Boko Haram. Pourquoi la lutte contre ce mouvement terroriste stagne, dix ans après sa création
Dix ans après la création
du mouvement Boko Haram, et trois après la division de ce groupe djihadiste, le
Nigéria est toujours dans une impasse et les populations continuent d’être
terrorisées. Décryptage avec Vincent Foucher, spécialiste de la politique en
Afrique de l’ouest.
Le
mouvement terroriste Boko Haram a vu le jour à
l’été 2009 au Nigéria. Dix ans plus tard, cette organisation, désormais divisée
en deux courants, continue de semer la terreur dans la région, en faisant
régulièrement couler le sang. Comment interpréter cette longévité ? Entretien
avec Vincent Foucher, chercheur au laboratoire « Les Afriques dans le Monde »,
Centre nationale de la recherche scientifique, Sciences Po Bordeaux.
Qu’est-ce qui divise Boko
Haram ?
Le mouvement djihadiste,
Boko Haram, est divisé depuis 2016 en deux factions principales. La première
est dirigée par Abubakar Shekau, le leader du mouvement depuis la mort de son
fondateur Mohamed Yusuf en 2009.La seconde a conservé la reconnaissance de
l’État islamique obtenue par Shekau en 2015 et opère sous le nom de « Province
de l’État islamique en Afrique de l’ouest ». Cette faction a adopté une
stratégie de guérilla très efficace contre les militaires du Nigeria et des
pays voisins du Lac Tchad et une posture moins sectaire à
l’égard des civils. Elle a remporté des succès grâce à cela, mais ce nouveau
modèle de djihad n’est pas sans contradictions internes.
Comment
se financent ces groupes ?
La faction pro-EI est dans une
situation plus forte que celle de Shekau. Elle contrôle le Lac Tchad et ses
abords, une zone favorable à l’élevage, à l’agriculture et à la pêche. Elle a
mis en place dans la zone un proto-État et taxe les flux commerciaux. Elle
bénéficie d’un certain soutien de l’EI, sans doute surtout au plan de la
formation. Elle tire le gros de son armement des bases militaires qu’elle
capture, surtout au Nigeria.
Le groupe Shekau est centré sur les
bastions anciens du mouvement, dans le sud et l’est de l’État de Borno, un État
de la fédération nigériane où le mouvement est né : la forêt de la Sambisa et
les collines de Gwoza. Ce groupe semble fonctionner beaucoup au pillage et à la
capture.
Pourquoi est-ce que le
gouvernement a échoué à contenir ces mouvements djihadistes ?
Les autorités nigérianes
ont la main lourde, et les brutalités des forces de sécurité ont beaucoup fait
pour durcir les positions des uns et des autres. Je connais des gens qui ont
combattu un temps avec Boko Haram simplement parce qu’ils avaient été arrêtés à
tort, détenus dans des conditions atroces et se sentaient plus en sûreté avec
les djihadistes qu’avec l’État.
Par ailleurs, le Nigeria
a mis longtemps avant de commencer à coordonner ses efforts avec les pays
voisins. De plus, l’État et l’armée du Nigeria connaissent des problèmes de
gouvernance considérables. Les soldats au front se sentent mal soutenus, et ont
souvent un moral faible. Enfin, Boko Haram était un véritable mouvement de
masse avant son entrée en guerre, pas simplement un petit réseau d’avant-garde,
et il a encore une vraie base. Les succès des djihadistes ont suscité des
critiques contre l’Armée de terre et contre le président nigérien, Muhammadu Buhari, donc on doit s’attendre
à une réaction militaire.