Trump mène ses guerres commerciales comme Bush a mené la guerre en Irak
En 2016, Donald Trump s'était présenté comme le candidat anti-guerre. Selon lui, l'invasion de l'Irak avait été irresponsable et autodestructrice, et il avait affirmé, à tort, s'y être à l'époque opposé. Il avait tourné en ridicule les Républicains pro-guerre et promis d'éviter tout conflit inutile avec un pays étranger.
Mais aujourd'hui, Trump part lui aussi au
front. La guerre est commerciale et l'oppose à la Chine, à nos alliés européens
et potentiellement à n'importe quel pays qui ne trouve pas grâce à ses yeux. À
l'instar de la guerre en Irak, cette guerre commerciale est en train de se
retourner contre nous. Et Trump la défend avec les mêmes arguments dont il s'était
moqué lorsqu'il était candidat à la présidentielle.
L'ennemi
s'effondre, la guerre sera courte
En 2002 et 2003, George W. Bush avait vendu la guerre en Irak en faisant du dictateur Saddam Hussein une menace pour la sécurité des États-Unis. Alors que les coûts de la guerre ne cessaient d'augmenter et les sacs mortuaires de s'empiler, Bush allait promettre aux Américain·es la fin prochaine de la résistance en Irak. L'Amérique était en train de gagner, disait-il, parce que nous étions en train de tuer les méchants. Lors de sa campagne de réélection, Bush avait accusé les anti-guerre de vouloir «se défiler». Pour prouver notre patriotisme, il fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur et se ranger du côté du président.
En 2016, Trump avait pilonné ces arguments.
Selon lui, Bush avait menti sur la menace irakienne. «Quinze ans de guerres au Moyen-Orient» avaient
laissé «une traînée destructrice» derrière elles,
dont «de monstrueuses pertes financières» pour les
États-Unis. «Et pour quel résultat?», s'était
demandé Trump. «Ce n'est pas comme si on avait gagné. C'est le bordel».
De même, le candidat Trump avait vilipendé les envies punitives que Bush
nourrissait pour Saddam. Pour Trump, gendarmer le monde n'était pas le boulot de l'Amérique. «Contrairement à d'autres candidats à la présidence, la guerre et
l'agression ne seront pas mon premier réflexe», avait-il déclaré. Il avait au contraire esquissé une
politique étrangère faite de «prudence et de retenue» et
promis d'éviter les conflits à moins d'avoir «un
plan pour la victoire».
En réalité, Trump n'a pas pas été plus pondéré que Barack Obama. Il a laissé
des troupes en Afghanistan, poursuivi les frappes contre le groupe État islamique
en Syrie et offert une assistance logistique à la guerre saoudienne au Yémen.
Mais c'est sur le commerce que Trump a défouraillé sec. Il a imposé des tarifs
douaniers à de nombreux pays et agité ce bâton sous le nez d'autres, y compris
nos alliés. Le 21 août, au sujet de l'escalade des tarifs douaniers sur la
Chine, le président a fièrement déclaré: «C'est
une guerre commerciale qui aurait dû être menée depuis bien longtemps.»
Ces
droits de douane «réduiront le revenu réel moyen des ménages de 580 dollars».
Rapport du Bureau du budget du Congrès américain
La guerre de Trump, comme celle de Bush, ne présage pas grand-chose de bon. «Depuis janvier 2018, les États-Unis ont imposé des droits de douane sur 11% des marchandises importées dans le pays», détaille un rapport publié en août par le Bureau du budget du Congrès américain (CBO). Certaines de ces taxes, note le rapport, touchent «quasiment tous les partenaires commerciaux des États-Unis». En réaction, «des tarifs de rétorsion ont été imposés sur 7% de toutes les marchandises exportées par les États-Unis».
Et pour quel résultat? Selon l'analyse du
CBO, les taxes douanières de Trump ont «augmenté les prix intérieurs», «freiné la croissance de l'investissement en augmentant les prix
des biens d'investissement» et «probablement affaibli l'investissement commercial aux États-Unis»,
car les entreprises ne savent pas si elles pourront faire entrer ou sortir
leurs produits du pays. Les mesures de rétorsion de la Chine ont, à elles
seules, réduit les exportations américaines de 21 milliards de dollars. Mais
même sans ces représailles, du fait de l'augmentation des prix, les
Américain·es mettent directement la main au portefeuille pour payer les lubies
de Trump. Dans une synthèse d'études, le CBO constate qu'«une plus grande part que prévu du coût des droits de douane est
transférée aux importateurs américains».
Au total, le CBO prévoit que ces droits
raboteront d'environ 65 milliards de dollars le produit intérieur brut de 2020.
Ils «réduiront le revenu réel moyen des ménages de
580 dollars», dit le rapport. Voici la facture dont les
Américain·es devront s'acquitter pour la guerre commerciale de Trump.
Trump rougit-il de ces résultats? Pas le
moins du monde. Au lieu de battre en retraite, il se sert des mêmes excuses que
Bush avaient utilisées en Irak. Trump jure ses grands dieux, l'ennemi est sur
le point de s'effondrer. «Nous avons toutes les cartes en main», a-t-il ainsi
déclaré le 9 août en répondant aux derniers contre-tarifs de la Chine en lui
imposant de nouveaux contre-tarifs. Le combat avec la Chine sera «assez court», assurera le président aux Américain·es une
semaine plus tard. «Plus la guerre commerciale se prolonge, plus
la Chine s'affaiblit et plus nous devenons forts».
Lors du G7 à Biarritz, le 26 août, Trump a estimé que les États-Unis se
trouvaient «dans une position plus forte que jamais».
«Nous
n'avons pas le choix»
Pour Bush et la guerre en Irak, les États-Unis gagnaient parce que nos pertes n'étaient pas aussi lourdes que celles de l'ennemi. Aujourd'hui, Trump nous refait le sketch avec sa guerre commerciale contre la Chine. «Nous obtenons d'excellents résultats. La Chine a connu la pire année de son histoire depuis vingt-sept ans, a-t-il déclaré à la presse le 20 août. Nous sommes en train de gagner parce qu'ils connaissent leur pire année depuis des décennies.» De même, Trump s'est vanté que l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays d'Europe et d'Asie «se portaient mal». Pour lui, chaque défaite d'un autre pays est une victoire pour les États-Unis. Ce qu'il ne semble pas comprendre, c'est ce que le CBO a essayé d'expliquer: les dommages qu'il inflige à nos partenaires commerciaux nous nuisent également parce qu'ils réduisent la demande pour nos produits.
Plus il y avait d'Américains à tomber en
Irak, plus Bush faisait l'éloge de leur sacrifice. Trump suit une même logique
lorsqu'il glorifie les souffrances que sa guerre commerciale inflige aux consommateurs
et aux agriculteurs qui ont perdu leurs marchés. Les Américain·es «vont peut-être devoir payer, mais ils le comprennent»,
assurait Trump aux journalistes le 15 août: «Les
fermiers de ce pays le comprennent vraiment.» Une semaine plus
tard, il se targuait de son propre héroïsme et d'avoir su mettre l'économie
américaine en péril pour affronter la menace de Pékin. «Quelqu'un devait s'attaquer à
la Chine, que ce soit bon pour notre pays ou mauvais pour notre pays
à court terme.» Qu'importe que l'Amérique doive «entrer en récession pendant deux mois», le jeu en
vaut la chandelle car «nous n'avons pas le choix»,
a-t-il justifié.
«Nous
en sommes à la phase de la guerre commerciale où vous sentez les prix augmenter
au supermarché, mais il faut accepter de souffrir si nous voulons tenir tête à
la Chine.»
Bush avait prétendu, à tort, que la guerre en Irak était vitale pour la sécurité nationale américaine. Trump, d'une manière encore plus absurde, avance les mêmes arguments pour défendre sa guerre commerciale. Le 20 août, lorsqu'on l'a interrogé sur les dégâts intérieurs causés par ses tarifs douaniers, il a évacué la question d'un revers de main en la jugeant «non-pertinente» et a affirmé que l'économie chinoise représentait une menace pour la «sécurité nationale». «Ils prenaient tout l'argent qu'ils gagnaient grâce à nous pour construire des avions, des bateaux et beaucoup d'autres trucs, a déclaré Trump. On ne peut pas les laisser continuer sans rien faire.»
Tout comme Bush, Trump traite de pleutres
ceux que sa guerre laisse perplexes. Il dit que les Américain·es qui voudraient
accepter un compromis commercial avec la Chine «n'ont pas le courage» de l'affronter. À ses yeux,
ses opposants démocrates sont des «faibles» parce qu'ils pourraient offrir à la Chine
un accord plus conciliant. Et, comme Bush, Trump peut compter sur une camarilla
exaltant sa bravoure. «Il fallait bien qu'il défende l'économie américaine» s'est
ainsi félicité Larry Kudlow, conseiller économique de Trump, lors de l'émission
«Face the Nation» du 25 août.
Le programme de Kudlow a été suivi à la lettre par le sénateur Lindsey Graham qui, reprenant ses arguments en faveur de la guerre en Irak, a exhorté les Américain·es à serrer les dents. Graham s'est adressé au public en ces termes: «Nous en sommes aujourd'hui à la phase de la guerre commerciale où vous sentez les prix augmenter au supermarché, mais il faut accepter de souffrir si nous voulons tenir tête à la Chine». À long terme, a ajouté Graham, «si Trump persévère», l'Amérique en sortira gagnante, parce que nous avons «plus de munitions qu'eux