions américaines. En 2017, l’embargo économique a été levé, mais Washington maintient le pays sur la liste noire des « Etats soutenant le terrorisme ». La justice américaine entend négocier des compensations financières pour les victimes des attentats des ambassades Nairobi et Dar es Salam de 1998 dont elle impute une responsabilité au Soudan. Un passif qui réduit les marges de manœuvre des nouvelles autorités qui ont entamé les discussions avec les Etats-Unis.
Washington estime qu’il faudra au moins un an avant de parvenir à un accord avec le FMI, le temps de négocier la levée des sanctions et d’enclencher le processus d’annulation de dette. La Chine, après avoir soutenu presque jusqu’au bout Omar el-Béchir, a promis d’apporter une assistance aux nouvelles autorités. Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, a rencontré Abdalla Hamdok, à New York.
Tout est à faire au Soudan. Il faut développer les infrastructures, réhabiliter les structures d’approvisionnement en eau, développer la couverture énergétique, relancer le pastoralisme et des cultures d’exportation comme la gomme arabique. Ce pays de 43 millions d’habitants a le potentiel pour devenir le grenier à blé de la région. Un secteur agricole trop longtemps négligé, l’Etat ayant vécu sur les revenus des hydrocarbures. Mais, depuis la séparation avec le Sud Soudan en 2011, il a été amputé de 80 % de ses recettes.
A l’issue de la transition, le Premier ministre soudanais a promis d’organiser les premières élections démocratiques du pays depuis 1986. L’Union européenne devrait être au rendez-vous pour financer le scrutin si la belle histoire ne déraille pas d’ici là.