Nucléaire: Téhéran joue la montre face à l’inflexibilité américaine
L’Iran s’est contenté d’annoncer une reprise de la recherche en matière de centrifugeuses, mais la stratégie de surenchère sur le nucléaire se précise autour du guide suprême.
Téhéran continue de calibrer soigneusement
ses entorses à l’accord nucléaire. Mercredi peu avant minuit, quelques heures
après le rejet américain du plan français de médiation, le président de la
République islamique, Hassan Rohani, a annoncé dans une allocution télévisée
avoir «donné l’ordre» à l’Organisation de l’énergie atomique iranienne «de
prendre toutes les mesures nécessaires en matière de recherche et de
développement et d’abandonner tous les engagements en place dans ce domaine»,
de façon à doter son pays de tout ce dont il a «besoin pour l’enrichissement»
de l’uranium, étape nécessaire sur le chemin de la bombe nucléaire
. Rohani a justifié cette mesure car «nous ne
sommes pas parvenus au résultat que nous désirions» dans le cadre de la médiation
française. Il s’agit de «la troisième phase» d’un plan de réduction
des engagements iraniens lancé en mai en représailles à la décision prise par
les États-Unis un an plus tôt de se retirer de l’accord nucléaire, signé par
les grandes puissances le 14 juillet 2015. Mais on est loin de la menace
proférée par Téhéran au début de l’été sur un passage de l’enrichissement à
20 %, ce qui aurait eu un effet anxiogène beaucoup plus important.
Rohani
affaibli par le retrait américain de l’accord nucléaire
Cette relance de la recherche en matière de centrifugeuses de nouvelles générations - dont les détails doivent être annoncés ce vendredi - «ne produira aucun effet immédiat», relève François Nicoullaud. L’ancien ambassadeur de France en Iran note tout de même que «contrairement aux deux premières entorses, celle-ci n’est que partiellement réversible, car les acquis intellectuels de la recherche ne pourront être effacés, même si l’Iran revient à la lettre de l’accord». «Elle est aussi à usage interne pour calmer les durs», explique un autre connaisseur du dossier.
«La seule façon d’exister pour l’Iran, c’est
avant l’élection américaine de novembre 2020»
Une source proche du « shadow cabinet » de
l’ayatollah Khamenei
Très affaibli par le retrait américain de l’accord
nucléaire qui n’a pas apporté de bienfaits économiques à la population, Hassan
Rohani doit se couvrir sur sa droite. Et d’abord face au guide suprême,
l’ayatollah Ali Khamenei, vrai détenteur du pouvoir, et à son «cabinet de
l’ombre», qui fixent la stratégie iranienne dans ces moments cruciaux. Une
source qui a ses accès à ce «shadow cabinet» la résume: «Le guide et ses
proches conseillers pensent que Donald Trump ne veut pas la guerre et qu’il
sera réélu l’an prochain. La seule façon d’exister pour l’Iran, c’est avant
l’élection américaine de novembre 2020, car après, ils sont convaincus que
Trump, poussé par Israël, leur fera la peau. Leur stratégie est de faire monter
la pression sur le nucléaire, pendant la campagne électorale, au cours des six
premiers mois de 2020 pour forcer l’autre à discuter, voire à transformer une
crise en succès».
Autour du guide, ce «gouvernement de l’ombre»
est composé de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati,
du patron du nucléaire et ancien négociateur de l’accord de 2015, Ali Akbar
Salehi, et d’Ali Shamkhani, le patron du Conseil suprême de sécurité nationale.
Trois hommes dans lesquels le guide a pleinement confiance. Leur idée initiale
était d’attirer Trump pendant sa campagne dans un «épisode guerrier», type destruction d’un
drone américain, comme ce fut le cas en juin. Mais ce pari leur a
paru trop risqué. «L’avantage de faire monter les enchères sur le nucléaire,
c’est qu’à tout moment, c’est réversible», explique la source.