Au Soudan, le président déchu inculpé de possession de fonds étrangers
L'ancien président soudanais Omar el-Béchir, destitué et arrêté par l'armée en avril après 30 ans au pouvoir, a été inculpé samedi par un tribunal de Khartoum de possession illégale et d'utilisation frauduleuse de fonds étrangers.
Ecarté du pouvoir et arrêté sous la pression de la rue, le président déchu encourt jusqu'à 10 ans de prison pour l'acquisition de ces fonds et jusqu'à trois ans pour les transactions illégales effectuées, a indiqué le juge Al-Sadeq Abdelrahmane.
Mal rasé et vêtu de la longue robe blanche traditionnelle, M. Béchir, 75 ans, a été placé dans une cage en métal dans la salle d'audience. Des dizaines de ses proches ont crié "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand) à son entrée dans la salle.
Les avocats de l'ex-président ont indiqué qu'ils présenteraient des témoins à la barre et des "preuves" de son innocence à la reprise du procès le 7 septembre, selon un journaliste de l'AFP sur place.
Le procès de M. Béchir s'est ouvert le 19 août, deux jours après la signature d'un accord historique entre un Conseil militaire qui lui avait succédé et les meneurs d'une contestation inédite, sur une période de transition mettant fin à 30 ans de dictature militaire.
M. Béchir faisait face à des accusations de "possession de devises étrangères, de corruption" et de trafic d'influence. Ce procès ne concerne pas les lourdes accusations de crimes contre l'humanité et de génocide dans la région du Darfour (ouest) portées contre lui par la Cour pénale internationale (CPI).
Les autorités "ont saisi 6,9 millions d'euros, 351.770 dollars et 5,7 millions de livres soudanaises (un peu plus de 110.000 euros) au domicile de M. Béchir, illégalement entrés en sa possession et utilisés", a précisé le juge.
Un "message" saoudien
Durant la première audience, un enquêteur avait affirmé que l'ex-président avait avoué avoir reçu à titre personnel d'importantes sommes d'argent en espèces d'Arabie saoudite --à hauteur de 90 millions de dollars (80 millions d'euros).
Samedi, l'ex-président a expliqué les raisons pour lesquelles il a gardé cet argent à son domicile, sans préciser la date à laquelle il l'avait reçu.
"Mon chef de cabinet a reçu un appel du bureau du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane disant qu'un +message+ allait arriver à bord d'un jet privé", a dit M. Béchir en évoquant l'envoi de 25 millions de dollars.
Le prince saoudien "ne voulait pas que son nom apparaisse (dans les transactions) et on nous a dit que si les fonds étaient déposés à la banque du Soudan ou au ministère des Finances, leur source devrait être identifiée", a-t-il ajouté.
Les 25 millions de dollars "n'ont pas été utilisés à des fins personnelles mais en tant que dons" à des hôpitaux et des universités et pour importer du blé, a affirmé M. Béchir.
Fin avril, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil militaire alors au pouvoir, avait affirmé que l'équivalent de plus de 113 millions de dollars avaient été saisis dans la résidence de l'ex-président à Khartoum.
Le tribunal n'a pas mentionné samedi la question de deux montants --35 et 30 millions de dollars-- évoqués par un enquêteur à la première audience et versés par l'ex-roi saoudien Abdallah, décédé en 2015.
Le Soudan intervient militairement au sein de la coalition menée par Ryad au Yémen depuis 2015 en appui au gouvernement contre les rebelles soutenus par l'Iran.
"Les relations avec les Saoudiens ont connu des épisodes de tensions (...) mais elles se sont grandement améliorées, surtout après que ben Salmane a accédé au pouvoir", a déclaré samedi M. Béchir. Mohammed ben Salmane est devenu prince héritier en 2017.
Autres accusations
Lors de la précédente audience, la défense avait demandé la libération sous caution de M. Béchir, arrêté le 11 avril après quatre mois de manifestations déclenchées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain.
Les manifestations s'étaient rapidement transformées en contestation anti-Béchir. Durant les près de huit mois de manifestations, plus de 250 personnes ont péri dans la répression, selon un comité de médecins proche de la contestation.
Aux termes de l'accord du 17 août, un Conseil souverain, une instance à majorité civile mais dirigée par un militaire, a été mise en place pour mener pendant un peu plus de trois ans la transition vers un pouvoir civil.
Un Premier ministre, Abdallah Hamdok, a également été nommé et il doit encore annoncer la composition de son gouvernement.
M. Béchir est par ailleurs inculpé pour des meurtres commis lors des manifestations antirégime, mais la date de ce procès n'a pas été annoncée.